Chers amis,

Suite à ma lettre consacrée aux odeurs corporelles, Marie-José partage avec nous sa poignante histoire :

« Mon mari a été victime d’un accident du travail, chute d’un escabeau tête la première au sol. Traumatisme crânien, troubles cognitifs et amnésie antérograde. En clair, à son réveil, nouvelle naissance pour lui ; il ne se souvenait de rien, mais alors de rien ; même pas de lui-même. Pour moi, son épouse, idem, malgré nos 17 ans de mariage.

Une chose m’a frappée dès le début, c’est qu’il était « attiré » par mon odeur. Dès qu’il était en situation de stress, il venait vers moi et se blottissait dans mon cou, comme pour se rassurer.

Je voyais bien que « mon odeur » l’apaisait. Aujourd’hui encore, soit 16 ans après l’accident, il vient souvent dans mon cou et me dit « tu sens bon » et ma réponse est : « pourtant, je ne me suis pas parfumée !! ».

Je fais une petite parenthèse pour vous indiquer qu’il a dû tout réapprendre, jour après jour et il est repassé par toutes les phases de l’enfance y compris, petite enfance (il jouait assis sur le tapis avec des jouets 1er âge, regardait des livres d’enfant « Oui-Oui » entre autres…) Il s’est reconstruit année après année en réapprenant les choses de la vie. Il est aujourd’hui redevenu un adulte.

Croyez-vous qu’il ait pu me reconnaître, reconnaître mon odeur corporelle comme un jeune enfant ?

C’est une question qui me reste en tête depuis longtemps et j’espère très sincèrement que vous pourrez m’en apporter la réponse.

Je vous remercie de m’avoir lue et également, pour vos messages, tous aussi passionnants les uns que les autres. »

À mon tour, je partage avec vous la réponse que j’ai faite à Marie-José, avec son accord.

Chère Marie-José, votre odeur est unique…

Votre message m’a beaucoup touché, Marie-José.

D’une certaine façon, votre incroyable histoire prouve que le corps humain est capable d’accomplir, dans des circonstances extraordinaires, des merveilles, en faisant appel à des facultés que nous « oublions » littéralement.

Vous vous demandez, chère Marie-José, si votre mari a pu « reconnaître (votre) odeur corporelle comme un jeune enfant ».

La réponse est oui, et j’ajouterais : pas besoin d’être retombé en enfance pour cela.

Votre odeur, en réalité, comme celle de toute personne, est unique, propre à vous, exactement comme vos empreintes digitales.

C’est un fait solidement établi depuis 2006, très exactement depuis que des chercheurs de l’institut Konrad Lorenz, à Vienne, ont pu déterminer que notre « empreinte olfactive » faisait intervenir quelque 400 composés dont l’intensité varie d’un individu à l’autre[1]

En fonction de ce que l’on mange et de notre état de santé, notre odeur ou « empreinte olfactive » varie, mais reste fondamentalement la même au cours de notre existence.

Il me paraît donc évident que, oui, votre mari peut vous reconnaître entre mille autres personnes, à votre « parfum » naturel… Et donc à plus forte raison si vous ne vous parfumez pas, ce qui permet de ne pas brouiller le message !

Votre odeur est bel et bien unique !

… et le nez de votre mari aussi

Depuis peu de temps, nous savons que notre façon de sentir les odeurs est tout aussi unique que l’odeur que nous dégageons.

Chacun de nous possède un ensemble pour ainsi dire unique de gènes de « récepteurs olfactifs ». Ceux-ci, d’après les auteurs d’une découverte datant de 2015, seraient liés à notre système immunitaire[2].

C’est ce qui explique que nous ne sommes pas tous sensibles, au même niveau, aux mêmes odeurs.

L’accident de votre mari, s’il lui a fait perdre une partie spectaculaire de sa mémoire (mais pas toute sa mémoire, je vais revenir après sur ce fait, je pense, indéniable) ne lui a pas fait perdre son sens de l’odorat, propre à lui.

Autrement dit, la force du lien entre votre « parfum naturel », chère Marie-José, et le nez unique de votre mari, pourrait se résumer à cette fameuse phrase de Montaigne :

« Parce que c’était lui, parce que c’était moi. »

Mais je pense que ça n’est pas tout, évidemment. 

Votre mari n’avait pas perdu toute la mémoire

Vous surprendrai-je si je vous dis qu’à mon avis, votre mari n’avait pas perdu toute sa mémoire, et que votre histoire en est la preuve éclatante ?

Vous connaissez probablement la « madeleine de Proust » : l’odeur et le goût de la madeleine transporte immédiatement le narrateur de La Recherche du temps perdu dans une situation heureuse de son enfance : le thé qu’il prenait chez sa tante.

De nos cinq sens, l’olfaction est liée directement à la partie la plus ancienne de notre cerveau.

Ce que nous sentons, nous l’interprétons dans une zone très précise du cerveau : la zone corticale préfrontale, également connue sous le nom de « cerveau émotionnel ».

Or, quelle est la fonction du cerveau émotionnel ? Il est impliqué dans nos émotions et comportements de base : le plaisir, la peur, l’agressivité et… la formation de la mémoire.

C’est ce qui explique que l’odorat est tellement lié à des émotions primaires : l’envie, le dégoût ; dans le cas de votre mari, chère Marie-José, le réconfort

Le retour du refoulé

Comme je l’ai écrit dans ma précédente lettre, nous avons tendance, nous humains du XXIe siècle, à faire la guerre à nos odeurs naturelles.

Pire encore, l’odorat est un sens que nous méprisons un peu, que nous ne cultivons pas, à de rares exceptions près, comme les œnologues. Cela nous paraît tellement « animal » – à juste titre puisque ce sens est relié à la partie la plus archaïque de notre cerveau.

Mon hypothèse, donc, chère Marie-José est que l’accident de votre mari, en effaçant toute sa mémoire complexe, culturelle et identitaire (qui il est, son histoire familiale et sociale, comment il s’appelle, voire peut-être sa langue ? Vous ne le précisez pas dans votre récit) a non seulement laissé intacte sa mémoire « archaïque », mais l’a replacée au premier plan.

Autrement dit, votre mari avait oublié que vous, chère Marie-José, vous vous prénommiez Marie-José et étiez son épouse depuis 17 ans, mais son « cerveau émotionnel », lui, n’avait pas oublié tout le bien-être que lui procure votre présence, et que votre « empreinte olfactive » réveillait en lui.

Et oui, d’une certaine façon comme un enfant, il a pu « sans filtre » se réfugier dans le réconfort que lui procurait son odorat, en redonnant sa place primordiale à ce sens – que nous avons tendance à faire passer au second plan, à l’âge adulte.

Il n’est donc pas exagéré d’écrire, à mes yeux, que votre odeur lui a servi de bouée de sauvetage émotionnelle, au moment où tout, autour de lui, devenait inconnu et stressant.

Votre odeur l’a profondément rassuré, en lui adressant le message du bien-être qu’il a ressenti toutes ces années auprès de vous !

C’est le signe, surtout, de la force de votre amour.

Merci encore, Marie-José, d’avoir partagé votre histoire avec nous, et j’espère que cette lettre a pu vous éclairer un petit peu !

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet

P.-S. : J’en profite pour répondre aux lecteurs qui s’étonnaient que je recommande, toujours dans ma lettre consacrée aux odeurs corporelles, la pierre d’alun comme alternative naturelle aux déodorants de l’industrie cosmétique.

Comme indiqué, c’est bel et bien la pierre d’alun naturelle dont je parlais, c’est-à-dire d’alun de potassium, et non de pierre d’alun reconstituée ou synthétique, comme l’alun d’ammonium. Si la pierre d’alun naturelle contient de l’aluminium, c’est sous une forme qui ne la rend pas, en principe, absorbable par les cellules de la peau.

Ensuite, je reconnais qu’il y a des suspicions… mais qui concernent la pierre d’alun synthétique ou reconstituée ! Une pierre d’alun certifiée d’origine 100 % naturelle et garantie sans sel d’aluminium (il en existe, comme la pierre d’alun kalunite) est donc en principe sans danger. Si vous restez inquiet sur les dangers de la pierre d’alun, je vous recommande évidemment une autre alternative naturelle, comme le bicarbonate de soude ; dans tous les cas, vous avez raison, j’aurais dû apporter cette précision dans ma lettre d’avant-hier.

[1] Abbott (A.), « Does everyone smell different? », Nature, 29 novembre 2006, consulté en octobre 2019, disponible sur https://www.nature.com/news/2006/061127/full/061127-4.html ; Étude : Penn (D. J.) et al., « Individual and gender fingerprints in human body odour », Journal of the Royal Society Interface, 28 novembre 2006, vol. 4, no 13, consulté en octobre 2019, disponible sur https://dx.doi.org/10.1098%2Frsif.2006.0182

[2] Secundo (L.) et al., « Individual olfactory perception reveals meaningful nonolfactory genetic information », Proceedings of the National Academy of Sciences, 22 juin 2015, vol. 112, no 28, pp. 8750-8755, consulté en octobre 2019, disponible sur https://doi.org/10.1073/pnas.1424826112