Chers amis,

Encore le sommeil. Je vous parlais, dimanche, des raisons pour lesquelles on dort généralement mieux dans son lit qu’ailleurs – au moins la première nuit[1].

Mais, que ce soit dans votre lit, dans une chambre d’hôtel ou chez des amis, combien d’entre vous se sont retrouvés éveillés, regardant le plafond, autour de 4 heures du matin ?

Cela m’est arrivé encore la nuit dernière, et m’arrive en fait régulièrement, ces derniers temps. Si cela vous arrive, vous devez connaître cette surprise mêlée de résignation qui vous fait saisir votre réveil, ou votre montre, pour constater qu’il n’est « que » 4 heures.

Trop tôt pour se réveiller, trop tard pour espérer faire une nuit complète.

Mais pourquoi précisément 4 heures (une plage de temps qui peut en réalité aller de 3 à 5 heures du matin) ?

Pourquoi se réveille-t-on vers 4h du matin ?

Les raisons de ces réveils intempestifs ont pour l’essentiel quatre (tiens !) explications, ressortissant de la biologie, de votre environnement, de votre état psychologique et de votre hygiène de vie.

La première est directement liée aux cycles du sommeil : notre sommeil est composé de plusieurs cycles, chacun durant environ 90 minutes.

Le réveil peut survenir à la fin de l’un de ces cycles, notamment lors de la phase de sommeil léger, sachant que, plus on avance dans la nuit, plus les phases de sommeil paradoxal et de sommeil léger s’allongent : les phases de sommeil profond (les plus réparatrices) sont derrière nous, rendant les réveils plus faciles.

C’est l’origine la plus « naturelle » de ces réveils, et ils ne doivent pas nécessairement être pris comme des troubles du sommeil (j’y reviens plus loin).

Une deuxième raison tient aux déséquilibres hormonaux : avec l’âge, la production de la mélatonine – l’hormone du sommeil – baisse, ce qui « réduit » la marche de votre horloge interne. Les perturbations de l’hormone thyroïdienne peuvent également provoquer des réveils.

Par ailleurs, les fluctuations des niveaux de cortisol, l’hormone du stress, peuvent également perturber votre sommeil.

Normalement, le cortisol augmente dans la deuxième partie de la nuit pour préparer le corps au réveil, mais un déséquilibre peut entraîner un réveil prématuré.

La troisième raison, le stress et anxiété, est directement liée au cortisol : les hauts niveaux de cortisol que l’on garde dans l’organisme peuvent aussi bien nous empêcher de nous endormir… que nous empêcher de finir correctement la nuit.

Vers 4 heures, la température corporelle augmente légèrement après avoir atteint son point le plus bas, signalant à notre corps l’approche du réveil. Si le cerveau est en état d’alerte, cette variation peut suffire à nous réveiller.

 À noter que « l’insomnie terminale » (le fait de se réveiller vers 4h et de ne pas parvenir à se rendormir) est souvent associée à la dépression ; c’est donc un signe à surveiller de près.

Enfin, l’hygiène de vie – mais cela, je vous en ai parlé à plusieurs reprises déjà :

  • l’usage d’écrans avant de dormir ou tout simplement au cours de la journée perturbe la production de mélatonine ;
  • manger trop riche et trop tard fait travailler votre système digestif jusque tard dans la nuit ;
  • une trop grande consommation d’excitants – le café en premier lieu – agit, elle, sur vos niveaux de cortisol ;
  • certains médicaments (bêtabloquants et antidépresseurs notamment) ont pour effets secondaires bien connus de perturber le sommeil.

L’interprétation de la MTC

La médecine traditionnelle chinoise propose une interprétation fascinante des réveils nocturnes, notamment ceux qui surviennent autour de 4 heures du matin.

Selon la MTC, chaque période de la nuit est associée à un organe spécifique de notre corps, et les réveils répétés à une heure donnée peuvent indiquer un déséquilibre ou un blocage de l’énergie, aussi connue sous le nom de « Qi », dans cet organe particulier.

Le moment situé entre 3 heures et 5 heures du matin est lié au poumon et à la tristesse.

Un réveil régulier à ces heures pourrait donc signaler un déséquilibre au niveau des poumons ou une tristesse non exprimée.

C’est le moment où le Qi circule dans les poumons, et une perturbation peut indiquer que vous devez vous libérer d’une tristesse ou d’un deuil.

En médecine chinoise, on considère que la respiration est intimement liée à la régulation des émotions. Une circulation harmonieuse du Qi dans les poumons favorise l’équilibre émotionnel et la détente, permettant ainsi un sommeil paisible et réparateur.

Lorsque cette circulation est entravée, elle peut se manifester par des réveils nocturnes.

Pour remédier à cette situation, la MTC suggère diverses approches, telles que la pratique du Qi Gong ou du Tai Chi, qui peuvent aider à harmoniser le flux d’énergie dans le corps, ou encore l’acupuncture, qui vise à rétablir l’équilibre du Qi.

Des ajustements alimentaires peuvent également être bénéfiques, en privilégiant des aliments qui nourrissent le Qi des poumons : le poireau, le millet, la cannelle, le gingembre, l’ail, le céleri, le chou-rave et le radis.

Et si je me réveille systématiquement à une autre heure de la nuit ?

Si vous vous réveillez systématiquement à une autre heure de la nuit, voici une interprétation des tranches horaires nocturnes et de leurs significations potentielles selon la MTC :

23h à 1h (Vésicule biliaire) : c’est le moment où le corps doit se reposer et se détendre. Si vous vous réveillez souvent durant cette période, cela pourrait indiquer un stress ou une frustration accumulée.

1h à 3h (Foie) : Cette période est cruciale pour le processus de détoxification du foie. Les réveils à ce moment pourraient signaler un déséquilibre émotionnel ou une colère refoulée.

5h à 7h (Gros intestin) : C’est le moment de se réveiller et d’éliminer. Des réveils fréquents peuvent suggérer un blocage ou une résistance au changement.

Il est entendu que je vous livre ces informations comme autant d’indices à explorer plus avant en fonction de votre situation. Cependant, comme je vous l’annonçais plus haut, un réveil nocturne n’a rien de « non-naturel ».

Dormir 8 heures d’une traite n’est pas naturel

Roger Ekirch, historien et professeur à l’Université Virginia Tech, a apporté au début de notre siècle une contribution majeure à notre compréhension du sommeil avec ses travaux révolutionnaires, en particulier à travers son livre La Grande Transformation du sommeil, traduit et publié en français en 2021[2].

Ses recherches démontrent que le réveil nocturne, loin d’être un phénomène moderne ou le signe d’un trouble du sommeil, était en réalité la norme dans les sociétés préindustrielles.

Avant l’avènement de l’éclairage artificiel et de la révolution industrielle, le sommeil était couramment divisé en deux périodes distinctes au cours de la nuit.

Cette pratique, appelée sommeil biphasique, comprenait une première phase de sommeil profond commençant peu après le coucher du soleil, suivie d’un réveil d’une heure ou deux au milieu de la nuit, période pendant laquelle les gens vaquaient à diverses activités : lire, écrire, méditer sur leurs rêves (ce qui paraît logique, étant donné que l’on se souvient bien mieux de ses rêves au milieu de la nuit !) ou même rendre visite à leurs voisins.

Puis, ils retournaient au lit pour une seconde phase de sommeil jusqu’à l’aube. Cette interruption entre les deux phases de sommeil était non seulement acceptée mais aussi intégrée dans le rythme naturel de la vie quotidienne.

Attention, il ne s’agit en aucun cas d’une vision idéalisée de ce qu’aurait été le sommeil de nos ancêtres. Ils ne dormaient pas forcément mieux, ni même plus longtemps : ils dormaient différemment.

Leur sommeil n’était même pas nécessairement plus réparateur, dans la mesure où les lits n’étaient pas ceux que nous connaissons aujourd’hui : ils étaient souvent peu confortables, et prenaient parfois la forme de paillasses, que l’on partageait avec ses propres enfants, dans les familles les plus modestes[3].

Bref, les niveaux de confort et de promiscuité n’avaient pas grand’ chose en commun avec ce que nous connaissons aujourd’hui ; mais ils ne s’en accommodaient pas plus mal.

« Résurrection nocturne »

Aujourd’hui, se réveiller au milieu de la nuit est souvent source d’anxiété, et est perçu comme un problème à résoudre, une anomalie vis-à-vis de la norme d’une nuit de sommeil ininterrompue – et c’est ainsi que j’ai abordé cette question dans cette lettre.

Or, l’Histoire nous montre que ce modèle de sommeil continu est en fait une construction relativement récente, modelée par les exigences de l’ère industrielle et par l’extension de l’éclairage nocturne.

Le sommeil d’un bloc de 8 heures ne s’est en effet imposé qu’avec les normes du travail moderne, la nécessité de pointer pour les ouvriers ou de se rendre à l’école à heure fixe pour les écoliers.

Notre vie sociale, aujourd’hui, est régie par ces normes horaires… qui sont, comme leur nom l’indique, des normes, et, par-dessus le marché, des normes extrêmement récentes à l’échelle de l’histoire humaine.

Je ne suis évidemment pas en train de vous dire qu’il vous faut, dès à présent, vous réveiller au milieu de la nuit et cuisiner, remplir votre déclaration d’impôts ou faire une partie de solitaire à la lueur de la lune !

Mais les découvertes d’Ekirch ont le mérite de déstigmatiser les réveils nocturnes, et de nous faire prendre conscience que notre corps peut naturellement tendre vers un sommeil segmenté ; rien que cela, à mon sens, peut vous aider à réduire le stress et l’anxiété associés à ces réveils.

Plutôt que de lutter contre ces moments d’éveil, il pourrait être bénéfique de les accepter comme une partie normale et naturelle du cycle de votre sommeil

… Si vous en avez, évidemment, la possibilité, c’est-à-dire si vous êtes maître(sse) de vos heures de sommeil, avec la possibilité par exemple d’effectuer une courte sieste en milieu de journée pour « rembourser » votre éventuelle dette de sommeil.

Il y a deux avantages à cela : d’une, les travaux d’Ekirch nous invitent à reconnaître et valoriser la qualité plutôt que la quantité de sommeil, et permettre à notre corps de suivre les rythmes qu’il juge naturels, sans la pression de se conformer à un idéal moderne qui, historiquement, est loin d’être universel.

De deux, il est possible de mettre à profit l’état de veille entre le « premier » et le « second sommeil » pour y consacrer une activité pour laquelle vous n’avez pas nécessairement le temps au cours de la journée.

L’écrivain Robert Louis Stevenson, qui profitait de cette heure pour fumer et méditer au calme, appelait cette heure de veille du joli nom de « résurrection nocturne »[4]. À noter qu’il n’y a pas d’heure fixe pour cette heure de veille : elle dépend tout simplement de votre heure d’endormissement.

D’après Ekirch, cette heure de veille nocturne était souvent consacrée à la sexualité, dans un contexte où les journées de travail n’en laissaient guère le temps aux couples.

Cette habitude pourrait même, d’après Ekirch, ce qui expliquerait la fécondité des couples du Moyen-Âge, bien supérieure à celle observée aujourd’hui[5].

À l’heure où l’on parle carrément de « récession sexuelle »[6] vue la dégringolade de la libido des Français, accablée par la réduction de temps de sommeil, et supplantée par l’omniprésence des écrans et de l’addiction à la VOD… ce serait en effet une belle « résurrection nocturne » !

En somme, plutôt que de voir le réveil nocturne comme un problème à résoudre, vous pourriez l’embrasser comme une composante naturelle de sommeil, potentiellement enrichissante pour votre bien-être… si vous avez la possibilité, et l’envie, bien sûr.

Portez-vous bien,

Rodolphe


[1] Rodolphe Bacquet « Pourquoi vous dormez mieux dans votre lit normalement » Altermatif Bien-Être, 2024.

[2] Editions Amsterdam, trad. J. Vidal

[3] Ibid., p.42

[4] Ibid., p.47

[5] R. Ekirch, p.23

[6] « Récession sexuelle : dix stratégies pour éviter le krach » Le Monde. 2024