Chers amis,

La peau est l’un de nos organes le plus fascinant.

Tous nos organes sont fascinants, me direz-vous à juste titre, mais la peau… c’est différent.

Elle recouvre la totalité de notre corps, et donc constitue notre « interface », primaire et fondamentale, avec le monde extérieur.

Cette interface est extrêmement sophistiquée, laissant entrer ou sortir des substances selon notre état de santé global, certes, mais également en fonction de l’armée de douaniers qui y vit.

Car cet écran total n’est pas désert, bien au contraire.

J’avais déjà, il y a un peu plus d’un an, consacré une lettre à la peau (« Savez-vous « lire » votre peau ? »[1]) ; mais j’aimerais aujourd’hui vous parler plus spécifiquement du petit peuple vivant sur votre peau.

Et qui joue un rôle trop méconnu dans votre santé.

La frontière invisible

Ces dernières années, les découvertes sur le microbiote intestinal (les colonies bactériennes qui peuplent nos entrailles) ont permis de prendre conscience de l’ampleur de son importance pour la santé.

La peau a, elle aussi, sa propre population de micro-organismes, et nous comprenons aujourd’hui que ces bactéries vivant à la surface de notre peau ont les mêmes fonctions protectrices que celles des intestins (ou de la bouche).

L’état de votre peau, mais aussi de plusieurs aspects de votre santé globale, dépend donc en grande partie de l’équilibre de votre microbiote cutané.

Si tout le monde avait conscience du rôle du microbiote cutané, nous ferions sans doute subir à notre peau un traitement quelque peu différent.

La majeure partie de notre peau est, aujourd’hui, cachée par des vêtements. Mon propos n’est évidemment pas de vous inciter à vous promener nu – mais d’attirer votre attention sur le fait qu’en permanence notre peau est en contact direct avec différentes matières, essentiellement des tissus qui n’ont plus grand’ chose de naturel.

Quant aux parties les plus « visibles » de notre peau – soit le visage, les mains et, aux beaux jours, les jambes et les pieds – nous leur faisons subir un traitement pas toujours recommandable.

La panoplie de crèmes pseudo-hydratantes ou nourrissantes qui ont inondé le marché, les crèmes solaires, les lingettes et autres substances chimiques que vous pouvez appliquer sur votre peau altèrent de façon conséquente votre microbiote cutané, et donc son efficacité de « douanier » de votre santé.

Nous sortons en outre d’une période catastrophique pour la santé de la peau, où ces parties exposées de la peau ont été chroniquement soit exposées à des composés chimiques industriels – les masques sur le visage – soit copieusement karchérisées au gel hydroalcoolique.

Songez bien en effet que ces gels remplissent redoutablement leur rôle : ils tuent les micro-organismes… les mauvais, comme les bons !

Je vais revenir sur tout cela dans un instant ; mais avant cela j’aimerais vous parler de la fonction du microbiote cutané, notamment contre le cancer.

Staphylocoque adoré

Le nom « staphylocoque » évoque peut-être pour vous une vilaine maladie cutanée – le staphylocoque doré, provoqué par une bactérie.

Mais la famille bactérienne des staphylocoques compte de nombreux membres, et l’une d’entre elles, Staphilococcus epidermis, produit une enzyme capable de combattre les cellules cancéreuses de la peau, notamment le mélanome, le cancer le plus agressif.

Quand cette souche doit se défendre pour protéger son territoire d’une invasion par des germes pathogènes, elle synthétise un composé chimique appelé 6-HAP qui inhibe l’ADN des cellules cancéreuses, stoppant net leur croissance et leur réplication[2].

Mais si Staphilococcus epidermis est majoritaire parmi toutes les espèces qui colonisent la peau, seulement 20 % de la population possèderait la « variante » spécifique anti-cancer.

Qu’est-ce qui détermine le fait que vous ayez ou non cette souche sur votre peau ?

Tout : des conditions de votre naissance aux vêtements que vous portez.

Forêt vierge sous les aisselles, Sahara sur les avant-bras

Dès les premières minutes de votre vie, selon que vous soyez né par les voies naturelles ou par césarienne, votre microbiote sera dépendant des Lactobacillus du microbiote vaginal de votre mère, ou bien davantage dépendant de celui de sa peau[3].

Au départ, votre population microbienne est peu diversifiée, mais graduellement, elle va prospérer et se développer en fonction des personnes avec qui vous êtes en contact, de vos pratiques d’hygiène, des crèmes et savons employés, du type de vêtement que vous portez, et plus largement de votre exposition à l’environnement, à la nature, aux animaux, etc[4].

En outre, la composition de votre microflore cutanée est loin d’être identique sur toute la surface de la peau : elle fluctue énormément selon la région du corps.

Les communautés microbiennes doivent en effet évoluer dans des conditions aussi différentes que celles d’une forêt vierge au niveau des zones humides comme vos aisselles, du Sahara dans une zone aussi sèche que celle de vos avant-bras, ou encore du bocage normand dans une zone plus grasse comme celle de votre visage !

Selon les zones, les micro-organismes se chiffrent entre la centaine et le million par cm2.

Certains sont installés à vie, on parle d’une flore résidente ou commensale relativement stable, tandis que d’autres composent la flore transitoire qui varie considérablement en effectifs et en genres pour s’adapter en fonction de l’activité et de l’environnement[5].

Chacun de nous transporte ainsi sur lui une communauté microbienne tout à fait unique, d’en moyenne mille milliards de bactéries appartenant à 300 genres différents, ce qui a poussé certains à proposer d’utiliser le microbiote cutané comme outil d’identification médico-légal puisqu’il suffit de prélever un peu des résidus déposés sur la souris d’un ordinateur ou sur les touches d’un téléphone pour identifier avec certitude le propriétaire[6] !

Écran total

Votre corps est donc intégralement recouvert de bactéries… et l’état de votre peau dépend en grande partie de la qualité de ce microbiote cutané.

En première ligne de défense, ce microbiote forme un bouclier naturel capable de repousser les germes pathogènes, contre lesquels il exerce plusieurs modes d’action.

D’abord, comme il occupe le terrain, il assure une certaine protection en laissant peu de place à l’implantation des germes pathogènes.

Il dévore aussi les molécules et les composés excrétés par la peau elle-même et d’autres secrétés par les micro-organismes, ce qui affame les indésirables, réduisant le risque de les laisser proliférer. En outre, les bactéries modifient le pH pour le rendre défavorable aux pathogènes.

À ce rôle de barrière physique s’ajoute un second plus agressif, car certaines souches vont produire des métabolites toxiques et des bactériocines, des facteurs capables d’inhiber la croissance des germes indésirables[7].

Mais si les micro-organismes du microbiote sont majoritairement présents en surface sur l’épiderme, certains résident plus en profondeur dans le derme, là où ils sont en connexion constante et étroite avec les cellules immunitaires de la peau afin de maintenir un équilibre stable.

Il est maintenant certain que votre microbiote cutané contribue au fonctionnement normal de votre système immunitaire, les bactéries résidentes pouvant directement activer les réponses immunitaires en recrutant des agents antimicrobiens et des cellules inflammatoires pour répondre aux agressions de la peau.

Lorsque des facteurs extérieurs altèrent la composition de votre microbiote cutané, cela conduit à une réponse immunitaire défectueuse ; l’inverse est également vrai, des perturbations de l’immunité peuvent provoquer des poussées inflammatoires qui dégradent le microbiote cutané, provoquant des maladies comme l’acné[8], la rosacée[9], l’eczéma[10] et le psoriasis[11].

Conseils pour bien cultiver votre jardin cutané

Tout, absolument tout ce qui vous entoure, influence votre microbiote cutané : vos vêtements, vos savons, mais aussi les membres de votre famille, ce que vous mangez, et l’air que vous respirez : la peau est en première ligne face à la pollution atmosphérique et une étude coréenne a montré que plus la ville où l’on habite est grande et urbanisée, moins le microbiote est de bonne qualité[12].

Voici déjà ce que vous pouvez faire, à votre échelle, pour améliorer l’équilibre de la composition bactérienne de votre peau.

Au cas où vous l’ignoreriez encore, prendre une douche chaque jour en se savonnant dans les moindres recoins n’est pas une bonne idée si vous désirez préserver votre microbiote.

Une douche à grands renfort de gel savonneux et de shampooing provoque une véritable tempête pour tout le petit peuple de votre peau, à la fois à cause de l’action mécanique, mais aussi à cause des produits d’hygiène.

Votre microbiote retrouve son homéostasie (son équilibre naturel) entre 4 et 7 jours. Pendant ce temps-là, la peau est fragilisée, elle s’assèche et le risque d’infection et d’allergie devient plus important.

Se laver moins souvent est en particulier recommandé si vous avez la peau sèche ou enflammée par un eczéma ou un psoriasis. Même l’eau avec son pH de 7 peut devenir irritante pour les peaux fragilisées, bannissez l’eau trop chaude qui affaiblit l’épiderme, une température tiède entre 30 et 35°C est suffisante.

Vous pouvez parfaitement vous contenter de nettoyer les aisselles et les parties génitales, le reste du corps n’a pas besoin d’être lavé tous les jours, vous laissez ainsi à votre microbiote le temps de retrouver son homéostasie.

C’est la première étape indispensable.

L’étape suivante consiste à choisir avec soin vos produits d’hygiène car la plupart comprennent des conservateurs et des antiseptiques tueurs de bactéries, ainsi qu’un pH trop basique (alors qu’il est essentiel que la peau conserve son manteau acide protecteur, le meilleur gardien du microbiote, autour de 4,7 à 5,5) ; le tout a un effet de karcher sur votre microbiote cutané.

Sans parler des parfums ou d’autres composés chimiques et antibactériens comme le triclosan !

Évitez, donc, les gels douche trop détergents, trop alcalins et formulés avec des composés agressifs, préférez le savon à froid surgras ou les produits lavants sans conservateur, sans colorant et sans parfum.

Et comme je le disais plus haut, fuyez les gels antibactériens, ils tuent aussi les bonnes bactéries.

Cela vaut également pour les lingettes nettoyantes qui ont des effets catastrophiques sur le système immunitaire des bébés : une étude a démontré que l’utilisation de lingettes nettoyantes serait un des facteurs à l’origine des allergies alimentaires chez les enfants, bien avant que l’eczéma ne se manifeste[13].

En effet, les lingettes laissent des résidus de savon sur la peau des bébés, ce qui perturbe dramatiquement leur fragile écosystème cutané et devient un facteur affolant le système immunitaire, favorisant du même coup le déclenchement des allergies.

Plusieurs marques de lingettes avaient déjà été pointées du doigt du fait de leur teneur en composés douteux, ici c’est un détergent couramment retrouvé dans les produits cosmétiques, le sodium laurylsulfate (SLS), qui est sur la sellette.

Si vous vous maquillez

Justement, l’emploi de produits cosmétiques et de maquillage, qui font partie du « rituel beauté » de beaucoup de femmes, est une autre source de carnage microbiotal[14].

Mon conseil est de réduire le plus possible les masques, gommages et désinfectants. 

Si vous ne pouvez vous passer de ces produits, privilégiez les cosmétiques naturels garantis sans ingrédients polémiques, certifiés bio, ou mieux, portant la mention Slow cosmétique[15].

Voici quelques conseils pour le visage :

  • Commencez le matin par un simple rinçage avec une lotion sans alcool et non agressive, comme un hydrolat de rose ou une eau thermale. Vous préserverez le microbiote qui s’est régénéré durant la nuit.
  • Le soir, nettoyez les impuretés sans produit agressif, une huile végétale avec de bons acides gras et/ou un hydrolat.
  • Débarrassez-vous des produits trop vieux. Avec le temps, ils finissent par laisser se développer d’autres bactéries potentiellement pathogènes[16].

Un autre ennemi de votre microbiote cutané : l’industrie du vêtement

L’industrie du vêtement, avec l’emploi de produits chimiques, altère également votre microbiote cutané ; il est vraiment impératif de laver tout vêtement neuf avant le premier porter !

Mais la matière avec laquelle le vêtement est confectionné joue également un rôle important.

Des chercheurs ont comparé la croissance des bactéries dans les vêtements synthétiques contre les vêtements naturels.

Ils ont découvert que les matières synthétiques abritent des bactéries différentes qui ne sont pas en équilibre avec l’écosystème de la peau humaine, tandis que les communautés microbiennes présentes dans les fibres naturelles reflètent les communautés microbiennes de la peau.

Ils ont également constaté que les machines à laver peuvent propager les diverses communautés microbiennes parmi les membres d’une famille[17].

A noter que la plupart des séchoirs ne sont pas assez chauds pour tuer les microbes et qu’ils peuvent même en favoriser la croissance si les vêtements restent humides.

Le séchage à l’air des vêtements au soleil est bien plus intéressant si vous cherchez à désinfecter vos vêtements.

Voilà pour le microbiote de la peau. Dans ma prochaine lettre, je vous parlerai d’un autre microbiote méconnu et trop souvent négligé : le microbiote de la bouche.

Vous allez voir que, simplement en analysant votre bouche et les bactéries qui s’y trouvent, on peut « lire » votre terrain et vos prédispositions à tout un tas de maladies…

Et que quelques gestes simples peuvent préserver cette précieuse microflore, chargée de défendre la porte d’entrée de votre organisme contre les agresseurs !

Portez-vous bien,

Rodolphe

[1] Savez-vous « lire » votre peau ?, Alternatif Bien-Être.com, 6 mars 2022, https://alternatif-bien-etre.com/sante-et-emotions/savez-vous-lire-votre-peau/

[2] Teruaki Nakatsuji, Tiffany H. Chen, Anna M. Butcher, Lynnie L. Trzoss, Sang-Jip Nam, Karina T. Shirakawa, Wei Zhou, Julia Oh, Michael Otto, William Fenical, Richard L. Gallo, « A commensal strain of Staphylococcus epidermidis protects against skin neoplasia », Science Advances, 4(2) eaao4502, 28/02/2018. doi:10.1126/sciadv.aao4502

[3] Elizabeth A. Grice – The skin microbiome: potential for novel diagnostic and therapeutic approaches to cutaneous disease – Semin Cutan Med Surg. 2014 Jun; 33(2): 98–103.

[4] Alexander J. ProbstAnna K. Auerbach, and Christine Moissl-Eichinger – Archaea on Human Skin – PLoS One. 2013; 8(6): e65388.

[5] Grice EA, Kong HH, Renaud G, Young AC, Bouffard GG, Blakesley RW, et al. A diversity profile of the human skin microbiota. Genome Res 2008 ; 18 : 1043–50

[6] Hampton‐Marcell JT, Lopez JV, Gilbert JA. The human microbiome: an emerging tool in forensics. Microbial Biotechnology. 2017;10(2):228-230. doi:10.1111/1751-7915.12699.

[7] Chen, Y. E. & Tsao, H. The skin microbiome: Current perspectives and future challenges. Journal of the American Academy of Dermatology 69, 143–155.e3 (2013)

[8] Fitz-Gibbon S, Tomida S, Chiu B-H, et al. Propionibacterium acnes strain populations in the human skin microbiome associated with acne. The Journal of investigative dermatology. 2013;133(9):2152-2160. doi:10.1038/jid.2013.21.

[9] Stanisław JarmudaNiamh O’ReillyRyszard ŻabaOliwia JakubowiczAndrzej SzkaradkiewiczKevin Kavanagh – Potential role of Demodex mites and bacteria in the induction of rosacea 01 November 2012, Journal of Medical Microbiology 61: 1504 1510, doi: 10.1099/jmm.0.048090-0

[10] Heidi H. KongJulia OhClay DemingSean ConlanElizabeth A. GriceMelony A. BeatsonEffie NomicosEric C. PolleyHirsh D. Komarow,, Patrick R. MurrayMaria L. Turner,and Julia A. Segre

Temporal shifts in the skin microbiome associated with disease flares and treatment in children with atopic dermatitis – Genome Res. 2012 May; 22(5): 850–859. 

doi: 10.1101/gr.131029.111

[11] Alexander StatnikovAlexander V. AlekseyenkoZhiguo LiMikael HenaffGuillermo I. Perez-PerezMartin J. BlaserConstantin F. Aliferis – Microbiomic Signatures of Psoriasis: Feasibility and Methodology Comparison – Scientific Reports volume 3, Article number: 2620 (2013)

doi:10.1038/srep02620

[12] Sing D, Sing CF. Impact of Direct Soil Exposures from Airborne Dust and Geophagy on Human Health. International Journal of Environmental Research and Public Health. 2010;7(3):1205-1223. doi:10.3390/ijerph7031205.

[13] Matthew T. Walker, Jeremy E. Green, Ryan P. Ferrie, Ashley M. Queener, Mark H. Kaplan, Joan M. Cook-Mills, Mechanism for initiation of food allergy: Dependence on skin barrier mutations and environmental allergen costimulation – Journal of Allergy and Clinical Immunology , Volume 141 , Issue 5 , 1711 – 1725.e9

[14] Staudinger TPipal ARedl B. Molecular analysis of the prevalent microbiota of human male and female forehead skin compared to forearm skin and the influence of make-up. J Appl Microbiol. 2011 Jun;110(6):1381-9. doi: 10.1111/j.1365-2672.2011.04991.x. Epub 2011 Mar 17.

[15] www.slow-cosmetique.com

[16] https://www.huffingtonpost.co.uk/2015/08/26/out-of-date-make-up-health-scare_n_8042736.html?guccounter=1

[17] Chris Callewaert, Sam Van Nevel, & co – Bacterial Exchange in Household Washing Machines – Front. Microbiol., 08 December 2015 | https://doi.org/10.3389/fmicb.2015.01381