Chers amis,

Derrière ce titre un peu provocant, « comment bien choisir sa poudre de momie (ou la préparer soi-même) », se cache une pratique médicale bel et bien réelle.

Réelle, et… ni marginale, ni pratiquée par quelques illuminés dans leur coin, susceptibles s’ils vivaient aujourd’hui de tomber sous le coup de l’article 4.

Cette pratique n’a évidemment plus cours… mais si elle était encore en vigueur, vous pouvez être certains que, non seulement elle ne serait pas taxée de charlatanisme, mais qu’elle serait même défendue becs et ongles par le Conseil de l’Ordre des médecins !

Durant des siècles, en Europe, la momie réduite en poudre a en effet été considérée comme un médicament de grande valeur et de grande efficacité par les plus grands médecins, vendue en pharmacie, employée et plébiscitée par l’élite – Catherine de Médicis et François Ier eux-mêmes y eurent recours.

Je vous parle bien de momies égyptiennes, sorties de leurs tombeaux et réduites en poudre afin de servir de « drogue » (comprenez : médicament) dans la pharmacopée occidentale.

Peut-être à la lecture de ces lignes éprouvez-vous un haut-le-cœur, ou à tout le moins un dégoût bien légitime.

Pour comprendre les raisons qui ont pu faire de la poudre de momie une véritable panacée jusqu’à la fin du XVIIIème siècle, il faut revenir sur la « doxa » médicale d’alors.

« Prenez des petits chiens récemment nés, coupez-les en morceau et faites-les frire à petit feu »

Je vous l’écrivais dans ma lettre de mercredi dernier, la médecine est moins affaire de progrès scientifique que succession de modes.

Ainsi, durant tout le Moyen-Âge et la Renaissance, apothicaires et médecins eurent recours à toutes sortes de sécrétions animales pour préparer divers « médicaments » dont la complexité n’a rien à envier à l’industrie pharmaceutique contemporaine.

Les parfums et les médicaments dégageaient une odeur puissante ; et plus cette odeur était forte, meilleure était réputée la « drogue »  le médicament, donc.

L’abbé Rousseau, médecin de Louis XIV, résume ce dogme de la médecine d’alors : « Toute la vertu du médicament est dans la communication d’un certain parfum[1]. »

Médecins et apothicaires recouraient à l’ambre, au musc, à la civette, au castoréum, mais aussi aux graisses et aux chairs animales.

Ainsi, avant même de s’en prendre aux cadavres humains sous forme de momies, des remèdes à base d’animaux et notamment de chien – oui, de chien – étaient courants.

Antoine Baumé, chimiste et pharmacien français du XVIIIème siècle, donne ainsi dans l’un de ses ouvrages la recette suivante d’une huile propre à fortifier les nerfs, soigner la sciatique et la paralysie :

« On prend des petits chiens récemment nés ; on les coupe en morceaux ; on les met dans une bassine avec l’huile et le vin blanc ; on les fait cuire à petit feu jusqu’à ce qu’ils soient frits, en ayant soin d’agiter le mélange avec une spatule de bois, afin que les petits chiens ne s’attachent pas au fond[2] »

Mais, pardonnez-moi ce mot, l’huile de chien, c’est du pipi de chat à côté de la poudre de cadavre momifié, plus connu sous le terme de momie.

De la chair humaine comme médicament ?! L’abbé Rousseau, le médecin de Louis XIV dont je vous ai parlé plus haut, « démontra » l’intérêt supérieur des « propriétés médicinales du corps humain[3] » comme matière première de remèdes.

Vous comprenez que dans cette idéologie médicale de lutte contre la « putritude » interne au moyen de bonnes senteurs, la momie était la « matière première » parfaite pour un médicament : une chair humaine farcie de résines, d’aromates et de liqueurs odorantes qui l’ont préservée de la putréfaction et de la décomposition pendant plusieurs millénaires.

Qui n’utilise pas de poudre de momie n’est pas un bon médecin !

Ce « remède » aurait été prescrit dans le monde arabe au plus tôt dès le XIème siècle, puisque Avicenne vante les mérites de la « mumia » dans sa pharmacopée[4].

Cependant le mot « mumia », en ancien perse, désignait aussi bien les momies… que l’un des ingrédients employés par les anciens Égyptiens pour embaumer leurs morts : le bitume de Judée (également utilisé pour calfater les navires), dont il existait des affleurements naturels sur les bords de la Mer Morte.

Ainsi l’emploi de « poudre de momie » dans la pharmacopée européenne pourrait-il aussi bien venir… d’une mauvaise traduction des manuels de médecine perse !

Avicenne louait l’emploi de la « mumia » pour guérir de nombreux maux : fractures, céphalées, nausées.

C’est peu ou prou l’emploi qu’en feront les médecins européens, la destinant au « traitement des maladies froides et des corps meurtris » dans un manuel de médecine de 1625[5] : on s’en sert, essentiellement, pour cicatriser, désinfecter et anesthésier.

On pensait que si le corps des pharaons et des anciens Égyptiens embaumés pouvait rester plusieurs siècles en bon état, c’était parce que les onguents utilisés avaient des propriétés extraordinaires.

Au Moyen-Âge, la poudre de momie était « simplement » obtenue en grattant des momies et leurs bandelettes… puis on passa à la momie tout entière !

Le remède se présentait sous forme de baume, d’emplâtre, de liqueur ou de petits morceaux à mâchonner, mais surtout en poudre, et était également réputé efficace contre les maux de dents, d’oreilles, de reins, d’estomacs et même les rhumatismes.

Loin d’être répugnant ou choquant, le recours à de la poudre de cadavre momifié connut un tel succès que le « cours » de la momie atteignit des sommets au XIVème siècle, du fait de sa rareté et de la difficulté à s’en procurer.

Quand, à la fin du XVI ème siècle, un médecin ose remettre en question l’intérêt thérapeutique de la poudre de momie, il s’attire les foudres de ses confrères. Si le Conseil national de l’Ordre des Médecins avait existé à cette époque, nul doute qu’il aurait été convoqué pour ses prises de position contraires à « la science ».

Ce médecin, c’était Ambroise Paré, considéré comme le père de la chirurgie française.

Le Do it yourself de la poudre de momie

Il est étourdissant de penser que, durant des siècles, les antiques tombeaux d’Égypte ont été pillés afin que les corps qu’ils contenaient soient réduits en poudre.

Dire que les corps de rois, de reines, de princes, de princesses et de prêtres de la haute société égyptienne ont fini comme médicaments !

Mais, comme je vous le disais, « l’authentique momie d’Égypte » a rapidement vu son prix augmenter et sa disponibilité auprès des apothicaires européens se raréfier.

Il s’est donc créé, en Orient, une véritable industrie de « fabrication de momies d’Égypte » à destination du marché européen :

« Au lieu d’un produit de bonne odeur, véritable concentré des aromates utilisés par les Égyptiens, on trouve plus souvent, selon le savant italien Jérôme Cardan, un “genre de momie fétide, triste et horrible” (Cardan, 1556, p. 359). Certains de ces succédanés viennent d’Orient où ils sont élaborés à partir de cadavres simplement desséchés par les sables du désert ou même de cadavres récents, grossièrement embaumés dans des officines spécialisées[6]. »

C’est dans ce contexte qu’Ambroise Paré dénonce le recours à la poudre de momie : cette industrie à destination du marché pharmaceutique européen le révolte… d’autant qu’elle est également pratiquée par des apothicaires français, qui récupèrent cadavres entiers ou en morceaux au gibet pour les « confire » !!!

Autrement dit, le dogme de la poudre de momie a entraîné, dès le XV ème ou le XVI ème siècle, une véritable nécrophagie apothicaire.

Et cette tendance était parfaitement assumée. On la retrouve en effet dans plusieurs manuels de pharmacie de l’époque.

Le mode d’emploi de la préparation d’huile pour soulager les articulations à base de petits morceaux de chiots frits vous a choqué ? Attendez de lire l’extrait suivant de l’Essay de la pharmacopée des Suisses, publié en 1677 et largement réédité, expliquant comment créer sa « poudre de momie maison » :

 « Prenez le cadavre entier d’un homme rousseau (roux) de l’âge d’environ 24 ans, mort de mort violente frais et sans tare (…) découpez par morceaux ses chairs musculeuses et les saupoudrez de poudre d’absinthe, gentiane & herbe aux ails, puis faites-les tremper quelques jours dans l’esprit de vin, puis l’exposez pendant dix jours, & l’imbibez derechef d’esprit de vin, puis faites-les sécher à l’ombre, mais en lieu sec, jusqu’à ce qu’il soit semblable à la chair séchée à la fumée et sans puanteur.[7] »

Le DIY (Do it yourself, « faites-le vous-même ») non seulement ne date pas d’hier mais s’appliquait chez les médecins et les pharmaciens à la transformation de cadavres en remèdes !

Ambroise Paré dénonce ces pratiques en 1582 dans un ouvrage s’attaquant également aux remèdes à base… de cornes de licornes.

S’ensuit une cascade de pamphlets et de critiques de ses pairs, et des attaques frontales des apothicaires qui voyaient dans ses prises de position une menace pour leurs affaires[8].

On ne fabrique plus de poudre de momie… mais on fabrique bien autre chose

Aujourd’hui, vous courez peu de risque de vous voir prescrire de la poudre de momie par votre médecin ou d’en trouver en libre accès à la pharmacie.

Mais je vous invite à effectuer cet exercice : quel(s) « médicament(s) »

  • aujourd’hui considéré(s) comme efficace et sans danger,
  • faisant apparemment l’objet d’un consensus médical et industriel,
  • et contre lequel toute attaque ou remise en question vaut une volée de bois vert de ses pairs à celui qui ose émettre ces critiques…

… semblera scandaleux dans deux ou trois siècles ?

Quelle « préparation », qui vous semble aujourd’hui sûre et normale, choquera nos descendants, étonnés que nous ayons pu accorder une foi aveugle à une efficacité uniquement fondée sur un dogme si profondément ancré que plus personne n’ose le remettre en cause ?

Quelle idéologie médicale, considérée comme un consensus inattaquable, se révèlera avec le temps fondée à la fois sur une erreur collective de l’ordre médical et sur l’intérêt commercial de l’ordre pharmaceutique ?

Les modes changent, mais pas l’homme.

Il est facile d’insister, au XXI ème siècle, sur le caractère immoral et illusoire de la poudre de momie en tant que médicament.

Mais de quel(s) médicament(s) de notre siècle peut-on aujourd’hui dénoncer ce même caractère immoral et illusoire sans être menacé de poursuite ?

Je vous laisse méditer là-dessus.

Portez-vous bien,

Rodolphe


[1] https://books.openedition.org/editionscnrs/46052?lang=fr – Anne Le Guérer, « Un remède odorant macabre : la momie », in. Brigitte Munier (dir.), A vue de nez. Odorat et communication, CNRS Éditions, 2019

[2] idem

[3] Baumé, 1762, cité dans le document précédent

[4] J. Cazes, Cabinet de curiosités, Dunod, 2023, p.142

[5] A. Le Guerrer, art.cit.

[6] Ibid.

[7] https://geneva-partners.ch/histoire/#:~:text=Fabrication%20de%20fausses%20momies,%C3%A0%20destination%20de%20l’Europe. – Frédéric Schmidt, « La poudre de momie, un bien curieux remède !», site Geneva Partners

[8] J. Cazes, op. cit., p.143