Chers amis,
Dans un roman que je lis ces jours-ci, le narrateur, un capitaine au long cours qui a beaucoup bourlingué, écrit : « Celui qui veut connaître l’âme des peuples doit, avant tout, manger de leurs plats.[1] »
Cette phrase m’a frappé par sa justesse. Elle m’a poursuivi toute la semaine.
Car de tous les langages humains – la parole, la musique, la danse, les rites religieux – il en est un qui parle directement aux tripes, au sens propre du terme, autant qu’à l’âme : la cuisine.
Faire la cuisine, faire l’amour
Il y a douze ans, j’ai fait un voyage au Brésil.
C’était en février ; je suis allé au carnaval de Rio ; c’était beau et exaltant, mais dans cette grande ville dominée par le Corcovado, une chose m’a déçu.
La nourriture.
J’avais assisté au grand spectacle des chars et des danses ; j’avais arpenté la plus grande forêt urbaine du monde ; mais tous mes passages à table, ou mes arrêts à des échoppes de rue, m’avaient, littéralement, laissé sur ma faim.
Je décidai alors de monter plus au nord, à Salvador de Bahia.
A mon arrivée, je poussai la porte d’un petit restaurant de quartier sans prétention. Des plats mijotaient dans de grands bacs en inox, un peu comme à la cantine. Je décidai de goûter un peu de tout (on payait ce qu’on mangeait au poids).
Ce que j’ai découvert dans ce restaurant, et ce que j’y ai mangé, rien, et surtout pas Rio de Janeiro, ne m’y avait préparé.
Ces préparations culinaires, où figuraient aussi bien du lait de coco, du piment, du poulet, du porc, que des fruits de mer, étaient un mélange envoûtant d’influences africaines, indigènes et portugaises.
C’était un festival de saveurs créoles et bariolées – car ces plats étaient aussi beaux –, puissantes et subtiles, au fond plus émouvant et plus impressionnant que le défilé exubérant du sambodrome auquel j’avais assisté quelques jours plus tôt.
J’étais arrivé là un peu déprimé et blasé ; j’en ressortis ragaillardi et réconcilié, en me sentant aussi bien que si je venais de faire passionnément l’amour.
Ma comparaison vous paraîtra peut-être hardie ; mais c’est exactement ce que j’éprouvai à ce moment, et vous conviendrez que cela n’arrive pas si souvent en sortant de table.
Cela n’a rien d’oiseux : il faut, pour bien faire la cuisine, non seulement beaucoup de savoir-faire et d’imagination, mais aussi beaucoup d’amour.
Et beaucoup de caractère.
Cet amour et ce caractère, qui reflètent en effet la culture des peuples. Mais aussi, à une autre échelle, celle des familles et des personnes.
L’amour, la passion, le savoir-faire
Un plat mijoté, ce n’est pas seulement des ingrédients.
C’est autant un bouquet garni d’herbes aromatiques, que de souvenirs, et d’intentions.
Quand je pense à la cuisine française, je pense par exemple à la lenteur d’un bœuf bourguignon – en parlant de bouquet garni.
Le temps qu’il faut pour, patiemment, préparer un à un chaque ingrédient ; le temps qu’il faut pour le cuire, à feu doux ; mais aussi, après cela, le temps qui lui est nécessaire pour déployer toute la subtilité de ses saveurs. Un bœuf bourguignon est en effet toujours meilleur réchauffé !
Vous aurez compris que j’aime beaucoup le bœuf bourguignon – aussi bien le faire que le manger !
Mon personnage de roman que je citais au début de cette lettre a raison de voir, dans le fumet et l’arôme des plats, une expression de l’âme de ceux qui les préparent, les plébiscitent, en perpétuent la tradition et les dégustent.
C’est d’autant plus vrai des plats populaires.
Il y a, dans le bœuf bourguignon – je vous parle de ce plat, mais je pourrais tout aussi bien vous parler du coq au vin, de la garbure béarnaise ou des tripes à la mode de Caen – à la fois une générosité, un bon sens, une inventivité, un hédonisme, typiquement français.
Les différences d’état d’esprit et les subtilités culturelles s’expriment autant en cuisine que dans les langues parlées.
Les deux touchent au fond au même organe : la bouche.
Il y a autant de contraste, à l’oreille, entre la langue suédoise et la langue italienne, qu’entre leurs cuisines ; et même au sens plus large entre la cuisine nordique et la cuisine méditerranéenne.
Et ces contrastes sont éloquents, à la fois du rapport au plaisir, mais aussi du rapport au partage, de ceux qui les préparent.
Oui, la cuisine d’un pays – ou d’une région – exprime l’amour, le savoir-faire, la passion du peuple qui l’habite.
Dis-moi ce que tu manges, je te dirai d’où tu viens (et où tu veux aller)
L’expérience du voyage est pour moi indissociable des plaisirs de la bouche. On ne voyage pas pour manger la même chose que chez soi.
Culinairement parlant, j’ai assez mal vécu le voyage que j’ai fait il y a quelques années en Suède.
Tout comme la cuisine de « terroir » britannique m’a toujours laissé un goût de gras et de fade en bouche.
Quant aux deux années que j’ai vécues aux Pays-Bas, je les ai traversées, d’un point de vue gustatif, comme on traverse un désert : sorti du gouda, du hareng mariné ou frit et des croquettes, les repas sont d’une monotonie et d’une platitude… conformes à la géographie du pays.
J’aime beaucoup les Pays-Bas pour plein d’autres raisons, mais je vous assure que deux ans passés à manger la cuisine locale vous font éprouver, tout au fond de l’estomac, un cruel mal du pays.
Ça n’est pas pour rien que ces pays, qui ont une tradition culinaire assez pauvre, liée par ailleurs à leur climat, la « compensent » aujourd’hui par une multitude de restaurants de cuisines du monde, d’ailleurs souvent issues de leur ex-colonies (vous trouverez d’excellents restaurants indonésiens aux Pays-Bas).
Ce rapport à la cuisine d’un pays résume donc aussi son histoire : les cultures les plus « neuves », comme celle des Etats-Unis ou de l’Argentine (où j’ai aussi vécu) sont celles dont les cuisines sont les plus basiques.
Le degré d’élaboration d’un hamburger américain ou d’un asado argentin est à l’aune non seulement de la « jeunesse » de ces deux ex-colonies, mais aussi de la priorité donnée à l’uniformité et à l’efficacité, sur l’équilibre et la subtilité.
À l’inverse, quoi de plus fascinant que l’exploration de la cuisine japonaise, chinoise, indienne ou maghrébine, dont les plats racontent la diversité des histoires régionales ?
L’universel dans l’assiette
À quoi pensez-vous lorsque vous sentez les épices d’un tajine, la coriandre d’un phở vietnamien, le beurre rance du fonio sénégalais ?
Si vous vous laissez faire, ces parfums vous transportent plus sûrement qu’un avion. Ils vous font voyager, non seulement dans l’espace, mais dans le temps. Ils racontent l’histoire des peuples, de leurs climats, de leurs fêtes.
Dans les plats du monde entier, on retrouve les grandes lois de la vie : le besoin de nourrir, le plaisir de partager, l’inventivité dans la contrainte.
Toutes les cultures ont inventé une soupe ou un bouillon de récupération. Le potage occidental, le minestrone italien, la soupe miso japonaise, ou encore le pho vietnamien…
Tous sont nés de la même question : que faire des restes ?
Et que dire des pains ?
Du naan indien au pain pita, du pain au levain au pain azyme, l’humanité entière semble s’être donné pour mission de faire lever la pâte. Faire gonfler un morceau de pâte sous l’action du levain, c’est non seulement le début de la cuisine, mais aussi celui de la civilisation !
C’est pourquoi je trouve admirables, aujourd’hui, les personnes qui font leur pain elles-mêmes (je vous l’avoue : je n’ai, moi, ni le temps ni le courage) : elles se réapproprient une histoire plurimillénaire tout en répondant à l’impératif de se nourrir soi et les siens.
Elles sortent du tout fait, du tout industriel.
Fast food partout, cuisine nulle part
La mondialisation a en effet standardisé bien des choses, y compris les cuisines.
On voit aujourd’hui s’installer les mêmes chaînes de fast food, de Tokyo à Toulouse. Des enseignes aux logos criards remplacent les gargotes familiales.
MacDonald’s comprend, sur le seul territoire français, plus de 1500 « restaurants » qui servent le même Big Mac cloné à des millions de consommateurs pour lesquels, c’est le plus triste dans l’histoire, il constitue le sommet de l’horizon culinaire[2].
Presque 90 % des 18-35 ans sont clients de l’enseigne, et plus d’un sur deux s’y rend au moins une fois par mois[3].
Ces « plats » calibrés au gramme près, toujours les mêmes, préparés avec les mêmes ingrédients artificiels, servis à la même vitesse, avec les mêmes sauces sucrées ou salées, écrasent peu à peu les nuances infinies du goût de saison, du plat de région.
C’est ainsi que le burger standardisé remplace la spécialité locale. Le soda, le thé. La frite de McDo, la frite belge.
Savez-vous d’ailleurs combien d’ingrédients comporte, officiellement, une frite de la marque au M jaune ?
19.
Parmi lesquels on trouve des produits servant également à faire du shampooing ou du dentifrice[4] !
Et pour des frites belges ?
3 : des patates, de la graisse de bœuf, et du sel.
Laquelle des deux a le plus de goût ? Et pourtant, laquelle règne sans partage sur les papilles gustatives de milliards de citoyens autour du monde ?
On ne mange plus, on consomme
L’algorithme du « temps gagné » et de la nourriture industrielle a remplacé le rapport charnel et choisi aux aliments que l’on cuisine, à la cuisson lente et à la transmission.
En termes de culture culinaire, que transmettront à leurs enfants des jeunes parents qui auront été biberonnés, dès leur plus jeune âge, aux fast foods et aux pizzas surgelées ?
C’est toute une manière de vivre qu’on sacrifie au nom de la rentabilité et de la rapidité.
Si l’âme des peuples s’exprime autant dans les plats qu’ils cuisinent que dans ceux qu’ils mangent, alors celle de nos jeunes générations est saturée d’exhausteurs de goûts, d’ingrédients issus de l’industrie pétrochimique et, d’une manière globale, d’une désespérante uniformité.
Je suis peut-être, à vos yeux, un vieux réac, de vous écrire cela. Mais toutes les enquêtes de consommation confirment sans appel cette tendance.
Il y a quelques semaines, un collègue partageait avec moi cette « nouvelle » édifiante :

L’achat de produits frais – et donc non transformés et non préparés – est aujourd’hui essentiellement culturel et générationnel.
On peut lire ceci dans l’article : « D’un côté, les seniors sont d’importants consommateurs de ces aliments « qu’ils connaissent depuis l’enfance », explique Kantar. Ils savent préparer et cuisiner les carottes, viandes ou fromages et ont aussi « plus de temps et un pouvoir d’achat plus élevé » pour les acheter. A contrario, « les plus jeunes n’ont pas les codes, pas le savoir-faire culinaire, pas le temps, ni l’argent » pour préparer et donc consommer ces produits frais, explique Kantar[5]. »
J’y vois là, pour ma part, quelque chose de plus grave qu’un simple « changement d’habitudes ».
C’est un bouleversement profond du rapport à la nourriture.
On ne cuisine plus, on achète une marque, un produit.
On ne mange plus, on consomme.
Ce bouleversement des mœurs et ce fossé générationnel sont d’autant plus spectaculaires qu’il sont concomitants des records d’audience d’émissions de téléréalité consacrées là la cuisine, comme « Top Chef ».
Comme si la cuisine était désormais plus un spectacle, un divertissement, l’énième avatar d’une course à la célébrité, qu’une activité quotidienne qui conditionne votre santé et votre bien-être.
Aussi, quel que soit votre âge, je vous appelle : « à vos fourneaux ! »
Aux armes, citoyens ! Formez vos bouillons !
Si vous n’avez pas (ou plus) l’habitude de cuisiner, je vous invite à vous y remettre.
Si vous l’avez encore, je vous invite à la transmettre.
Car, je persiste et je signe, faire la cuisine a un rapport avec l’âme, avec l’amour.
Cuisiner pour quelqu’un, c’est faire acte d’amour.
Préparer un plat pour un autre, c’est penser à ses goûts, à ses besoins, à sa santé.
C’est lui consacrer du temps, de l’attention, de l’énergie. C’est vouloir son bien. C’est lui transmettre un peu de vous-même.
Cela va des jeunes parents qui préparent des plats en purée pour leur tout-petit lorsqu’ils commencent leur diversification alimentaire, aux enfants qui préparent eux-mêmes leurs plats préférés à leurs vieux parents lorsqu’ils viennent leur rendre visite.
Et inversement, goûter la cuisine d’un autre, c’est comme embrasser son histoire, son terroir, ses influences culturelles… Bref, c’est entrer en conversation, voire en communion.
La « cuisine internationale standardisée », qu’on retrouve dans les hôtels, les avions ou les grandes chaînes de restaurants, est sans doute utile, propre, bien présentée, bien calibrée… mais vide.
Déjà souvent vide de nutriments (la nourriture industrielle standard est préparée à partir de matières premières peu coûteuses, produites en masse).
Mais aussi vide d’âme. Vide d’intention. Vide de mémoire.
À l’inverse, il m’est arrivé de ressentir des émotions puissantes, je vous le disais au sortir de ce restaurant de Salvador de Bahia, mais aussi tout simplement en repartant d’une soirée chez des amis qui avaient préparé à manger pour moi.
Nous devrions, je crois, renouer avec cette vision simple et sacrée de la cuisine. Cesser de la voir comme une corvée ou un simple carburant.
Faire vivre vos recettes, retrouver les gestes de vos parents, échanger celles de vos voisins et de vos amis. Et pourquoi pas – soyons fous – transmettre à vos enfants et petits-enfants le goût du fait maison.
Une âme s’échappe de votre casserole, pas des usines de l’industrie agro-alimentaire.
Et pour joindre le geste à la parole, je partage avec vous ma recette de bœuf bourguignon :
Ingrédients (pour 6 personnes)
- 1,5 kg de collier à bourguignon
- 200 g de lardons
- 1 gros oignon
- 3 ou 4 gousses d’ail
- 3 carottes
- 250 g de champignons de Paris
- 75 cl de vin rouge (un Bourgogne de préférence)
- Un verre de Cognac
- 2 cuillères à soupe de farine
- 2 cuillères à soupe d’huile
- 1 bouquet garni (thym, laurier, persil)
- De la crème fraîche
- Du miel
- Sel, poivre
Préparation :
- Préparation de la viande :
Coupez la viande en gros cubes d’environ 5 cm. Salez et poivrez. - Saisie :
Faites chauffer l’huile dans une cocotte. Faites-y revenir les morceaux de bœuf pour bien les colorer. Retirez-les et réservez. - Lardons et légumes :
Dans la même cocotte, faites revenir les lardons, puis ajoutez l’oignon émincé, l’ail haché et les carottes en rondelles. Faites revenir quelques minutes. - Remettre la viande :
Remettez la viande dans la cocotte. Saupoudrez de farine, mélangez bien, puis laissez légèrement roussir (cela aidera à épaissir la sauce). Rajoutez la crème fraîche. - Mijotage :
Versez le vin rouge jusqu’à couvrir la viande. Ajoutez le bouquet garni. Portez à ébullition, couvrez et laissez mijoter à feu doux pendant 2h30 à 3h (ou 1h30 à l’autocuiseur). - Champignons :
Faites revenir les champignons dans un peu de beurre à part, puis ajoutez-les dans la cocotte 30 minutes avant la fin de la cuisson. - La touche finale :
J’aime ajouter un verre de cognac à mon bœuf bourguignon, mais ça n’a rien d’obligatoire ; souvent quand je prépare ce plat, je fais deux cocottes : l’une avec beaucoup de vin et de cognac, pour les adultes, l’autre avec seulement un soupçon de vin. Et, enfin, j’aime ajouter une cuillère de miel.
Si vous souhaitez me parler de votre rapport à la cuisine, ou si vous souhaitez partager avec nos lecteurs une recette que vous appréciez particulièrement, je vous invite à le faire en commentaire.
Portez-vous bien,
Rodolphe
[1] Milan Fürst, L’Histoire de ma femme, Gallimard, coll. L’Etrangère, 1991, p.40
[2] https://www.leparisien.fr/economie/prix-du-big-mac-la-carte-de-france-des-mcdonalds-restaurant-par-restaurant-21-01-2023-N2NGFFYXCVAK3AEPXU2MB7I2JM.php – Aubin Laratte, Fabien Casaleggio & Victor Alexandre, « Prix du Big Mac : la carte de France des McDonald’s, restaurant par restaurant », in. Le Parisien, 21 janvier 2023
[3] https://www.ouest-france.fr/economie/consommation/mc-donalds/en-france-la-moitie-des-18-35-ans-vont-au-moins-une-fois-par-mois-chez-mcdonald-s-549c695a-d10e-11ec-8683-fd3702e27bb5 – Camille Da Silva, « En France, la moitié des 18-35 ans vont au moins une fois par mois chez McDonald’s », in. Ouest France, 22 mai 2022
[4] https://www.ouest-france.fr/economie/consommation/fast-food-mcdonalds-devoile-les-19-ingredients-de-ses-frites-3136838#:~:text=En%20plus%20des%20pommes%20de,des%20frites%20dor%C3%A9es%20et%20croustillantes. – « Mc Donald’s dévoile les 19 ingrédients de ses frites », in. Ouest France, 23 janvier 2015
[5] https://www.francetvinfo.fr/economie/les-ventes-de-boucherie-poissonnerie-fruits-et-legumes-reposent-pour-moitie-sur-les-consommateurs-de-plus-de-60-ans_7095255.html – « Les ventes de boucherie, poissonnerie, fruits et légumes reposent pour moitié sur les consommateurs de plus de 60 ans », in. France TV Info, 25 février 2025
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En soumettant mon commentaire, je reconnais avoir connaissance du fait que Total Santé SA pourra l’utiliser à des fins commerciales et l’accepte expressément.
Bonjour Rodolphe,
Il y a du vrai, et même beaucoup, dans vos considérations sur la nourriture, sa préparation, son partage, ce qu’elle révèle de la culture où elle est née, ce qu’elle peut faire vibrer en nous dans sa singularité.
Cependant une chose me gêne : la majeure partie des plats que vous citez, et jusqu’à la recette que vous donnez, est à base de viande, ainsi que de produits animaux. A ne penser qu’au plaisir gustatif, aux saveurs, à l’exclusion de toute considération d’ordre éthique, et/ou écologique, on risque d’oublier une dimension essentielle, qui à côté de toutes les pertes que vous citez – en particulier au sujet de la jeunesse n’ayant pas « les codes » pour cuisiner – me semble pourtant un gain fondamental de notre époque : la conscience, la pleine conscience de ce que l’on mange, de comment, dans quelles conditions, à quel prix (pour d’autres humains, pour des animaux, pour la planète) cela a été produit, est arrivé jusqu’à notre assiette. C’est-à-dire que de plus en plus de personnes se soucient de cette dimension, qui n’était que rarement prise en compte par le passé (en dehors de quelques consciences éclairées, d’Ovide et Voltaire à Gandhi, pour ne citer qu’eux…).
Alors bien sûr la nouvelle génération ne sait pas, généralement, mijoter de bons petits plats type boeuf bouguignon… mais elle connaît mieux que bien des représentants des générations antérieures ce que représente l’impact de l’élevage – a fortiori industriel – sur l’eau, les sols, le climat, et la souffrance animale qui reste bien cachée derrière une « belle viande ». Cette génération-là compte plus de vegans que toutes les précédentes.
Est-ce que, en contrepartie de cette conscience, le fait d’être vegan constitue un renoncement à tout ce que vous mettez en avant dans votre article, c’est-à-dire au plaisir – pour ne pas dire à l’extase, donc ! – de bien manger, et à la précieuse possibilité ce faisant de se relier à l’âme d’un peuple ? Eh bien, non. Bien sûr je ne prends pas en compte les aliments ultra-transformés qui, vegans ou non, font beaucoup plus de mal que de bien. Mais si l’on prend d’une part l’inventivité végétale naturelle de bien des cultures culinaires traditionnelles (en particulier la cuisine méditerrannéenne, dans toutes ses variations : l’italienne, ou la gréco-turque, sont très riches en ce sens ; mais aussi indienne, par exemple), et d’autre part cette « fusion food » qui réinvente en les végétalisant et en les « mixant » les classiques à base animale de toutes les cultures du monde, en en faisant un patrimoine commun à l’humanité, bienfaisant pour la santé – et l’âme ! – et bienveillant envers toutes les formes de vie, force est de constater que c’est tout sauf du renoncement : c’est un plaisir nouveau, et renforcé, puisque la conscience se joint aux plaisirs du palais.
En d’autres termes, et en résumé : par-delà tout ce que vous développez sur la nécessité et la beauté d’une culture culinaire qui permet un accès privilégié à notre humanité, ne pas prendre en compte cette dimension éthique liée à la consommation de viande et de produits d’origine animale ne me paraît tout simplement plus tenable à notre époque, où la connaissance sur la sensibilité animale et l’état de la planète a progressé au point que plus personne ne peut dire qu’il ou elle « ne savait pas », et continuer à ne considérer que l’aspect purement sensoriel/traditionnel des choses que vous évoquez.
Je ne veux pas plomber l’atmosphère de joyeuse convivialité gastronomique, mais quand même : prendre connaissance d’une seule vidéo de L214 remet vite les pieds sur terre par rapport à ce que signifie, sur le plan éthique, la consommation de viande et produits d’origine animale. « Bio » ou pas, les animaux finissent très souvent d’une manière inimaginable, dont je vous épargnerai (et m’épargnerai) la description, et ce non pas à la marge, mais de manière systématique, et systémique.
Evidemment, prendre connaissance d’un rapport du GIEC sur l’impact de l’élevage sur le climat, pire que celui des transports, relativise aussi assez rapidement les promesses de « bienfaits » de cette consommation-là.
Donc c’est vrai que quand je lis « L’âme qui s’échappe de votre casserole », à l’aune de votre descriptif des plats que vous associez à cette image, je pense moi surtout à l’âme de l’être mis à mort, pour ce plaisir somme toute éphémère, qui s’échappe de la casserole… C’est ainsi que j’ai lu d’emblée votre titre, comme une prémonition quant à ce qui allait suivre… et ce n’était pas faux, pour le coup.
Alors… renoncer à toutes les joies que vous évoquez ? Pas question. On peut être très gourmand(e), très gourmet(te ?!), très inventif(ve) sur le plan culinaire et adepte d’une chaleureuse convivialité tout en étant vegan. Ce qui est mon cas. C’est juste un changement de perspective, ou de paradigme, si vous voulez, à opérer. Car à part une catégorie d’aliments, ceux d’origine animale, TOUT est utilisable, TOUT est possible, à l’infini, pour de délicieuses créations culinaires. Il suffit de voir le nombre croissant de chef(fe)s vegan, de créateurs talentueux, de créatrices talentueuses, dans le domaine de la cuisine végétale, comme Marie Laforêt par exemple (non, pas la chanteuse ;-)), pour s’en persuader. On ne perd rien, et ce qu’il y a à gagner dépasse notre seule personne pour toucher bien d’autres êtres vivants, humains et non-humains, et la planète elle-même.
Donc – oui, garder la belle idée de la joie, du partage, de la chaleur humaine et de l’enrichissement culturel que vous évoquez ; mais en l’emmenant ailleurs, là où elle ne tuera personne ; oui, personne, car les « 1,5 kg de collier à bourguignon » ou les « 200 g de lardons », ça ne pousse pas sur les arbres, et c’était bien à l’origine, avant que nos appétits en décident autrement, des êtres respirants, sentients, nantis eux aussi d’émotions, joie, peur, tendresse, solidarité…
L’exacte raison pour laquelle je les préfère dans les prés, et pas dans ma casserole !
Bonsoir cher Rodolphe,
J’ai eu la chance de toujours voir mes parents cuisiner (les deux !), j’ai donc eu beaucoup de facilités à aimer et savoir faire une cuisine gastronomique. J’ai également transmis cette passion à mon fils qui cuisine avec sa compagne et j’en suis très fière ! Je sais déjà qu’ils feront la transmission à leurs enfants.
Si les jeunes générations n’ont plus les cadres, c’est aussi parce que leurs ainés ne font pas ou n’ont pas fait leur travail d’éducation culinaire.
j’ai toujours cuisiner des plats pour mon mari et ma petite famille, même en travaillant je m’étais organisé pour cuisiner moi même. Mes trois enfants aiment cuisiner et faire des bons plats qui sentent bons et donnent envie de se mettre à table! il suffit de pas grand chose pour faire une belle table. C’est un grand bonheur de les voir manger et se régaler des plats que je prépare avec amour!!
Faire la cuisine est comme écrire un livre. On fait appel à un savoir, savoir qui nous est propre. Transmis, découvert, copié, peu importe. On y ajoute notre imaginaire, notre sensibilité à certaines saveurs. Puis on prend le temps. Le temps de la préparation, de la réalisation, le temps de goûter et de rectifier. Enfin, on offre le tout aux autres. Ceux pour qui l’on a cuisiné, ceux pour qui l’on écrit. Et l’on attend un peu inquiet, et l’on espère qu’ils vont ressentir, tout cette humanité, toute cette âme que l’on a mis, pour eux, avec amour.
Vous l’aurez compris je suis romancière et j’adore cuisiner…;)
J’ai récemment mangé dans un restaurant gastronomique. Sur un plat, j’ai eu un tel mélange de saveurs, de textures, que j’en ai eu les larmes aux yeux ! J’ai vraiment ressenti un « orgasme culinaire », il n’y a pas d’autres mots !
merci
J’ai récemment mangé dans un restaurant gastronomique. Sur un plat, j’ai eu un tel mélange de saveurs, de textures, que j’en ai eu les larmes aux yeux ! J’ai vraiment ressenti un « orgasme culinaire », il n’y a pas d’autres mots !
merci
Bonjour,
Votre recette de bœuf bourguignon a vraiment l’air trop bon. Je vais essayer dès que j’aurai les sous pour acheter du bœuf local (Martiniquais) parce que j’évite à tout prix la viande congelée qui vient de l’autre bout du monde avec des traitements dont on ne sait rien…. et même maintenant la viande de l’UE tant qu’ils n’ont pas rejeté les accords avec le Mercosur…
Je suis assez d’accord avec vous, la cuisine doit être synonyme de plaisir, partagé si possible.
Je fais l’effort de me faire au moins un plat cuisiné « qui voyage » par jour. J’adore la cuisine asiatique mais je me limite au sauté de porc à la Thaï qui est le moins contraignant à faire.
Bref je pense avoir trouvé un équilibre entre l’envie de bon et pas l’envie de trop galérer (3h00) en cuisine.
Mais j’aime aussi la cuisine française, italienne qui peuvent être simples à faire et délicieuses.
Bonne journée.