Chers amis,

« Tu as du mal à t’endormir ? Tu devrais prendre de la mélatonine… »

Je parie que l’on vous a déjà donné ce conseil.

La mélatonine jouit d’une image de molécule naturelle, efficace et sans danger.

C’est vrai en grande partie.

Mais comme souvent, les choses sont plus compliquées qu’elles n’en ont l’air. 

Qu’est-ce que la mélatonine ?

La mélatonine est une hormone produite par notre glande pinéale. Sa sécrétion dépend étroitement de la lumière du jour : en journée, nous en produisons peu, mais dès que la nuit tombe, la production augmente.

La mélatonine est donc un messager. Sa diffusion à la baisse de la lumière du jour donne à notre organisme le signal qu’il va être temps de s’endormir.

À ce signal :

  • notre température corporelle commence à baisser ;
  • notre métabolisme ralentit ;
  • notre esprit rentre en somnolence.

C’est pour cette raison qu’on l’appelle « l’hormone du sommeil ». Et c’est aussi pour cela que beaucoup l’utilisent comme « somnifère naturel ».

Complément alimentaire ou médicament ?

Tout cela est très bien.

Sauf que la mélatonine qu’on peut prendre sous forme de comprimé n’est pas tout à fait la même mélatonine que votre corps produit naturellement.

Actuellement, on peut trouver la mélatonine de synthèse sous deux formes :

  • en médicament, sous le nom de Circadin, nécessitant l’ordonnance d’un médecin (mais non-remboursé par la sécurité sociale), pour le traitement de l’insomnie chez les personnes de plus de 55 ans[1] ;
  • en complément alimentaire (sous plusieurs noms et marques), également contre les troubles du sommeil, mais aussi avec d’autres bienfaits : « amélioration de l’humeur et du système immunitaire, régulation de la température corporelle et de la motricité intestinale », dixit l’ANSES[2].

Dans les deux cas, il s’agit de la même molécule.

Quelle est la différence entre le médicament et le complément alimentaire ?

Le dosage.

La loi fait rentrer la mélatonine sous la catégorie de médicament à partir de 2 mg/comprimé. C’est le cas du Circadin.

En-dessous de 2 mg/comprimé, la mélatonine peut être vendue sous forme de complément alimentaire sans ordonnance, directement auprès de votre pharmacien. Mais si certains compléments sont dosés à 1 mg/comprimé, d’autres le sont à 1,75 ou 1,8 mg/comprimé !

À ce stade, la différence entre médicament et complément alimentaire devient plus que ténue.

Pas si inoffensive que ça

Sous forme de complément, la mélatonine connaît un vrai succès dans les pharmacies en tant que traitement de troubles légers du sommeil.

L’efficacité de la prise de mélatonine pour améliorer le sommeil est prouvée… mais une récente enquête du Journal de la médecine anti-âge a prouvé que ces bienfaits sont finalement plutôt légers pour la population générale[3] :

  • réduction du temps d’endormissement d’environ 4 min ;
  • amélioration de l’efficacité du sommeil de l’ordre de 3 % ;
  • augmentation du temps de sommeil de près de 14 min.

Par contre, des cas répétés « d’effets indésirables » suite à la prise de compléments de mélatonine se sont produits.

Ces effets étaient :

  • soit « classiques », comme des céphalées, des vertiges, de la somnolence, des cauchemars, de l’irritabilité ;
  • soit neurologiques : tremblements, migraines ;
  • soit gastroentérologiques : nausées, vomissements, douleurs abdominales.

Ces effets indésirables sont loin de la gravité de ceux des somnifères classiques, on est d’accord. Ces derniers peuvent engendrer des pulsions de suicide et endommager durablement la qualité de sommeil[4].

Mais une étude approfondie sur les victimes des effets indésirables des compléments de mélatonine, et de la littérature scientifique, a conduit l’Agence Nationale de sécurité sanitaire à « recommander aux personnes souffrant de maladies inflammatoires ou auto-immunes, aux femmes enceintes et allaitantes, aux enfants, aux adolescents et aux personnes devant réaliser une activité nécessitant une vigilance soutenue et pouvant poser un problème de sécurité en cas de somnolence de ne pas consommer de mélatonine sous forme de compléments alimentaires.

Pour les personnes épileptiques, asthmatiques, souffrant de troubles de l’humeur, du comportement ou de la personnalité ou suivant un traitement médicamenteux, la consommation de compléments alimentaires contenant de la mélatonine doit être soumise à un avis médical[5]. »

Il y a un autre problème avec la mélatonine, qui dépasse le sommeil.

Dépression saisonnière : ne jouez pas avec la mélatonine

Certains pharmaciens et médecins conseillent la prise de mélatonine sous forme de complément alimentaire pour prévenir ou traiter la dépression saisonnière.

Cela me paraît très aventureux.

Pourquoi ?

D’abord parce que l’efficacité de la prise de mélatonine contre les symptômes de dépression, dans les études récentes[6] qui se sont penchées sur la question, a eu un effet comparable à celui d’un placebo.

Mais surtout, parce que le rôle de la mélatonine dans la dépression saisonnière est controversé : elle serait plutôt susceptible de l’aggraver !

Les études qui en sont venues à ces conclusions ont un raisonnement logique : avec l’arrivée de l’automne puis l’entrée dans l’hiver, la mélatonine est sécrétée de plus en plus tôt, à mesure que la nuit tombe rapidement.

Cette accumulation de mélatonine peut nous rendre somnolent plus tôt ; pire, son accumulation dans le cerveau contribuerait à nous empêcher de nous lever le matin. Ce qui n’est pas étonnant puisque son rôle est de nous conditionner pour le sommeil. 

Ainsi, en 2002, une petite étude a découvert des taux de mélatonine plus importants chez des patients atteints de dépression[7], tandis qu’une autre étude, en 2006, a découvert que le cerveau de patients dépressifs produisait plus de mélatonine la nuit[8].

Mais alors, faut-il jeter ses boîtes de mélatonine ?

Faut-il dire adieu à la mélatonine ?

Non.

Mais il faut la réserver à des cas très précis.

Si vous avez moins de 55 ans, ne prenez de la mélatonine (moins de 2 mg/comprimé) qu’en cas de décalage horaire, après un vol long-courrier, et pas plus d’une semaine d’affilée.

Si vous avez plus de 55 ans, bonne nouvelle, la prise de mélatonine est plus efficace pour améliorer votre sommeil que pour les personnes plus jeunes[9] mais à condition de la prendre à petites doses, entre 0,1 et 0,5 mg/comprimé.

Au-delà de cette dose, en cas de prise prolongée, l’utilisation de mélatonine de synthèse risque d’inhiber votre propre sécrétion naturelle de mélatonine.

Enfin, quel que soit votre âge, si vous êtes naturellement sujet aux « coups de blues l’hiver », je vous déconseille la prise de mélatonine contre cela. Le risque est de vous maintenir dans un état de faible énergie et de somnolence.

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet


[1] « CIRCADIN », Vidal, octobre 2019, consulté en décembre 2019, disponible sur https://eurekasante.vidal.fr/medicaments/vidal-famille/medicament-gp3463-CIRCADIN.html

[2] « L’Anses recommande à certaines populations d’éviter la consommation de compléments alimentaires contenant de la mélatonine », Anses, avril 2018, consulté en décembre 2019, disponible sur https://www.anses.fr/fr/content/l%E2%80%99anses-recommande-%C3%A0-certaines-populations-d%E2%80%99%C3%A9viter-la-consommation-de-compl%C3%A9ments

[3] Berthou (A.), « Mélatonine : Saint-Graal des insomniaques ? », Le Journal de la Médecine Anti-âge, no 13, janvier 2018, pp. 7-8.

[4] Franrenet (S.), « Démence, meurtre, suicide… Révélations sur l’engrenage des somnifères », Alternatif Bien-Être, n128, mai 2017, pp. 1-5.

[5] Ibid.

[6] De Crescenzo (F.) et al., « Melatonin as a treatment for mood disorders: a systematic review », Acta Psychiatrica Scandinavica, 14 juin 2017, vol. 136, no 6, pp. 549-558, consulté en décembre 2019, disponible sur https://doi.org/10.1111/acps.12755

[7] Varma (A.) et al., « The effect of antidepressants on serum melatonin levels in endogenous depression », The Journal of the Association of Physicians of India, octobre 2002, vol. 50, pp. 1262-5, consulté en décembre 2019, disponible sur https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/12568211

[8] Srinivasan (V.), « Melatonin in mood disorders », The World Journal of Biological Psychiatry, 2006, vol. 7, no 3, consulté en décembre 2019, disponible sur https://doi.org/10.1080/15622970600571822

[9] Lemoine (P.) et al., « Prolonged-release melatonin improves sleep quality and morning alertness in insomnia patients aged 55 years and older and has no withdrawal effects », Journal of Sleep Research, 21 novembre 2007, consulté en décembre 2019, disponible sur https://doi.org/10.1111/j.1365-2869.2007.00613.x