Chers amis,

Il y a plusieurs années, au début de ma vie d’adulte, je faisais comme la plupart des gens de mon âge : je ne faisais pas de sieste.

Après le déjeuner, au moment où je commençais à me sentir un peu somnolent, je m’imposais un « coup de boost » en prenant un petit café noir. Voire deux.

Et ça marchait : je restais éveillé.

Mais je me suis aperçu que j’étais moins alerte, j’avais l’esprit moins vif l’après-midi que le matin. Je ne retrouvais pleinement mes moyens que vers 16 h-17 h, après avoir passé un après-midi un peu « plombé ».

Je sentais que cet éveil offert par le café avait quelque chose d’artificiel et même de malsain : je n’avais plus vraiment envie de dormir, mais je ne me sentais pas tellement reposé pour autant.

J’ai depuis compris qu’en prenant un café en début d’après-midi, je donnais un coup d’accélérateur à mon corps au moment où il me priait de ralentir.

La sieste, contraint et forcé

Si à l’époque j’avais réellement écouté mon corps, je me serais allongé quelques minutes au moment où je ressentais ce coup de mou, et j’aurais fermé les yeux. Autrement dit : j’aurais fait une sieste.

Mais c’était pour moi hors de question. D’abord parce que je m’étais imposé un parcours universitaire ambitieux : je courais d’une université à l’autre pour pouvoir assister à tous les cours de mon triple cursus (oui, triple !). J’avais vingt ans, et une immense soif d’apprendre, au risque de m’épuiser.

Je n’avais donc pas le temps, ou du moins j’estimais que je n’avais pas de temps à accorder à ce que j’aurais alors considéré comme un « laisser-aller ».

Et puis… je n’avais jamais aimé la sieste.

J’ai des souvenirs très désagréables de l’école maternelle ou de mercredis chez ma nourrice où la sieste m’était imposée, soit en plongeant ma tête dans mes bras croisés sur la petite table de l’école, soit en m’enfermant dans une grande pièce après m’avoir mis dans un grand lit d’adulte.

Je ne dormais pas, je trouvais ces moments ennuyeux et même angoissants.

Tout a changé lorsque je suis devenu papa pour la première fois.

Si vous avez des enfants, vous savez combien les nuits des premières semaines, voire des premiers mois, peuvent être épuisantes, avec les réveils répétés et souvent prolongés du bébé.

Or lorsque mon premier enfant est né, je n’ai pas pu prendre de congé. J’étais travailleur indépendant et j’avais une mission de longue haleine, très accaparante, à accomplir.

Plus question de tergiverser : je me trouvais dans un tel état de fatigue et je devais continuer à fournir un travail si exigeant… qu’il me fallait trouver une solution, coûte que coûte.

C’est dans ces conditions qu’à 27 ans… j’ai commencé à faire la sieste.

Vous n’imaginez pas mon soulagement.

Je m’endormais instantanément.

Je me réveillais avec un regain d’énergie l’après-midi que je n’aurais jamais soupçonné jusqu’alors.

Je me sentais même plus frais et dispos l’après-midi, après des nuits entrecoupées de cris d’enfant et une sieste, que dans ma vie d’avant, sans enfant mais avec café !

Je profitais de la première vertu de la sieste.

La sieste, ambulance instantanée

Dans une précédente lettre, je vous ai parlé de la dette de sommeil qui touche de plus en plus de personnes dans notre société, depuis une dizaine d’années.

Presque un tiers des Français dorment aujourd’hui moins de six heures par nuit – le minimum syndical (une nuit complète, ce serait sept à huit heures de sommeil).

Pour rappel, un temps de sommeil trop court est proportionnellement associé à un risque croissant :

  • d’AVC[1] ;
  • de diabète de type 2[2] ;
  • de chances de contracter un virus[3] (4 fois plus de chances d’attraper un rhume quand on a dormi moins de six heures !) ;
  • d’un ressenti plus vif de la douleur[4] ;
  • d’un plus grand nombre de symptômes dépressifs[5].

Je vous l’avais dit, une grande méta-analyse a établi un lien net entre un temps de sommeil trop court (moins de sept heures) et la mort, toutes causes confondues[6] !

La dette de sommeil n’est donc pas un problème à prendre à la légère : l’augmentation de la somnolence en journée… l’affaiblissement de notre système immunitaire… le sabotage du processus de réparation de notre organisme et de notre cerveau au cours de la nuit… Tout cela nous fait mettre un pied plus vite que prévu dans la tombe.

La sieste pour tous

Le docteur en neurosciences Brice Faraut, dans son ouvrage Sauvés par la sieste[7], décrit la sieste comme une « médecine de poche » :

« Ce que le sommeil n’a pas eu le loisir de corriger ou de réparer pendant la nuit, la sieste peut s’y employer pendant le jour, pourvu qu’on lui consacre un peu de temps. Elle n’est pas un second couteau qui ne ferait que passer derrière le sommeil, ponctuellement, pour corriger ses à-peu-près […]. Elle est un rouage essentiel de la santé, un mécanisme de sauvegarde au même titre que le sommeil de nuit : ce qu’il met en chantier, la sieste le consolide et l’améliore. Elle produit les mêmes ondes lentes et s’entoure des mêmes équipes soignantes.[8] »

Mieux encore : cette médecine de poche, cette bulle de réparation, nous sommes tous naturellement programmés pour lui donner les moyens d’agir.

Au cours des 24 heures d’une journée complète, chacun d’entre nous reçoit à deux reprises un signal de « mise en sommeil » qui va permettre cette réparation :

  • le soir, après l’heure du dîner ;
  • et en début d’après-midi, après l’heure du déjeuner.

Ce signal, nous le connaissons tous.

Il est caractérisé par une légère somnolence, une perte momentanée de vigilance, provoquées par un ensemble de facteurs physiologiques, comme les sécrétions d’hormones et un léger abaissement de notre température corporelle.

Seulement, à ce signal, nous pouvons réagir de deux façons :

  • l’écouter, et nous endormir ;
  • ou lutter délibérément contre lui, en forçant notre éveil par notre volonté… ou par la prise d’excitants.

Une petite sieste de 15 à 30 minutes :

  • serait un remède naturel et efficace contre les douleurs chroniques, comme celles de la fibromyalgie[9] ;
  • réduit les douleurs musculaires et osseuses[10] ;
  • améliore le système immunitaire[11] ;
  • améliore les facultés d’apprentissage[12] ;
  • réduit le risque de maladies cardiovasculaires[13].

Dès les années 1980, des chercheurs de l’université d’Athènes avaient conclu à partir d’études sur la population grecque qu’un tiers des AVC seraient évitables si les gens faisaient plus régulièrement la sieste[14] !

Un pli à prendre

Ma réticence première pour la sieste est maintenant loin derrière moi.

J’ai appris à apprécier ses bienfaits et, tout simplement, à répondre aux besoins de mon corps lorsque je le peux.

Je ne fais pas de sieste tous les jours, mais c’est désormais ma réponse no 1 au « coup de mou » du début d’après-midi s’il se fait ressentir.

Je ne bois plus que très exceptionnellement du café (que j’ai remplacé par du thé matcha) et je peux vous dire que mon esprit, l’après-midi, est infiniment plus clair qu’il y a quinze ans, quand j’avais pour habitude de prendre un « petit noir » pour me tenir éveillé.

Après dix à quinze minutes de sieste, c’est bien simple, mes sens sont aussi affûtés et ma capacité de travail aussi disponible que le matin, après une bonne nuit de sommeil. C’est comme si une toute nouvelle journée s’ouvrait devant moi !

La principale étape à franchir : apprendre à se relaxer, rapidement, et quasiment en toutes circonstances, dès que vous sentez que la porte du sommeil s’entrouvre.

Cela n’est pas donné à tout le monde, j’en conviens, mais avec de l’entraînement, cela vient rapidement : allongez-vous, ou mettez-vous en position semi-allongée, et respirez calmement, profondément. 

Faites du monde votre chambre à coucher

Il s’agit aussi de réussir à faire abstraction de tout ce qui vous entoure.

Hormis les week-ends, mes siestes se déroulent hors de chez moi : il m’arrive de m’allonger sur un canapé, au bureau, alors qu’il y a du passage autour de moi.

Aux beaux jours, je m’allonge volontiers sur un banc ou à même la pelouse, dans un parc municipal, bercé par le chant des oiseaux (j’essaie de choisir des endroits les plus éloignés possibles de la circulation).

Je ne connais pas de plus grand délice qu’une sieste que l’on fait en vacances, soit l’hiver, au son du feu qui crépite dans le poêle, ou l’été, bercé par le bruit des vagues.

Au moins une fois sur deux, je ne dors pas vraiment lors de cette sieste : mais je me relaxe profondément, et me relève très détendu, et reposé.

Le sommeil d’une sieste rapide comme celle-ci (que les anglophones appellent « power nap ») ne nécessite ni l’obscurité complète ni un silence absolu : c’est un sommeil léger. Ce n’est que lors d’une sieste plus longue que vous entrez dans un sommeil plus profond.

Quelques astuces si vous débutez

Si vous n’êtes pas un habitué des siestes, et que vous avez peur de basculer dans un temps de sommeil trop long, je vous conseille tout simplement de programmer un réveil ou une alarme avant de fermer les yeux.

Là encore, c’est une habitude à prendre.

Pour ma part, je me réveille automatiquement au bout de dix à vingt minutes grand maximum.

Pour revenir au début de ma lettre, certaines personnes combinent le café et la sieste : ils le boivent juste avant de s’allonger. Il semblerait que la caféine n’agisse qu’au bout de 15 à 20 minutes, réveillant alors le dormeur naturellement.

Enfin… ne culpabilisez pas ! La sieste est dévalorisée dans certains milieux, considérée soit comme un « truc de vieux », soit comme un « truc de paresseux ». Or, très ironiquement, elle nous permet de ralentir le vieillissement et d’être plus efficace au réveil !

Si vous avez vous aussi des astuces pour réussir vos siestes, je vous écoute (commentaires en bas de cette page).

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet


[1] Fernandez-Mendoza (J.) et al., « Objective short sleep duration increases the risk of all-cause mortality associated with possible vascular cognitive impairment », Sleep Health, 20 novembre 2019, consulté en novembre 2019, disponible sur https://doi.org/10.1016/j.sleh.2019.09.003

[2] Francesco (P.) et al., « Quantity and Quality of Sleep and Incidence of Type 2 Diabetes », Diabetes Care, février 2010, vol. 33, no 2, pp. 414-420, consulté en novembre 2019, disponible sur https://doi.org/10.2337/dc09-1124

[3] Prather (A. A.) et al., « Behaviorally Assessed Sleep and Susceptibility to the Common Cold », Sleep, 1er septembre 2015, vol. 38, no 9, pp. 1353-1359, consulté en novembre 2019, disponible sur https://doi.org/10.5665/sleep.4968

[4] Edwards (R.) et al., « Duration of sleep contributes to next-day pain report in the general population », Pain, juin 2008; vol. 137, no 1, pp. 202-207, consulté en novembre 2019, disponible sur https://doi.org/10.1016/j.pain.2008.01.025

[5] Taeryoon (K.) et al., « Associations of mental health and sleep duration with menstrual cycle irregularity: a population-based study », Archives of Women’s Mental Health, vol. 21, no 6, pp. 619-626, consulté en novembre 2019, disponible sur https://doi.org/10.1007/s00737-018-0872-8

[6] Cappucio (F. P.) et al., « Sleep Duration and All-Cause Mortality: A Systematic Review and Meta-Analysis of Prospective Studies », Sleep, mai 2010, vol. 33, no 5, pp. 585-592, consulté en novembre 2019, disponible sur https://doi.org/10.1093/sleep/33.5.585

[7] Faraut (B.), Sauvés par la sieste, éditions Actes Sud, mars 2019.

[8] Ibid., p. 135.

[9] Ibid., p. 188.

[10] Ibid., p. 189.

[11] Ibid., p. 195.

[12] Mednick (S.) et al., « Sleep-dependent learning: a nap is as good as a night », Nature Neuroscience, 22 juin 2003, vol. 6, pp. 697-698, consulté en novembre 2019, disponible sur https://doi.org/10.1038/nn1078

[13] Op. cit., p. 201.

[14] Trichopoulos (D.) et al., « Does a siesta protect from coronary heart disease? », The Lancet, 1 août 1987, vol. 330, no 8553, pp. 269-270, consulté en novembre 2019, disponible sur https://doi.org/10.1016/S0140-6736(87)90848-8