Chers amis,

Si je devais résumer le principal travers de la médecine « officielle », je le ferais avec cet adage : « L’enfer est pavé de bonnes intentions ».

Le dogmatisme et les intérêts financiers se chargent ensuite de transformer ce chemin pavé en autoroute à six voies.

Un produit extrêmement populaire développé au début du XXe siècle par l’industrie agro-alimentaire est le résultat aberrant de ce mélange explosif d’obsession médicale et de mercantilisme cynique : les corn flakes.

Le Dr Kellogg, obsédé par le sexe

Les plus naïfs (ou endoctrinés) de nos contemporains font preuve d’une foi aveugle envers la médecine officielle, considérant qu’elle est le fruit d’un progrès ininterrompu, résultat de plusieurs siècles de découvertes scientifiques glorieuses et immaculées.

En réalité la médecine est autant, sinon davantage, faite de croyance que de science.

De croyance, et même d’obscurantisme.

L’histoire de la médecine est jalonnée d’idéologies et de théories qu’on a considéré à un moment donné comme scientifiques, mais que le temps a finalement démenties et même ridiculisées.

Les « vérités » médicales d’un siècle – comme la phrénologie (la « science » permettant d’établir l’intelligence d’un sujet en fonction de la forme de son crâne) ou l’eugénisme – se révèlent, le siècle suivant, non seulement démodées mais dommageables.

Elles ont eu d’ici là le temps d’occasionner de vrais dégâts, non seulement chez d’innombrables patients, mais aussi dans les esprits.

Ainsi en va-t-il du DrJohn Harvey Kellogg qui, lorsqu’il était médecin en chef du sanitorium de Battle Creek, dans le Michigan, s’est lancé dans une « sainte croisade » : la lutte contre le sexe en général, et la masturbation en particulier.

Ainsi le Dr Kellogg recommande-t-il aux femmes de moins de 20ans et aux hommes de moins de 25ans une abstinence sexuelle complète et, dans le cadre du mariage, un rapport sexuel par mois grand maximum[1].

Pour le Dr Kellogg, la sexualité était une passion pécheresse et la masturbation le moyen le plus rapide de gagner son ticket pour l’enfer.

Soyez sage ! Le bon Dr Kellogg vous a à l’œil

Croisade, péché, enfer : je n’emploie pas toutes ces références religieuses gratuitement.

L’obsession du Dr Kellogg pour (ou plutôt contre) le sexe était en effet le fruit d’une double conviction, à la fois médicale et religieuse.

John Harvey Kellogg était un membre actif de l’Église adventiste du septième jour, une organisation protestante et conservatrice constituée dans la seconde moitié du XIX e siècle à… Battle Creek, l’endroit même où officie le brave docteur.

Vis-à-vis de la sexualité, ce mouvement religieux prône l’abstinence : le plaisir sexuel est un péché (toute forme de plaisir du corps en fait est impure) et l’acte d’amour ne devrait être effectué que dans un seul et unique but, la procréation.

Mais que vient faire la médecine là-dedans ?

« Les victimes meurent de leur propre main »

Le tabou et la réprobation pesant sur la « sexualité impure » et la masturbation sont bien antérieurs à l’Église adventiste du septième jour, et même au christianisme.

C’est une considération d’ordre moral : dans l’Antiquité grecque, la masturbation est considérée comme un acte quasi-animal. Seules les personnes déclassées s’y livrent.

Avec l’arrivée des religions monothéistes apparaît la notion de péché, notamment parce que, pour l’homme, la masturbation équivaut au gaspillage d’une précieuse semence.

La considération par la médecine des « effets secondaires » de la masturbation apparaît à la fin du XVIIIe siècle et s’adresse aux parents des enfants qui s’y livrent : on croit, alors, que le « vice solitaire » rend sourd, ou aveugle, au choix[2].

Au XIXe siècle, cette croyance en des dangers inhérents à la pratique masturbatoire bat son plein. Le Dr Kellogg embrasse cette cause à bras le corps, suivant une conviction admirablement résumée par le Dr Adam Clark et que cite Kellogg dans son livre Plain facts for Old and Young :

«Ni la peste, ni la guerre, ni la petite vérole, ni les maladies similaires, n’ont produit de résultats aussi désastreux pour l’humanité que l’habitude pernicieuse de l’onanisme[3]»

J’ai parcouru ce livre édifiant du Dr Kellogg, étrange mélange de considérations médicales et de citations de la Bible portant sur la chasteté et son versant diabolique, la sexualité. Vous pouvez le consulter intégralement en ligne (en anglais) dans le lien en source.

Un chapitre entier est consacré à la masturbation, accusée de provoquer des maladies urinaires, des émissions nocturnes, le cancer de l’utérus, l’impuissance, l’épilepsie, la folie, la débilité physique et mentale et même «l’obscurcissement de la vision».

Et le Dr Kellogg de conclure par cette phrase mémorable : « Les victimes meurent de leur propre main » !!

Et c’est là, aussi étonnant que cela puisse paraître, que nos corn flakes entrent en scène.

Les corn flakes sont un instrument de torture comme les autres

Vous l’avez compris, le Dr Kellogg a consacré sa vie et sa carrière à lutter contre le sexe sous toutes ses formes.

Copuler et se masturber étaient à ses yeux une perte d’énergie débilitante, à la fois dommageable à la santé du corps et de l’âme.

Pour aider ses patients à lutter contre le plus dangereux de ces vices – la masturbation donc – le Dr Kellogg n’y allait pas par quatre chemins : il recommandait d’appliquer de l’acide carbolique sur le clitoris de la femme pour lui éviter toute excitation inhabituelle, et d’utiliser la circoncision comme remède contre la masturbation masculine.

Ou encore de bander les mains ou de les attacher pour les plus forcenés !

On est ici dans le registre de la maltraitance et même de la torture, mais comme c’était un médecin qui dressait cette ordonnance, cela paraissait tout à fait normal (cf. le PS de cette lettre).

La moins terrible et la plus facile à appliquer de ses méthodes pour éviter de se livrer à une sexualité débridée avait trait à la nutrition. Voici un verbatim de ses recommandations :

« Jetez tous les aliments stimulants : […] les épices, le poivre, le gingembre, la moutarde, la cannelle, les clous de girofle, les essences, tous les condiments, le sel, les cornichons, etc., ainsi que les aliments animaux de toute espèce, à l’exclusion du poisson, de la volaille, des huîtres, des œufs et du lait. […] Il faut s’abstenir encore plus strictement des boissons stimulantes. Le vin, la bière, le thé et le café ne doivent en aucun cas être consommés. L’influence du café sur la stimulation des organes génitaux est notoire. Le chocolat doit également être jeté. Il est recommandé par certains qui le supposent être inoffensif, ignorant qu’il contient un poison pratiquement identique à celui du thé et du café. Les boissons chaudes de toutes sortes sont à proscrire. […] Au lieu des articles condamnés, mangez des fruits, des céréales et des légumes. Il existe une grande variété de ces types d’aliments, sains et peu stimulants. La farine de Graham, les flocons d’avoine et les fruits mûrs sont les indispensables d’un régime alimentaire pour ceux qui souffrent d’excès sexuels.[4] »

On ne devait pas beaucoup s’amuser à la table du Dr Kellogg ! Et tous ses patients étaient au même régime.

Ce régime eut bientôt un aliment vedette : les corn flakes.

Leur invention s’est faite dans des conditions assez floues, faisant intervenir le frère du Dr Kellogg, Will Keith Kellogg, qui les commercialisa par la suite – mais je vais y revenir.

Remarquant que ses patients avaient pour grave habitude de manger tout ce qu’il ne fallait pas au petit-déjeuner, à savoir du bacon et du café, le Dr Kellogg y substitua dans un premier temps des flocons d’avoine, puis des grains de maïs soufflés.

Leur intérêt ? Ils étaient considérés comme nutritifs, tout en étant parfaitement insipides.

Autrement dit, ils n’étaient pas « stimulants » : ils nourrissaient sans éveiller d’appétit sexuel.

Telle est l’édifiante origine des corn flakes.

Mais les corn flakes se sont ensuite dévoyés… sur l’initiative du propre frère – et co-inventeur des corn flakes – du Dr Kellogg ! On n’est jamais trahi que par ses proches.

Les corn flakes sucrés, les corn flakes salés, les corn flakes dévoyés !

Pour être honnête, tout n’est pas à jeter dans les conseils nutritionnels du Dr Kellogg.

Si l’on regarde au-delà de sa croisade obsessionnelle contre la sexualité et la masturbation et qu’on fait abstraction de la coloration systématiquement religieuse de ses conseils, quelques autres de ses partis pris ont, depuis, été validés pour leurs bienfaits santé.

Le fait, notamment, d’adopter un régime majoritairement végétarien, de s’alimenter sans excès, de pratiquer le jeûne intermittent (il préconise deux repas par jour), de manger léger le soir et… de réduire à leur plus simple expression les « poisons blancs » que sont le sel et le sucre.

Or c’est précisément sur ce point-là – le sel et le sucre – que les choses ont commencé à dérailler.

Les deux frères Kellogg se sont livrés à un bras de fer durant plusieurs années car le frère cadet du Dr Kellogg voulait absolument commercialiser auprès du grand public les fameux corn flakes… mais en y ajoutant du sucre afin de leur donner plus de goût !

On comprend que le Dr Kellogg, pour qui la fadeur alimentaire était la mère de toutes les vertus, ait vu d’un mauvais œil non seulement l’exploitation commerciale des corn flakes mais, plus grave encore, l’ajout d’un ingrédient « stimulant » qu’il réprouvait.

Et l’ironie de la chose, c’est que Will Keith Kellogg a fondé en1906 la Battle Creek Toasted Corn Flake Company sur la promesse que ses corn flakes… étaient bons pour la santé !!

Or leur seul « bienfait santé » tenait à leur fadeur, bienfait automatiquement annulé par l’ajout artificiel de sucre, dont on sait aujourd’hui qu’il déroule le tapis rouge à l’obésité, au diabète de type2 et à presque toutes les maladies de civilisation.

Pour le reste, aujourd’hui encore, c’est un zéro pointé : les corn flakes ne contiennent aucune fibre, et non contents d’être enrichis en sucres, ils sont aussi enrichis en sel !

Ainsi l’index glycémique des corn flakes culmine à 77 (sachant que 70 est déjà considéré comme excessif)[5] et en avalant 100grammes de corn flakes, vous avalez un gramme de sel[6].

Et je passe sur l’origine du maïs !…

Certains pays sont plus vigilants que d’autres sur ces sujets : plusieurs des produits de la marque Kellogg sont interdits depuis près de 20ans au Danemark car jugés mauvais pour la santé en cas de consommation régulière. Ils porteraient atteinte au foie et aux reins des enfants ainsi qu’aux fœtus chez les femmes enceintes[7].

Bref, ce n’est pas parce que vous mangez des cornflakes au petit-déjeuner que vous n’irez pas en enfer ; ce n’est certes pas non plus parce que vous en mangez que vous y finirez…

… Mais dans tous les cas, ça n’améliorera pas votre état de santé.

Portez-vous bien,

Rodolphe

P.-S. : Il peut être facile, j’en conviens, de casser plus d’un siècle plus tard du sucre sur le dos du Dr Kellogg. Mais ne sous-estimez pas ce personnage, considéré à l’époque comme un éminent médecin, et qui avait une influence considérable sur ses contemporains – influence sur laquelle son frère a, du reste, assez cyniquement « surfé » lorsqu’il a commercialisé les corn flakes. Le Dr Kellogg était authentiquement « de son temps » puisque son livre fait plusieurs fois référence à la phrénologie dont je vous parlais plus haut et qu’il fut le fondateur de la «Conférence pour l’amélioration de la race», militant pour la stérilisation des «éléments défectueux», telles que les personnes atteintes de déficiences intellectuelles ou les criminels. Bref, il les accumulait ; je vous invite à relire à cette lumière critique les prises de position que nos médecins contemporains les plus médiatiques prennent avec aplomb sur les plateaux télé[8].


[1] Leonard Brand et Don McMahon, The Prophet and Her Critics, Nampa : Pacific Press Publishing Association, 2005, p.79.

[2] J. Cazes, « La lutte contre l’onanisme », in. Cabinets de curiosité, Dunod, Malakoff, 2023, p.110

[3] J. H. Kellogg, Plain Facts for Old and Young, Burlington, Iowa, F. Segner & Co, 1888, Plain Facts for Old and Young (1881 edition) ; disponible ici : https://www.gutenberg.org/cache/epub/19924/pg19924-images.html#chapi1

[4] Kellogg, op. cit.

[5] Laurent Giordano, « Les céréales qu’il faut éviter au petit-déjeuner », in. Le Figaro, 24 juin 2018

[6] Marie Maurisse, « Une nutritionniste passe au crible six céréales du petit-déjeuner », in. Blick, 1er mai 2022

[7] Associated Press, « En bref : les corn flakes jugés dangereux », in. Le Devoir, 12 août 2004

[8] Barthélémy Dont, « Eugénisme, masturbation et sanatorium : l’étonnante histoire des Kellogg’s corn flakes », in. Korii Slate, 8 avril 2021