Chers amis,

Qu’est-ce qui tire l’ours de son sommeil hivernal ?

La douceur des températures ?

L’épuisement des réserves de graisse qu’il s’était constituées ?

La lumière qui pénètre dans sa caverne et vient chatouiller sa paupière endormie ?

Sans doute un peu de tout cela, mais je préfère vous parler d’une autre « cause » de son réveil, plus poétique : l’apparition d’une petite plante sur le sol de la forêt, véritable pionnière des nouvelles pousses printanières.

Selon la tradition c’est la forte et délicieuse odeur de ses feuilles qui allèche les babines de notre animal et le pousse à sortir.

On l’a donc nommée ail des ours.

La première à se nourrir du retour du soleil 

L’ours se délecte-t-il vraiment d’ail des ours, au moins pour agrémenter ses plats de viande crue ?

Je ne sais pas et je me garderai bien d’essayer de lui en passer sous le museau pour voir sa réaction.

C’est évidemment la coïncidence de la sortie de sa caverne par l’ours et celle du humus frais et humide de cet ail sauvage qui a donné à ce dernier son nom.

Pour percer le sous-bois, l’ail des ours profite des premiers rayons du soleil printanier que laissent passer les branches d’arbre encore nues au mois de mars, ainsi que de l’énergie qu’il gardait en réserve dans son bulbe.

Vous le trouverez le plus facilement dans des forêts de feuillus, près de rivières.

Une fois que vous aurez repéré ses feuilles en forme de lance, frottez-les entre vos doigts, une forte odeur d’ail s’en dégage !

Dans nos assiettes avant même l’invention de l’assiette

En mars, partir à la recherche de cette plante précoce n’est pas seulement amusant et gratifiant : vous allez surtout faire la connaissance d’un allié santé hors-norme.

L’ail des ours tient une place saisonnière dans nos assiettes… depuis bien plus longtemps que l’invention de l’assiette elle-même.

Déjà connu et apprécié par les chasseurs-cueilleurs du Mésolithique il y a 10 000 ans, le médecin grec Dioscoride en vantait les propriétés détoxifiantes au Ier siècle.

La célèbre Maria Treben l’indique pour une crise d’épuration printanière.

Une revue de ses bienfaits confirme qu’il est antiseptique, dépuratif, digestif, qu’il stimule la circulation sanguine et qu’il a un grand potentiel dans le traitement des maladies cardiovasculaires[1].

Et il est riche en vitamine C, fer, manganèse et magnésium !

Sa cueillette et sa préparation – en teinture ou tout simplement en cuisine – donnent le la d’un printemps en forme : vous pouvez l’utiliser comme condiment, cru ou cuit.

Comment le cueillir sans se tromper ?

Je vous écrivais plus haut que l’ail des ours est facile à identifier grâce à ses feuilles en forme de lance ; toutefois faites attention à ne pas la confondre avec trois autres plantes, qui « sortent » à peu près en même temps : l’arum tacheté, le colchique et le muguet des bois.

De gauche à droite : l’ail des ours, l’arum tacheté, le colchique et le muguet

Les feuilles de l’arum tacheté ressemblent à celles de l’ail des ours quand elles sortent, mais pas après : c’est donc au tout début du printemps que la confusion peut se faire, d’autant plus que les deux plantes se développent dans les mêmes endroits.

C’est la confusion la moins dangereuse : l’absorption de ses parties fraîches peut causer une inflammation, une brûlure et un œdème de la langue et des lèvres.

La confusion avec le colchique et la plus dangereuse car son ingestion peut être fatale, même à faibles doses. Quelques cas d’empoisonnements se produisent ainsi chaque année[2].

Heureusement, il est aussi plus facile à distinguer. Il pousse pour l’essentiel dans les prairies, mais parfois aussi à la lisière des forêts, au milieu de tapis d’ail des ours. Les feuilles de colchique ont la même forme que celles d’ail des ours, cependant elles sont un peu plus allongées et plus rigides.

Enfin, le muguet a, vous le savez, l’élégance de sortir plus tard – pour le 1er mai. Son apparition coïncide donc avec la « fin de la saison » de l’ail des ours.

C’est pourtant avec cette plante que la confusion est la plus facile car les deux feuilles se ressemblent vraiment, et tant que la plante n’a pas fleuri il faut connaître ce « truc » pour les différencier : les feuilles de muguet sont plus rigides et leur face supérieure est plus mate et plus claire que leur face inférieure, alors que c’est l’inverse pour les feuilles d’ail des ours.

L’ingestion de muguet peut provoquer des vomissements, des douleurs abdominales et des diarrhées.

En somme, le critère incontournable pour être sûr de cueillir l’ail des ours consiste à frotter les feuilles et vérifier qu’une odeur d’ail s’en dégage.

Un autre critère, mais qui intervient un peu plus tard, c’est les fleurs de l’ail des ours, qui ressemblent à des petites étoiles avec leurs six pétales blancs (voyez le dessin plus haut).

L’ail des ours est excellent en pesto. Si vous en cueillez et le cuisinez, n’hésitez pas à partager vos recettes en commentaire !

Portez-vous bien,

Rodolphe


[1] Danuta Sobolewska,corresponding, Irma Podolak, Justyna Makowska-Wąs. “Allium ursinum: botanical, phytochemical and pharmacological overview.” Phytochem Rev. 2015

[2] Philippe Dubath « Tragique méprise à Bex: il mélange du colchique à de l’ail des ours » TdG. 2014