Chers amis,

Cela pourrait être le sujet d’une fable de La Fontaine (désolé si je vous l’adresse sans rime) :

Une gazelle est invitée à participer à un débat consacré au régime végétarien.

La gazelle accepte avec plaisir de parler de sa longue expérience de végétarienne et de donner des conseils pratiques à ceux qui assisteront au débat.

Ce qu’elle ne sait pas, c’est qu’à ce débat sur le régime végétarien, elle est la seule végétarienne invitée.

Tous les autres sont… des carnivores !

Inutile de vous dire que face à cette horde de « contradicteurs » carnassiers, il n’y a guère de débat possible, et que la voix de la pauvre gazelle ne pèse pas grand-chose.

Si elle sort de ce traquenard sans égratignure, elle pourra s’estimer miraculée.

Voici le genre de traquenard dont a été victime mon amie la naturopathe Anne Portier, invitée sur France Inter pour parler de la naturopathie… en présence de 5 médecins décidés à en découdre avec la naturopathie !!

« Grand bien vous fasse »… si vous n’êtes pas naturopathe !

Lundi 15 avril et mardi 16 avril ont été lancées, sur France Inter puis France 5, deux offensives particulièrement violentes contre la naturopathie.

La première, via l’émission d’Ali Rebeihi « Grand bien vous fasse », intitulée ce jour-là : « Que penser de la naturopathie ? Quels bienfaits, quelles dérives ? » [1]

C’est l’émission à laquelle la naturopathe Anne Portier était conviée en tant que naturopathe.

En face d’elle se trouvaient 5 médecins tout ce qu’il y a de plus « mandarins » comme le Pr Bruno Fallissard, membre de l’Académie de médecine, ou Marina Carrère d’Encausse, médecin médiatique, ex-présentatrice du Journal de la Santé aux côtés de Michel Cymes.

D’emblée, arrêtons-nous sur cette étrangeté :

Une émission consacrée à la naturopathie, où une seule naturopathe est invitée, devant « répondre » à un collège de médecins… qui ne connaissent guère la naturopathie, et n’ont guère envie de s’écarter de l’idée qu’ils s’en font.

C’est un « débat » digne d’une république bananière !

Anne Portier avait été invitée comme « caution », au mieux comme avocate de la défense, commise d’office, dans ce procès médiatique fait à la naturopathie, et ce alors même que tout – acte d’accusation, plaidoirie des juges et parties, verdict – avait été écrit d’avance.

Imaginez la surprise – et la déception – d’Anne, qui s’était préparée à parler de son travail en cancérologie et en addictologie, et que l’on interroge en fin de compte sur… l’iridologie, cette méthode farfelue consistant à diagnostiquer la santé dans l’iris !!!

« Nous sommes la patrie de Descartes et de Pasteur »

Car dans cette émission nous avons eu droit à toutes les sempiternelles tartes à la crème anti-naturopathie : sa réduction à des méthodes farfelues, à des praticiens charlatan et, évidemment, ce rappel que « nous sommes la patrie de Descartes et de Pasteur »…

Comprenez : la naturopathie est une dangereuse hérésie, comparée aux morceaux de la « vraie Croix » qu’est la médecine conventionnelle.

Tout cela est entouré d’un bel emballage-cadeau suggérant que le cadre de l’émission est objectif : il est rappelé que la naturopathie est officiellement reconnue par l’OMS, encouragée chez nos voisins allemands et suisses, et même remboursée !

Ce qui est décourageant, c’est qu’à aucun moment ces médecins ne laissent entendre qu’ils comprennent de quoi ils parlent : ils jugent ainsi de la « thérapie à l’eau de mer » que « l’eau de mer c’est bon, c’est chouette, le problème c’est que l’eau de mer ça fait pas grand-chose »…

… sans visiblement savoir qu’aucun naturopathe n’a recours à l’eau de mer, mais au plasma de Quinton isotonique, dont les bienfaits, eux, sont largement documentés.

Ces tartuffes, à la fin de l’émission, osent même tremper un orteil dans ce bac d’eau glacée qu’est l’autocritique en admettant que, sans doute, si de plus en plus de gens se tournent vers la naturopathie, c’est qu’ils en ont plus qu’assez, comme patients, de consultations à la va-vite par un médecin qui ne prend plus la peine de les écouter, et remplit leurs assiettes et leurs verres d’eau de produits de l’industrie pharmaceutique.

Anne Portier leur fait cette réponse pleine de bon sens : ce n’est pas tant, ou pas seulement, un détournement de la médecine conventionnelle qu’une volonté de devenir acteur de sa santé.

La naturopathie ne s’est jamais construite en opposition à la médecine, et les naturopathes n’ont ni pour vocation ni pour habitude de détourner leurs clients de leur médecin et/ou de leur traitement.

Car enfin, voici le fond du problème : cette émission d’une indigence éthique ne fait que jeter de l’huile sur un feu bien franco-français, qui consiste à opposer systématiquement, et artificiellement, médecine et thérapies complémentaires.

Curieuse exception culturelle.

Comment Ali Rebeihi, producteur et présentateur de l’émission « Grand bien vous fasse », a-t-il pu se laisser embarquer dans une telle chasse aux sorcières ?

Comment cette « gentille » émission, qui a plusieurs fois fait la promotion du jeûne thérapeutique et de la détox en invitant Thomas Uhl, a-t-elle pu se transformer en tribunal politique, instruisant un tel procès idéologique ?

Il y a deux raisons à cela : j’y vois d’une part un signe supplémentaire du « durcissement du régime » à l’égard des « médecines non-conventionnelles » (un invité de l’émission rappelle d’ailleurs qu’elles seront sévèrement condamnées quand l’article 4 sera proclamé).

Et d’autre part, l’émission d’Ali Rebeihi, ce lundi 15 avril, se faisait le porte-voix du documentaire diffusé le lendemain sur France 5, et qui résume à lui seul la mauvaise foi du service public et la manipulation idéologique dont font preuve ses « journalistes ».

Deux actions coordonnées d’une même cabale qui ne fait pas honneur à notre service public.

Peut-on faire confiance à la télé et à la radio financées par l’État ?

C’est en effet en « collaboration » avec France 5 que France Inter a instruit ce procès anti-naturopathie : le mardi 16 avril était diffusé un documentaire puis un débat intitulé « Peut-on faire confiance à la naturopathie ? »[2]

On retrouve, dans cette émission télé, les mêmes intervenants que dans l’émission radio de la veille : le Dr Marina Carrère d’Encausse et le Pr Bruno Falissard notamment.

Ce documentaire, que vous pouvez regarder en replay, est une terrible et exemplaire illustration de l’écueil moral dans lequel l’audiovisuel public est capable de tomber.

Je fais ici un aparté : il y a une quinzaine d’années, je réalisais moi-même des documentaires et j’enseignais l’histoire et les méthodes d’écriture documentaire à l’université Lyon 2.

Le cinéma documentaire est un médium passionnant car paradoxal : l’image et le son produisent un « effet de réel » qui nous les font aisément confondre avec la réalité, alors qu’il s’agit d’un objet construit et artificiel.

Quand on regarde un film de fiction, le contrat est plus honnête : bien que ce que l’on regarde ressemble à du réel, on sait que c’est « pour de faux ».

Mais quand on regarde un film documentaire ou un reportage, il est beaucoup plus difficile d’avoir cette distance critique : le documentaire et le reportage se donnent à voir comme un reflet du réel.

Pourtant ils sont écrits, et construits. Et leur « rapport à la réalité » ne dépend que d’une seule chose : l’honnêteté de ceux qui l’ont réalisé et produit.

Or je vous le dis tout net : le documentaire de France 5 est malhonnête.

Et il est malhonnête à double titre.

Un film de propagande sur le service public

Il y a, pour résumer, deux façons de faire un film documentaire :

  • Soit vous décidez de laisser la réalité guider votre caméra et votre micro ; votre montage essaiera de restituer le plus fidèlement possible ce dont avez été témoin ;
  • Soit vous avez un discours conçu à l’avance, et toutes les images que vous filmez, les propos que vous enregistrez, et la façon dont vous les assemblez, auront pour fonction de « dire » ce que vous voulez… en le faisant passer pour la réalité.

Vous voyez que ce n’est pas du tout la même posture par rapport à la réalité : dans le premier cas on est dans un souci de restitution du réel, dans le second cas dans une démarche de manipulation du réel.

Dans 90 % des cas, les documentaires sont… quelque part entre les deux.

Si vous connaissez un peu le cinéma documentaire, vous savez peut-être que les films de Frederick Wiseman font partie des rares « purs documentaires » ressortissant à la première catégorie. Ce sont des tours de force filmiques d’une honnêteté morale exceptionnelle.

Quant à la seconde catégorie, elle porte également un nom : film de propagande.

Et ce documentaire de Clémence Gardeil diffusé sur France 5 est un magnifique exemple de film de propagande, réunissant tous les codes du genre.

D’abord, une voix off et des commentaires qui font passer des idées… discutables, telles que « la naturopathie est construite en opposition à la médecine scientifique », ou, « leurs fondements, c’est des croyances ésotériques ». Soit les préjugés ânonnés habituellement à l’encontre de la naturopathie.

Ce sont des propos non seulement gratuits, mais mensongers : oui, la naturopathie repose sur une tradition, mais cette tradition est validée par des milliers d’études scientifiques.

Ensuite, la malhonnêteté du film se décèle dans sa structure : le début (tourné au centre de la Pensée Sauvage, dans le Vercors, que je connais très bien pour y avoir réalisé avec Thomas Uhl nos travaux sur le jeûne et la détox) et la fin semblent « neutres » envers la naturopathie.

On y suit des stagiaires et un naturopathe de la Pensée sauvage, Romain Vicente, puis une patiente de 65 ans, Soline, qui ne disent que du bien de la naturopathie. La fin du documentaire est, elle, au mieux, lénifiante.

Cette ouverture et cette clôture du documentaire servent de caution d’objectivité à sa réalisatrice afin de lui permettre de se concentrer sur l’essentiel de son propos, qui occupe le centre du film : « la naturopathie, c’est dangereux ».

Et comment s’y prend-elle ? c’est très simple.

Quand on veut noyer son chien, on l’accuse de la rage

Des approches employées en naturopathie, la réalisatrice n’en « montre » que deux : l’iridologie et la biorésonance quantique.

Des approches en effet douteuses… mais extrêmement marginales.

Pourquoi ne s’attarde-t-elle pas sur la phytothérapie ou la nutrithérapie, qu’utilise prioritairement l’écrasante majorité des naturopathes, et qui sont validées scientifiquement ?

C’est évident : quand on veut noyer son chien, on l’accuse de la rage.

Clémence Gardeil use du même procédé avec les naturopathes sur lesquels elle se focalise : Thierry Casasnovas, Irène Grosjean et Miguel Barthéléry, tous trois sous le coup de procès ou de condamnations pour exercice illégal de la médecine.

Pourquoi, parmi les 6000 naturopathes exerçant en France, la réalisatrice consacre-t-elle autant de temps à ces trois personnes ayant objectivement dérâpé ?

Que dirait-on d’un « documentaire » sur la médecine (vaste sujet ! presque aussi vaste que la naturopathie…) qui ne mettrait en avant que des médecins extrémistes et condamnés ? Je vous fiche mon billet que le Conseil de l’Ordre des médecins monterait au créneau pour dénoncer ce portrait biaisé et tendancieux de leur métier.

C’est un choix parfaitement assumé : le documentaire fait dans le sensationnalisme et n’interroge jamais honnêtement le métier de naturopathe.

Ce documentaire n’est pas seulement malhonnête : il repose également sur des mensonges.

J’accuse

La réalisatrice, Clémence Gardeil, a en effet contacté l’OMNES, le SPN et la FENA – organisations françaises de naturopathes – fin 2023 dans le cadre d’un documentaire qu’elle comptait consacrer à la naturopathie.

Elle a assuré ces organismes que les objectifs de son documentaire consistaient à en apprendre davantage sur la naturopathie, la formation en naturopathie, les pratiques actuelles en France mais aussi en Allemagne, les organisations travaillant à son encadrement ainsi que ses dérives éventuelles.

Sur ce dernier point – les dérives – la réalisatrice a assuré qu’il ne constituerait pas le cœur de son film, mais qu’elle était obligée de les évoquer.

Rassurées par sa réponse et la réputation de sérieux de France 5, les associations sollicitées ont aidé la réalisatrice.

Premier mensonge : on a vu la place centrale qu’occupent ces dérives dans son film.

Deuxième mensonge : alors qu’elle leur avait annoncé qu’elle leur donnerait la parole dans son film, les associations de naturopathie comme l’OMNES ne sont pas représentées ni même citées.

Troisième mensonge : alors que le film devait documenter le travail et le statut de Heilpraktiker en Allemagne, la réalisatrice ne s’est pas rendue sur place, malgré les réponses favorables qu’elle avait reçues outre-Rhin.

Enfin, si vous avez vu le film de Clémence Gardeil, vous avez remarqué que la moitié de ses séquences ont été réalisées en caméra cachée à l’insu des naturopathes consultés, la journaliste se faisant passer pour une femme souffrant d’endométriose.

Autrement dit j’accuse ce film documentaire d’être non seulement un exemple de manipulation et de déloyauté, mais en outre d’avoir été réalisé à partir d’une vertigineuse accumulation de mensonges et de tromperies.

D’ailleurs, en ne citant pas les associations et les membres qui l’avaient aidé en toute bonne foi, la réalisatrice a assuré ses arrières : ils ne peuvent ainsi produire un droit de réponse.

Malheureusement, ça ne m’étonne pas

Malheureusement, ça ne m’étonne pas : en se conduisant de façon si déloyale, Clémence Gardeil, et France 5 à travers elle, ne font qu’appliquer les méthodes hypocrites et cyniques des médias mainstream aujourd’hui.

J’en avais été moi-même victime lorsque, invité en décembre 2021 sur France 24 pour une « interview » sur la pétition contre le pass vaccinal, je m’étais retrouvé, en direct, jeté en pâture à une horde d’éditorialistes décidés à se payer un « antivax »… sans jamais vouloir entendre que je n’étais pas contre le vaccin, mais contre son injection forcée.

De même, une journaliste du Figaro qui m’avait contacté et à laquelle j’avais accordé un long entretien téléphonique n’avait retenu de notre échange… qu’une seule phrase, qu’elle avait isolée de son contexte et détournée, pour alimenter son article déjà écrit au préalable (inutile de préciser le ton comme le fonds de l’article).

Au moins avait-elle fait l’effort de me contacter : quelques jours plus tard, Libération sortait sur mon compte un article non seulement insultant, mais entretenant des confusions scandaleuses.

Voici à quoi sert, dans notre pays, la belle « liberté de la presse » subventionnée, dont je vous parlais déjà dimanche dernier.

Afin d’être équitable, je me dois cependant de préciser qu’à l’inverse des rédactions du Figaro et de Libération, les journalistes du Monde qui m’avaient sollicité à la même période et que j’avais rencontré dans leurs locaux à Paris, avaient honnêtement restitué mes propos, sans les déformer.

Leur probité et leur déontologie apparaissent, hélas, plus que jamais isolées dans le contexte médiatique actuel, ce dont les émissions de France Inter et France 5 – conçues comme des procès dont les pièces à conviction sont au mieux déformées, au pire mensongères – sont une énième et désolante expression.

Pourquoi diffuser ces deux émissions maintenant ?

Rien n’arrivant par hasard dans le monde de l’audiovisuel français, on peut se demander pourquoi le service public a diffusé ces deux émissions maintenant.

La réponse, je le crois, se trouve dans une lettre que je vous ai envoyée en octobre dernier, où je détaillais la démarche entreprise par les différentes organisations professionnelles qui encadrent la naturopathie en France (dont l’OMNES) afin de créer une norme AFNOR (agence française de normalisation) du métier de naturopathe, première étape en vue d’une reconnaissance étatique de la profession[3].

Comme je vous le disais il y a sept mois, ce processus doit aboutir cette année. Il est, en réalité, sur le point d’aboutir.

Or les attaques conjointes menées sur France Inter et France 5 répètent à l’envi ce même argument : « la naturopathie n’est pas un métier encadré et reconnu »… sans jamais préciser que cet encadrement et cette reconnaissance sont en cours, sur l’initiative des naturopathes eux-mêmes.

De deux choses l’une : soit le service public s’est rendu compte que ses attaques allaient être obsolètes suite à la validation de la norme AFNOR…

… soit ces deux émissions sont précisément diffusées maintenant afin de déstabiliser le processus de cette validation.

Et dans ce cas : à qui profite le crime ?

Portez-vous bien,

Rodolphe


[1] https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/grand-bien-vous-fasse/grand-bien-vous-fasse-du-lundi-15-avril-2024-9262779 – « Que penser de la naturopathie ? Quels bienfaits, quelles dérives ? », émission « Grand bien vous fasse », France Inter, 15 avril 2024

[2] https://www.france.tv/france-5/enquete-de-sante/5836329-peut-on-faire-confiance-a-la-naturopathie.html – « Peut-on faire confiance à la naturopathie ? », France 5, 16 avril 2024

[3] https://alternatif-bien-etre.com/sante-et-emotions/tous-les-naturopathes-ne-sont-pas-irene-grosjean/ – Rodolphe Bacquet, « Tous les naturopathes ne sont pas Irène Grosjean », in. Alternatif Bien-Être, 18 octobre 2023