Chers amis,

En mai dernier, des chercheurs de l’université de Cordoue ont publié dans la revue Heritage une trouvaille surprenante qu’ils ont faite en ouvrant… un flacon à onguent vieux de plus de deux millénaires.

Ce flacon en quartz hermétiquement fermé contenait la signature chimique d’une essence bien connue : celle de patchouli[1].

Ce flacon fait partie des découvertes archéologiques effectuées dans un mausolée familial richement décoré du site de Carmona, dans la province de Séville.

Il y a 2000 ans, Carmona s’appelait Carmo, et était une cité romaine ; autrement dit, les anciens Romains les plus aisés connaissaient déjà le patchouli…

Or considérait jusqu’alors que le patchouli n’était arrivé en Europe qu’au XIXè siècle : son parcours en Occident est indissociable d’une histoire moderne de la volupté dans nos sociétés.

Pourtant, le patchouli a bien plus à offrir que des effluves – selon les opinions – érotiques ou scandaleuses.

Le parfum scandaleux

Si vous avez été jeune dans les années 1960, le nom seul de patchouli évoque pour vous un parfum de liberté et de sensualité…

… Ou bien d’insupportables hippies !

Cette connotation très marquée vient de son introduction moderne en Europe, au milieu du XIXè siècle.

Le patchouli est un cousin exotique de la menthe : il vient des régions tropicales du sud de l’Inde et de l’Indonésie (je vais revenir dans un moment sur l’usage traditionnel qui en était fait là où il pousse).

L’histoire rapporte que le patchouli est arrivé sur les grands boulevards parisiens du Second Empire grâce aux exportations, par l’Angleterre victorienne, de châles en cachemire venus d’Inde (alors sous domination britannique).

Les précieux tissus étaient enveloppés dans des feuilles de patchouli – et ce n’est évidemment pas un hasard, car l’une des premières vertus du patchouli est d’être un puissant antimite.

Mais cet antimite naturel dégage une odeur puissante, camphrée, liquoreuse ; rapidement entêtante. Des parfumeurs parisiens ont l’idée de la distiller dans de la vapeur d’eau et créent des flagrances à base de patchouli.

Le patchouli prend alors, dans la société du Second Empire, une connotation érotique : rejeté par la bourgeoisie de bonne famille, il est adopté par les « demi-mondaines », également appelées « cocottes ».

C’est d’ailleurs à cause de leur prédilection pour les parfums entêtants que les cocottes ont donné le verbe « cocotter », signifiant « sentir fort le parfum ».

Bref, vous l’avez compris, pendant plus d’un siècle, de Second Empire aux années 1960, le patchouli a été associé à des mœurs pour le moins légères, pour ne pas dire tout à fait débauchées.

La route de la soie, à rebours

Au milieu du XXè siècle, un certain Christian Dior s’empare de cet imaginaire autour du scandaleux patchouli.

Le couturier s’illustrait également dans la parfumerie, et créa en 1947, pour son premier défilé de haute-couture, « Miss Dior » un parfum comprenant des notes de patchouli.

Son intention était claire : « Chaque femme que j’habille laisse derrière elle un sillage de désirs »[2].

Quelques années plus tard, le mouvement hippie permet de démocratiser le patchouli : de nombreux jeunes gens, épris de liberté sexuelle, de pacifisme et de spiritualité, font le voyage vers l’Inde et le Népal et en rapportent de l’huile de patchouli.

Le « parfum scandaleux » est devenu un parfum politique et philosophique, véritable incarnation olfactive du refus des valeurs bourgeoises et du choix d’un mode de vie libéré.

L’âge d’or en Occident du patchouli fut donc les années 1970, et jusqu’à la fin du siècle il a été indissociable du mouvement hippie et baba cool ; jusqu’à, en fait, ce que tout récemment les parfumeurs modernes le réintègrent dans leurs créations.

Lorsque j’ai découvert le patchouli, il y a vingt ans, il n’était pas redevenu une essence à la mode mais gardait cette forte charge sensuelle. C’est le seul parfum que j’aie jamais préparé moi-même, à partir d’huile essentielle de patchouli qui, elle, est toujours restée disponible.

Et pour cause : l’huile essentielle de patchouli a bien d’autres bienfaits que la seule évocation de la libération sexuelle, des yogis indiens et des hallucinogènes de Katmandou.

Une huile essentielle protectrice

Le patchouli est utilisé depuis des millénaires, dans l’Inde du sud et en Indonésie, comme antimites et antiparasitaire : elle a pour vertu d’éloigner les insectes (puces, tiques).

Les feuilles fraîches ne dégagent aucune odeur : c’est leur fermentation ou leur distillation qui produit cette fragrance immédiatement identifiable.

L’huile essentielle de patchouli a des vertus médicinales bien documentées[3] :

  • Elle est décongestionnante et favorise la circulation veineuse ;
  • Elle stimule la digestion ;
  • Elle est anti-inflammatoire ;
  • Elle est anti-infectieuse, favorise la cicatrisation et la régénération cutanée.

En application locale, diluée dans un peu d’huile végétale, elle permet donc de stimuler la circulation (sur des varices p.ex.), et de traiter différents problèmes cutanés : acné, eczéma séborrhéique, dermatoses inflammatoires et allergiques, parasitoses, mycoses, impétigo.

Elle a en outre des vertus à la fois toniques (à petites doses) et relaxantes pour le système nerveux ; et – est-il utile de le préciser ? – aphrodisiaques.

Le patchouli a une autre caractéristique bien à lui : les parfumeurs, qui en sont de nouveau friands, ne peuvent pas le recréer artificiellement avec des produits de synthèse !

L’histoire de nous dit pas quel usage en faisaient les Anciens Romains de la péninsule ibérique qui s’en servaient déjà il y a 2000 ans, mais il ne fait guère de doute à mon sens qu’ils en goûtaient tout le charme oriental et sensuel.

Et ses vertus protectrices ne devaient pas être un mystère pour eux, s’ils prenaient soin d’en emporter dans leurs tombes, comme un talisman en flacon.

Si vous utilisez et aimez le patchouli, je serai heureux de connaître votre rapport à son parfum en commentaire.

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet


[1] Cosano, D.; Román, J.M.; Lafont, F.; Ruiz Arrebola, J.R. Archaeometric Identification of a Perfume from Roman Times. Heritage 20236, 4472-4491. https://doi.org/10.3390/heritage6060236

[2]E. Veillon, « Le Grand retour du patchouli », Le Temps, 25 octobre 2018 ; disponible ici : https://www.letemps.ch/societe/styles/grand-retour-patchouli

[3] https://www.aroma-zone.com/info/fiche-technique/huile-essentielle-patchouli-aroma-zone?page=library