Chers amis,

Le domaine de la santé n’est pas épargné par les « fake news » (fausses informations, conçues pour tromper volontairement) et les théories du complot.

Dernières victimes en date : les centenaires ! Et tout particulièrement les super-centenaires.

Jeanne Calment attaquée par des scientifiques russes peu scrupuleux

Il y a quelques mois, des « chercheurs » russes ont proclamé que le record de longévité de Jeanne Calment, décédée à l’âge de 122 ans, avait été truqué.

Jeanne Calment, doyenne de l’humanité, son cigarillo, sa passion pour le chocolat noir… un soi-disant canular !

La théorie de ces « scientifiques » était que la fille de Jeanne Calment aurait usurpé l’identité de sa mère. Ce n’est donc pas Jeanne Calment qui serait morte en 1997 à l’âge de 122 ans, mais sa fille Yvonne, à l’âge de 99 ans.

Un vrai roman d’espionnage.

C’est divertissant mais malheureusement cette théorie a été abondamment reprise par les médias[1].

Moins d’un an plus tard, les « preuves » avancées par ces Russes venus enquêter… se sont effondrées comme un château de carte suite à une analyse des faits.

Il y a quelques jours, l’identité de Jeanne Calment et son record de longévité ont été confirmés par des chercheurs suisses indépendants.[2]

Les zones bleues dans le collimateur d’un Australien

Ce n’est pas le seul exemple de tentative de désinformation.

Cet été, les centenaires des « zones bleues », ces régions du monde où l’on vit plus longtemps et en meilleure santé que partout ailleurs, ont été les victimes d’une autre manipulation.

Un chercheur, un Australien nommé Saul Justin Newman, « révélait » que les forts taux de centenaires et super-centenaires dans ces régions s’expliqueraient par… la fraude !

D’après lui, les zones bleues d’Okinawa (Japon), de Sardaigne (Italie) et d’Ikaria (Grèce) sont « des régions à faible revenu et à forte criminalité » (ah bon ?)…

Autrement dit, des régions où l’on n’hésiterait pas à mentir sur son âgetruquer des registres ou à dissimuler des décès pour toucher des subsides de l’état, de façon frauduleuse et systématique[3].

Les centenaires d’Okinawa, des escrocs ? Un beau complot… qui dure depuis plus de deux millénaires, alors. Et surtout, cela ferait beaucoup de fraudeurs !

Malheureusement le chercheur australien ne donnait que de rares exemples… en-dehors des zones bleues, comme à Tokyo.

Cette « étude » s’est vite révélée fantaisiste, mais elle a été relayée par quelques personnes crédules et a eu « son petit succès ».

Les zones bleues, une fraude ?

Le simple fait qu’un seul chercheur « démonte » la validité démographique des zones bleues établie par des centaines de chercheurs avant lui, avait déjà de quoi mettre la puce à l’oreille.

À mon humble avis, il s’agit d’un simple franc-tireur en mal de notoriété, désireux de publier une théorie surprenante dans le seul but de faire parler de lui.

Mais, faisons-lui l’honneur de lui expliquer pourquoi il ne pouvait pas avoir raison. 

Les recherches sur les zones bleues ont été menées pour en finir avec les fraudes

Les pionniers des études des zones bleues, les démographes Michel Poulain et Gianni Pes et le journaliste Dan Buettner, ont précisément entrepris leurs travaux pour en finir avec les fraudes et les « légendes » de la longévité hors norme.

Car plusieurs régions avaient la réputation d’abriter des populations à la longévité exceptionnelle, comme les centenaires de Vilcabamba (Équateur), les Hunzas (nord du Pakistan) et les Abkhazes (Caucase).

Le travail des démographes a été de traquer les erreurs dans les âges qu’on leur a déclarés ou dans ceux présents dans les documents administratifs.

Les « paradis » des centenaires de l’Équateur, du Pakistan et du Caucase ont donc été invalidés.

À l’inverse, des régions comprenant une quantité statistiquement élevée de centenaires et de super-centenaires ont été formellement identifiées :

  • l’archipel d’Okinawa au Japon ;
  • la région montagneuse de Barbagia en Sardaigne ;
  • la petite île grecque d’Ikaria ;
  • la péninsule de Nicoya au Costa Rica (avec le démographe Luis Rosero-Bixby) ;
  • et une communauté d’adventistes du septième jour à Loma Linda, en Californie.

Les chercheurs des zones bleues ont fait de scrupuleuses recherches sur place

Je me suis entretenu il y a un an avec Michel Poulain, le démographe belge à qui l’on doit les rigoureux travaux permettant d’établir la véracité de la zone bleue de Sardaigne.

Notre entretien, publié à la Une d’Alternatif Bien-Être, en octobre 2018, rappelait d’emblée la « vigilance des chercheurs » sur ce sujet :

Michel Poulain rappelait que, jusqu’à la fin des années 1990, « les démographes sont restés sceptiques concernant les populations qui prétendent vivre plus vieilles : ils restaient dans l’idée que les données n’étaient pas fiables à cause du manque de documents probants. »

Lui est allé sur place en Sardaigne, plusieurs fois, rencontrant la population, étudiant rigoureusement les registres de l’état civil.

C’est à lui que l’on doit le terme de zone bleue :

« La conclusion de cette investigation, ce n’est pas que les centenaires de Sardaigne sont bien des centenaires, c’est bien plus le fait que, quand on passe d’un village à l’autre, on découvre qu’il y a des centenaires dans le premier, puis dans le deuxième… et ainsi de suite ! Et à cet instant, j’ai pris une carte de l’île, et avec mon marqueur bleu, j’ai entouré la zone des centenaires sur la carte… »

Les conclusions de Michel Poulain ont été accueillies, au départ, avec beaucoup de prudence.

Mais d’autres démographes ont été envoyés sur place pour contre-enquêter… et ils sont parvenus aux mêmes résultats.

C’est donc au terme d’une recherche scientifique rigoureuse de plusieurs années, validées par plusieurs experts, que les zones bleues ont été reconnues comme des zones où l’on vivait exceptionnellement plus longtemps et en meilleure santé.

Et si on allait sur place ?

Contrairement à Michel Poulain ou Dan Buettner, rien ne laisse penser que notre chercheur australien, Saul Justin Newman, se soit rendu dans une quelconque zone bleue (il s’en serait vanté).

Ces régions ont conservé un mode de vie à l’ancienne et n’ont pas connu le développement économique spectaculaire des grandes villes riches. Elles ont ainsi pu se préserver :

  • du raz-de-marée de l’alimentation ultra-transformée ;
  • de la généralisation de la médecine chimique au détriment des remèdes traditionnels ;
  • de la pollution des sols, de l’air…

Tout autant de « privilèges » des pays riches… qui ont plus tendance à abréger la vie qu’à la rallonger…

Parmi les nombreuses choses qui m’ont frappé à Okinawa, où je me suis rendu deux fois, c’est ce maintien d’une vie simple en communauté, dans les régions rurales, loin du Japon « high-tech ». Et c’est précisément là que l’on compte le plus de centenaires…

Ces centenaires vivent modestement. Leur compte en banque, s’ils en ont un, doit être peu rempli, c’est sûr. Ils n’ont pas d’écrans plats chez eux, ni la dernière version de l’iPhone.

Mais ils ont une vie riche de sens, pleine d’amitié et d’amour. Souvent ils mangent ce qu’ils cultivent dans leur propre potager. Ils vivent dans un environnement peu urbain, entouré d’une nature encore préservée.

Nous pouvons apprendre des zones bleues

« Mais, que m’importe à moi que ces histoires de centenaires et de zones bleues soient vraies ou pas ? », vous demandez-vous peut-être.

Eh bien, ceci chers amis :

Nous pouvons tirer des leçons du mode de vie des centenaires d’Okinawa, d’Ikaria ou de Sardaigne.

Une hygiène de vie et un régime alimentaire inspirés par ceux des populations de ces régions peuvent nous aider à tenir éloignée la maladie et allonger nos années de vie en bonne santé.

La sagesse de ces personnes, leur « sens » de l’existence peut être pour nous une inspiration positive.

Pour notre chercheur australien, la longévité d’une population devrait se mesurer à l’aune du PIB/habitant…

Pour tel autre journaliste crédule, qui a pris l’étude pour argent comptant, la santé et la longévité ne se négocient qu’en termes de nutriments, de compléments alimentaires et d’heures en salle de sport… et certainement pas en prenant exemple sur des Anciens vivant loin.

Mais tout cela, chers lecteurs, n’est qu’idéologie : croire qu’il « suffit » d’avoir regardé de près des chiffres pour saper les travaux de scientifiques sérieux, et qu’il « suffit » de calculer telle quantité de nutriments par jour pour tenir éloignée la maladie… c’est aborder la santé par le petit bout de la lorgnette.

La santé, c’est un ensemble, un accord entre le corps, l’esprit et, ajouterais-je… beaucoup de bon sens.

Et c’est cet état d’esprit que nous enseignent les Anciens des zones bleues, loin, très loin du goût du complot des uns et de la mesquinerie des autres… et de la recherche du « buzz » des uns et des autres !

Portez-vous bien, et souriez, car la bonne humeur est le premier secret des centenaires !

Rodolphe Bacquet

[1] Enault (M.), « Jeanne Calment était-elle vraiment Jeanne Calment? On vous raconte la polémique », Le Journal du Dimanche, 31 décembre 2019, consulté en septembre 2019, disponible sur https://www.lejdd.fr/Societe/jeanne-calment-etait-elle-vraiment-jeanne-calment-on-vous-raconte-la-polemique-3830387

[2] « Une étude franco-suisse confirme l’âge de Jeanne Calment », Le Temps, 16 septembre 2019, consulté en septembre 2019, disponible sur https://www.letemps.ch/sciences/une-etude-francosuisse-confirme-lage-jeanne-calment

[3] Newman (S. J.), « Supercentenarians and the oldest-old are concentrated into regions with no birth certificates and short lifespans », BioRxiv, 16 juillet 2019, consulté en septembre 2019, disponible sur https://doi.org/10.1101/704080