Chers amis,

Les rémissions spontanées du cancer sont moins rares qu’on ne le croit, je vous l’expliquais dans ma dernière lettre. 

Dans cette lettre, je vais vous parler d’un point commun entre ces rémissions du cancer, qui est aujourd’hui à la base d’une nouvelle approche de traitement.

Des rémissions spontanées précédées… d’une infection

De nombreux malades ayant connu une rémission semblent avoir contracté une infection importante après avoir déclaré leur cancer.

Plusieurs médecins pensent pouvoir établir un lien entre cet épisode infectieux et la disparition du cancer… sans parvenir à vraiment comprendre pourquoi.

Il s’agit moins d’une découverte… que d’une redécouverte.

Plusieurs papyrus égyptiens relatent, en effet, qu’on pratiquait en 1600 avant notre ère l’incision de tumeurs, puis qu’on les recouvrait d’un cataplasme pour favoriser la macération et l’infection de la plaie[1].

Dans les années 1870, à l’hôpital Middlesex de Londres, un chirurgien, Campbell de Morgan, constate des rémissions de cancer après une infection et notamment chez des patients ayant contracté… la tuberculose.

Il est convaincu qu’il ne s’agit pas là d’une coïncidence et que c’était une piste pour soigner la maladie.

C’est un jeune chirurgien qui va concrétiser son idée quelques années plus tard, de l’autre côté de l’Atlantique.

Infection bactérienne contre cancer

Au début des années 1890, William Coley exerce au New York Cancer Hospital, le plus important hôpital américain pour cancéreux.

Il a affaire à un cas compliqué : un patient atteint d’un sarcome de la taille d’un œuf qui dévore… sa joue.

L’homme a déjà subi des opérations, mais le cancer récidive à chaque fois.

La plaie est si béante que les chirurgiens n’ont pas pu la refermer et les tentatives de greffe de peau ont échoué. Après une nouvelle opération, qui n’a pu enlever la tumeur que partiellement… la plaie s’infecte. Il s’agit d’un érysipèle, affection cutanée superficielle causée par la bactérie Streptococcus pyogenes.

Le patient développe une forte fièvre. William Coley assiste, impuissant, à son combat contre l’infection, mais il constate avec stupéfaction qu’à chaque poussée de fièvre, la tumeur régresse… pour finir par disparaître totalement !

Étonné par cette issue inattendue, Coley fouille la littérature médicale et retrouve 47 récits de régression d’un cancer des os (un sarcome osseux) suite à une infection à streptocoque.

Le jeune médecin franchit alors un pas téméraire : il décide de reproduire ce que le hasard vient de réaliser.

Autrement dit… il va infecter volontairement ses patients cancéreux pour tenter de les guérir.

L’étrange « vaccin » anti-cancer du Dr Coley

William Coley met donc au point une sorte de « vaccin » contenant la bactérie Streptococcus pyogenes, neutralisée par la chaleur, et une autre bactérie moins agressive, Serratia marcescens, dont la présence est destinée à doper la réaction du système immunitaire après l’injection.

Il inocule sa solution, qu’on a par la suite appelée « toxines de Coley », à 10 volontaires.

Les résultats sont variables : il arrive que l’infection ne parvienne pas à s’installer, ou qu’elle soit si féroce qu’elle en soit fatale au malade.

De telles expérimentations seraient aujourd’hui qualifiées de sauvages ; la communauté médicale tomberait sur le dos du Dr Coley.

Cependant, pour certains des 10 cas, l’inoculation a bel et bien entraîné la régression du cancer.

Un immigré italien de 35 ans nommé Zola, atteint d’un sarcome inopérable de la taille d’un œuf au niveau du cou et de l’amygdale droite, était considéré comme condamné. Il manque de mourir de l’infection… mais la tumeur régresse finalement. Le patient, qui ne pouvait plus s’alimenter à cause de son pharynx bloqué, peut de nouveau avaler des aliments solides. Une récidive fatale l’emportera. Mais seulement huit ans plus tard.  

C’est un succès pour Coley.

Il traitera de cette manière, tenez-vous bien, plus de 1000 patients atteints de cancers inopérables (des sarcomes, des carcinomes, des lymphomes, des myélomes et autres mélanomes) au cours de sa carrière.

Mais l’approche de Coley ne fera pas école.

D’abord parce qu’elle est difficile à standardiser, ensuite parce que la radiothérapie et la chimiothérapie, qui se sont développées en parallèle, paraissaient plus prometteuses.

L’une des dernières utilisations des « toxines de Coley » a été faite en Chine en 1989, sur un homme atteint d’un cancer du foie au stade terminal. Après plusieurs mois de traitement, toutes les tumeurs de ce patient avaient régressé[2].

Une analyse menée en 1994[3] sur l’utilisation des toxines de Coley dans le cadre de cancers inopérables a révélé un taux de rémission de 64 % et de survie des patients à cinq ans de 44 %.

Des résultats aussi bons, ou meilleurs selon le type de cancer, que ceux obtenus avec les traitements actuels, sans effets secondaires.

Un principe simple : stimuler l’immunité pour terrasser les tumeurs

William Coley est en réalité un précurseur d’une méthode thérapeutique très en pointe actuellement : l’immunothérapie

Les défenses immunitaires de notre organisme, vous le savez, sont chargées d’éliminer aussi bien les microbes que les cellules devenues anormales… c’est-à-dire les cellules cancéreuses. 

Le développement d’une tumeur cancéreuse au sein de notre organisme est bien la conséquence d’une faille de notre système immunitaire : les cellules cancéreuses savent se faire discrètes et passer « sous le radar ».

La donne change lorsque le système immunitaire est mis en alerte pour une autre raison.

Cette alerte peut apparaître sous les traits d’une infection quelconque, provoquée par une bactérie, un virus, un champignon ou même un parasite.

Alors, ce système immunitaire se mobilise alors pour combattre cet intrus, facile à identifier. Et une fois mis en branle, il perçoit l’autre menace qui était tapie dans l’ombre… et peut alors l’éliminer.

Coley et les chercheurs en immunothérapie ont aussi mis en évidence que l’organisme répond mieux au cancer en cas de fièvre.

Les patients de Coley qui développaient une température corporelle entre 38 et 40° suite aux injections répondaient trois fois mieux au traitement que ceux qui avaient moins de fièvre[4].

La fièvre active tout simplement les mécanismes de défense !

Elle favorise par exemple la production des lymphocytes T et B, la sécrétion des anticorps protecteurs et des interférons, ces petites molécules capables d’activer les cellules immunitaires.

Cette « remise en branle » de la mécanique immunitaire peut également prendre la forme d’un geste traumatique : une intervention chirurgicale, voire une simple biopsie, comme cela s’est probablement passé dans l’histoire de l’homme qui a guéri du cancer du poumon, que je vous ai racontée dans ma précédente lettre.

Au cours de l’intervention, des molécules externes (« les antigènes ») s’infiltrent dans la lésion et sont alors reconnues par les défenses immunitaires… qui déclenchent leur plan d’action.

L’immunothérapie, une voie d’avenir… confisquée par les laboratoires pharmaceutiques

Aujourd’hui, l’immunothérapie suscite de nombreux espoirs dans le traitement du cancer, et elle est l’objet de nombreuses études.

Différentes approches sont déjà utilisées, comme l’injection du vaccin BCG (l’antituberculeux) dans la vessie en cas… de cancer de la vessie. Ou par l’administration d’interféron, d’interleukine 2 ou d’anticorps monoclonaux.

La voie actuellement la plus approfondie est celle qui consiste à stimuler artificiellement l’immunité avec un médicament.

Et c’est malheureux. 

Car c’est un choix purement commercial : une molécule à injecter peut se vendre très cher, alors qu’une bactérie communément trouvée dans la nature sera… beaucoup moins rentable.

Une chercheuse américaine a consacré des recherches passionnantes sur la place du l’immunité dans les rémissions spontanées du cancer.

Elle s’est entretenue avec 1500 patients qui ont tous connu une rémission de leur cancer, en parallèle ou tout à fait en-dehors de traitements conventionnels.

Ces 1500 patients ont adopté des approches dont on peut tirer de grandes leçons…

Je vous en parle dans ma prochaine lettre !

Portez-vous bien, 

Rodolphe Bacquet


[1] Wikipédia. Papyrus Ebers : Le traité des tumeurs. https://fr.wikipedia.org/wiki/Papyrus_Ebers#Le_trait%C3%A9_des_tumeurs

[2] Nauts, H. C. (1989). Bacteria and cancer–antagonisms and benefits. Cancer Surv. 8(4):713-23. PMID: 2701726.

[3] Wiemann, B. & Starnes, C.O. (1994). Coley’s toxins, tumour necrosis factor and cancer research: a historical perspective. Pharmacol Ther 64:529–564. DOI: 10.1016/0163-7258(94)90023-x

[4] Jessy, T. (2011). Immunity over inability: The spontaneous regression of cancer. J Nat SciBiol Med 2: 43-49. DOI: 10.4103/0976-9668.82318