Chers amis,

L’humanité grossit.

On nous parle de difficultés à venir pour nourrir les quelque 8 milliards d’êtres humains qui peuplent en 2023 la planète, mais pour le moment ces 8 milliards d’êtres humains ont une tendance très marquée à prendre du poids.

Alors, je sais, vous me direz que dans beaucoup de pays la faim sévit de façon tragique ; c’est vrai.

Mais cette triste exception ne doit pas nous faire oublier que « l’obésité est en baisse dans zéro pays du monde. Elle affecte plus d’un milliard de personnes quand le surpoids en touche environ 2,5 milliards [1] », comme le souligne le Dr Jean-David Zeitoun dans son ouvrage récent Le Suicide de l’espèce.

Un tiers de l’humanité est trop grosse

2,5 milliards de personnes, c’est presque un tiers de l’humanité.

Au Canada, en Australie, en Turquie, c’est déjà plus d’un tiers de la population qui est obèse – je dis bien obèse, et pas seulement en surpoids.

Dans ce triste classement, les États-Unis font figure de champion catégorie poids lourd : là, la proportion de personnes obèses dans la population s’élève à 40% [2].

La carte des pays « obèses » correspond à celle des pays les plus riches. Les seules exceptions sont la Corée du sud et le Japon, où le mal touche moins de 5% de la population.

Mais dans les pays à forte croissance économique, le tour de taille progresse à la même allure que le PIB : en Indonésie, en Chine, en Inde et au Vietnam, l’obésité augmente de 3 à 5% par an [3].

En France, cette progression de l’obésité est elle aussi parallèle à celle du PIB, en l’occurrence lente mais constante, à 0,5% par an.

Cette prise de poids globale ne signifie évidemment pas que nous sommes bien nourris.

C’est même exactement l’inverse, avec des effets pervers qui commencent à apparaître.

Car l’obésité et le surpoids ne sont, si vous me permettez l’expression, que la « partie émergée » du gras et des problèmes de santé qu’il provoque.

Surpoids et obésité = maladies ?

L’obésité et le surpoids sont aujourd’hui l’un des principaux facteurs de risque des « maladies de civilisation », qui connaissent elles-mêmes une progression constante.

Les diagnostics de maladies cardiovasculaires, d’hypertension, de diabète, de stéatose hépatique, d’insuffisance rénale mais aussi d’arthrose et de cancer suivent une courbe qui épouse étroitement celle du surpoids et de l’obésité.

Un phénomène particulièrement éloquent de cette association morbide, c’est l’explosion de maladies pédiatriques liées à l’obésité : « L’obésité infantile a augmenté au XXIe siècle par rapport au XXe. Les pédiatres voient beaucoup plus d’enfants diabétiques mais avec un diabète de type 2, et des enfants ayant un foie gras, ce qui n’existait pas avant. [4] »

L’affaire semble donc claire : surpoids et obésité = maladies.

En réalité, c’est plus complexe que cela, car il y a l’obésité visible… et l’obésité invisible.

Cette explosion de l’obésité et du surpoids ces dernières années a en effet conduit plusieurs médecins à s’intéresser au lien causal entre le surpoids et les maladies de civilisation dont je vous ai parlé plus haut.

Et leurs conclusions sont surprenantes.

Les 3 formes d’obésité

La remise en cause de l’équation « surpoids et obésité = maladies » vient en partie du fait que, ces dernières années, le diabète de type 2 a connu une progression aussi forte chez les personnes en surpoids ou obèses, que chez les personnes au poids « normal ».

Aussi, lier systématiquement le surpoids et l’obésité aux maladies métaboliques est une erreur, que met en lumière le Dr Jean-David Zeitoun dans l’ouvrage que j’ai déjà cité.

L’an dernier un endocrinologue américain, Robert Lustig, et son équipe ont publié un article remarqué dans lequel ils distinguent 3 formes d’obésité [5].

Ces 3 formes d’obésité se distinguent notamment les unes des autres par la localisation de la graisse.

La première forme d’obésité est, en quelque sorte, une obésité « normale », d’origine souvent génétique, et sans anomalie métabolique.

En d’autres termes, il s’agit de personnes qui sont obèses, mais dont les taux de sucre et de graisse sanguins sont normaux ; elles n’ont pas de résistance à l’insuline et leur pression artérielle est normale.

Leur graisse est, pour l’essentiel, répartie sous la peau, notamment sur les jambes, les bras et le visage.

Ces personnes obèses, nonobstant le handicap physique et d’apparence dont elles peuvent souffrir, ne sont donc pas particulièrement à risque : elles « pèseraient », si j’ose dire, 20% de la population obèse mondiale ; des pays comme la Mongolie et l’Islande sont typiques de cette obésité non métabolique[6].

La deuxième forme d’obésité est plus grave : la graisse infiltre les organes, et non plus l’espace sous-cutané.

La graisse se loge, notamment, dans l’abdomen et gagne les reins et le cœur.

Contrairement à la première forme d’obésité, il suffit d’un ou deux kilos pour que cette graisse devienne pathogène, entraînant notamment une résistance à l’insuline.

Ces personnes obèses-là forment la partie visible de l’obésité pathogène, celle qui nous fait conclure « obésité = maladie » ; et c’est vrai dans leur cas… sauf qu’ils cachent ceux qui souffrent de la troisième forme d’obésité, que j’ai appelée plus haut l’obésité invisible.

Les obèses invisibles, ou « TOFI »

La troisième forme d’obésité est en effet plus vicieuse, car elle est invisible de l’extérieur.

Contrairement aux deux premières formes, la graisse se loge dans des endroits où elle n’est pas du tout la bienvenue, à savoir le foie et les muscles.

Plus grave encore, dans ces localisations-là le seuil auquel la graisse devient pathogène est très bas : 250 grammes suffisent à provoquer une résistance à l’insuline, augmenter le risque de diabète, de complications cardiovasculaires, mais aussi de cirrhose et de cancer du foie[7].

Les Anglo-Saxons désignent les personnes atteintes de cette troisième forme d’obésité par l’acronyme TOFI, pour thin outside, fat inside, soit « mince à l’extérieur, gros à l’intérieur »[8].

En d’autres termes, les personnes souffrant de cette forme d’obésité invisible souffrent des maladies de l’obésité… sans avoir l’apparence de personnes obèses.

Vous comprenez pourquoi j’écrivais plus haut que cette forme d’obésité est vicieuse : chez les obèses « visibles », si j’ose les appeler ainsi, le surpoids constitue en soi un critère patent d’alerte et un motif de surveillance.

Chez ces obèses « invisibles » à l’inverse, la maladie se déclare brusquement, sans préavis, et malheureusement lorsqu’il est trop tard pour faire machine arrière : le caractère pathogène de leur graisse invisible s’est développé silencieusement.

Leur diabète, leur stéatose hépatique, leur hypertension artérielle et/ou leurs complications cardiovasculaires ont grandi comme un sous-marin : lorsque la maladie fait surface, c’est la stupeur la plus complète.

Cela peut vous paraître anecdotique.

Mais ça ne l’est pas du tout : 40% des personnes souffrant d’une maladie métabolique ont un poids normal[9].

Cette population des « TOFI » déjoue donc ce que l’on croyait jusqu’ici savoir (« surpoids/obésité = maladies métaboliques ») et prend de cours les patients comme les médecins, pour une raison simplissime : il y a encore un demi-siècle, elle n’existait pas.

Comment est-ce possible ?

La réponse tient en trois mots : l’industrie agroalimentaire.

Comment les aliments ultra-transformés vous transforment en malade

Cette explosion de maladies métaboliques chez des personnes qui ont un poids normal – et paraissent donc ne pas devoir être concernées par les maladies traditionnellement associées au surpoids – coïncide avec un virage pris dans les années 1970 par l’industrie agroalimentaire : celui de l’ultra-transformation des aliments.

C’est ce que démontre le Dr Jean-David Zeitoun dans son ouvrage Le Suicide de l’espèce.

L’ultra-transformations des aliments, ça n’est pas seulement l’ajout de colorants, d’édulcorants, de conservateurs et autres perturbateurs endocriniens.

C’est, d’une manière générale, la production en masse d’aliments vidés de toute substance nutritive ou presque et, en revanche, bourrés de sucres et de graisses « trans ».

Le raz-de-marée provoqué par cette transformation des aliments – qui prennent de multiples formes : sodas, viennoiseries, chips, fastfood, plats industriels tout-préparés, etc. – a engendré une forte croissance de ces fameuses maladies de civilisation.

Le danger est aussi réel que considérable : en 2018, une étude française portant sur les données de 100 000 personnes établissait qu’une hausse de seulement 10% de la part d’aliments ultra-transformés dans le régime alimentaire engendrait une hausse supérieure à 10% du risque de développer un cancer de manière générale, et du sein en particulier [10].

La première leçon à tirer de tout cela, c’est qu’être obèse ou en surpoids n’est désormais plus un signal suffisant d’apparition de maladie métabolique.

Vous pouvez avoir un poids normal, et donc ne pas sembler être à risque de développer une maladie liée à l’obésité dans l’imaginaire collectif (y compris celui des médecins), et pourtant bel et bien déclarer un diabète ou une stéatose hépatique (maladie du foie gras).

À tout le moins, une vérification de vos taux sanguins de sucre et de graisse est une bonne façon de mesurer ce risque.

Parmi les organes à surveiller de près, le foie semble jouer un rôle important : en quelques mois, plusieurs de mes connaissances directes ou indirectes ont été ainsi diagnostiquées d’une stéatose alors qu’elles ne semblaient en apparence pas être « à risque ».

Une autre leçon, mais ça vous le saviez déjà, est que l’exclusion des produits ultra-transformés est la première mesure indispensable de protection face à cette « pandémie métabolique », pour reprendre un terme de Jean-David Zeitoun [11].

Acheter des aliments frais, bio, et les cuisiner soi-même est donc plus que jamais une démarche nécessaire pour s’éviter une mauvaise nouvelle, un jour, dans le cabinet de votre médecin.

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet

[1] Jean-David Zeitoun, Le Suicide de l’espèce, éd. Denoël, Pris, 2023, p.36

[2] Ibid., p.75

[3] Idem

[4] Ibid., p.38

[5] Lustig, Robert H et al. “Obesity I: Overview and molecular and biochemical mechanisms.” Biochemical pharmacology vol. 199 (2022): 115012. doi:10.1016/j.bcp.2022.115012 https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35393120/

[6] Le Suicide de l’espèce, Op. cit., p.70

[7] Ibid., p.73

[8] Ibid., p.71

[9] Ibid., p.70

[10] Fiolet, Thibault et al. “Consumption of ultra-processed foods and cancer risk: results from NutriNet-Santé prospective cohort.” BMJ (Clinical research ed.) vol. 360 k322. 14 Feb. 2018, doi:10.1136/bmj.k322 https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29444771/

[11] Le Suicide de l’espèce, Op. Cit., p.74