Chers amis,

Vous avez probablement vu votre chat ou votre chien bâiller. Les souris bâillent, les oiseaux aussi. Même les poissons bâillent. Sur la terre, seule la girafe serait apparemment dépourvue de ce réflexe[1].

Chez nous les humains, ce n’est pas très bien vu de bâiller, surtout devant les autres.

« Ça t’intéresse ce que je te raconte ??! » Vous connaissez ces réflexions qu’on vous fait quand vous bâillez…

On a identifié le bâillement chez le fœtus dès la 11ème semaine de grossesse[2], ce qui confirme son importance dans notre développement.

Malgré tout… la science n’arrive pas à donner de réponse claire à cette question : pourquoi bâillons-nous ?

Nous bâillons parce que nous sommes fatigués évidemment, le fait de bâiller semblant avoir un lien physiologique avec notre rythme circadien, c’est-à-dire l’alternance entre les périodes de veille et de repos de notre organisme.

Mais que se passe-t-il exactement dans notre corps et dans notre cerveau qui commande ce réflexe ?

Cela reste un mystère.

Dans son Traité des vents, Hippocrate attribuait au bâillement la vertu de laisser s’échapper la fièvre, un peu comme la cheminée laisse échapper la fumée. 

Plus récemment, on estimait que bâiller permettait :

  • Soit d’apporter plus d’oxygène au cerveau et d’évacuer davantage de dioxyde de carbone (c’était ma réponse jusqu’ici, aux gens qui me reprochaient de bâiller !) ;
  • Soit d’accroître notre vigilance au niveau physiologique (renforçant notre état d’ « alerte ») ;
  • Soit de nous aider à mieux réguler notre température.

Il y a dix ans, des recherches ont invalidé ces trois hypothèses[3].

En revanche, d’après les auteurs de cette recherche, le bâillement constituerait une forme archaïque de communication.

Je bâille, tu bâilles, nous bâillons

Car vous l’avez observé, notre bâillement entraîne un bâillement chez l’autre, soit que nous bâillions en « réponse » au bâillement d’autrui : le bâillement est contagieux.

Ce phénomène porte un nom : l’échokinésie.

Quel mot chic pour un phénomène… aussi quotidien !

« L’échokinésie » aurait une fonction sociale ; ce serait un signe d’empathie que nous partagerions avec la plupart des primates, et certains mammifères sociaux, comme le loup[4].

Les recherches menées en neurosciences arrivent à des conclusions surprenantes à ce sujet.

Outre que la durée de notre bâillement serait prédictive, non seulement de la taille du cerveau mais aussi de la quantité de connexions neuronales chez les mammifères[5], notre capacité à bâiller serait un marqueur d’ « intelligence sociale »[6].

Plusieurs recherches le confirment de façon étonnante.

Par exemple les enfants souffrant de troubles autistiques ne baillent généralement pas en voyant les autres bailler[7][8] : la difficulté à décoder les émotions des autres, ainsi que l’empathie, sont même des critères diagnostiques de l’autisme.

Mais surtout , en 2015, une étude qui a fait pas mal parler d’elle a révélé que l’absence d’échokinésie au bâillement était un signe de… psychopathie[9] !

Êtes-vous psychopathe… ou un homme ?

La psychopathie c’est quoi ? C’est un mode de vie antisocial avec des comportements égoïstes, manipulateurs, impulsifs, dominateurs. Et manquant particulièrement d’empathie.

Des chercheurs ont soumis 135 étudiants, hommes et femmes, à l’inventaire des traits de personnalité psychopathe (PPI-R)[10], puis à un paradigme de bâillement destiné à induire un bâillement « contagieux ».

Résultat de l’étude : plus on avait  un profil psychopathique, moins on bâillait en réaction à un bâillement d’autrui !

La conclusion est spectaculaire, mais ne jugez pas trop rapidement votre conjoint(e) s’il ne bâille pas lorsque vous bâillez ! Il/Elle n’est pas forcément psychopathe !

Sachez que les femmes bâillent en moyenne plus que les hommes. Si 40 à 60% des gens se mettraient à bâiller lorsque quelqu’un bâille à côté d’eux, les femmes seraient particulièrement plus touchées par ce phénomène que les hommes.

Nous bâillerions par ailleurs plus facilement si c’est un ami ou un membre de notre famille plutôt qu’une simple connaissance qui bâille à côté de nous : ce serait le sentiment d’empathie que l’on a pour la personne qui nous ferait bâiller, un trait de caractère… plus répandu chez les femmes que chez les hommes[11] ! Désolé Messieurs !

Ce que bâiller volontairement peut vous apporter

Il est possible de bâiller volontairement et je vous y incite.

Cela a plusieurs bienfaits simples pour la santé, notamment de :

  • relâcher les tensions,
  • décontracter les muscles du visage,
  • stimuler les glandes lacrymales et de favoriser les larmes, excellentes pour les yeux ; en outre bâiller mobilise les muscles autour de l’œil et crée de manière indirecte un massage de l’œil[12].

Bâiller volontairement permet également de… faire baisser la pression sanguine

Pourquoi ? Parce que le bâillement nous indique que nous avons besoin de repos ; la baisse de la pression sanguine fait partie des éléments qui préparent l’organisme à un bon sommeil[13].

Alors asseyez-vous, ouvrez grand la bouche et simulez un bâillement. Restez ainsi, avec la bouche ouverte, pendant 10 minutes. Des chercheurs italiens ont montré que ce simple geste ferait baisser la pression sanguine de 2,5 points pendant plus de 2 heures !

Portez-vous bien,

Rodolphe


[1] Sciencepost (2016). Connaissez-vous le seul animal qui ne bâille jamais ? https://sciencepost.fr/connaissez-seul-animal-ne-baille-jamais/

[2] Kurjak, A., & Walusinski, O. (2005). Fetal yawning: a behavior’s birth with 4D US revealed. The Ultrasound Review of Obstetrics & Gynecology 5(3) : 210-217. http://baillement.com/recherche/fetal_yawning.ow.html

[3] Guggisberg, A. G., Mathis, J., Schnider, A. et al. (2011). Why do we yawn? The importance of evidence for specific yawn-induced effects. Neuroscience & Behavioral Reviews, 35(5) : 1302-1304. https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0149763410000825?via%3Dihub

[4] Palagi, E., Norscia, I. & Cordoni, G. (2019(. Lowland gorillas (Gorilla gorilla gorilla) failed to respond to others’ yawn : Experimental and naturalistic evidence. J Comp Psycholog. 133(3) : 406-416. DOI: 10.1037/com0000175. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30896230/

[5] Gallup, A. C., Curch, A. M., & Pelegrino, A. J. (2016). Yawn duration predicts brain weight and cortical neuron number in mammals. Biol Lett. 12(10) : 20160545. DOI: 10.1098/rsbl.2016.0545. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/27703056/

[6] Platek, S. M. (2010). Yawn, yawn, yawn, yawn; yawn, yawn, yawn! The social, evolutionary and neuroscientific facets of contagious yawning. Front Neurol Neurosci. 28 : 107-112. DOI: 10.1159/000307086. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/20357468/

[7] Senju, A., Maede, M., Kikuchi, Y. et al. (2007). Absence of contagious yawning in chilfren with autism spectrum disorder. Biology Letters 3: 706-708. http://baillement.com/replication/autism_senju.html

[8] Helt, M. S., Eigsti, I. M., Snyder, P. J., et al. (2010). Contagious yawning in autistic and typical development. Child Dev 8(5) : 1620-1631. http://baillement.com/replication/autisme_helt.html

[9] Rundle, B. K., Vaughn, V., & Standford, M. S. Contagious yawning and psychopathy. Personality and Individual Differences 86 : 33-37. DOI: 10.1016/j.paid.2015.05.025 https://www.researchgate.net/publication/277815089_Contagious_yawning_and_psychopathy

[10] Lilienfeld, S. O., & Widows, M. R. Psychopathic Personality Inventory – Revised. PAR (Psyhoclogical Assesment Resources). https://www.parinc.com/Products/Pkey/331

[11] Norscia, I., Demuru, E., Palagi, E. (2016). She more than he: gender bias supports the empathic nature of yawn contagion in Homo sapiens. R. Soc. open sci. 3: 150459. DOI: 10.1098/rsos.150459. https://www.researchgate.net/publication/292906759_She_more_than_he_Gender_bias_supports_the_empathic_nature_of_yawn_contagion_in_Homo_sapiens

[12] Le journal de la médecine anti-âge, n°41. (2020). Presbytie: le problème de vue le plus facile à éviter. https://search.snieditions.com/documents/JournalMedecineAntiAge/JournalMedecineAntiAge-90-Mai-2020-Presbytie-le-probleme-de-vue-le-plus-facile-a-eviter-SD.pdf#page=5

[13] Del Seppia, C., Ghione, S., Foresi, P. et al. (2017). Evidence in the human of a hypotensive and a bradycardic effect after mouth opening maintained for 10 min. European Journal of Applied Physiology 117(7) : 1485–1491