Chers amis,
En juin dernier, j’assistai à un mariage dans l’Allier. Au vin d’honneur, une grande nappe en papier avait été dressée, sur laquelle les hôtes étaient invités à écrire le titre de leur roman préféré, et dont ils recommandaient la lecture aux jeunes mariés.
Un titre revenait plusieurs fois : Le Hussard sur le toit, de Jean Giono.
J’ajoutai moi-même ce titre à ma (longue) liste des livres à lire. À l’automne dernier, je trouvai une vieille édition du roman de Giono dans une bouquinerie. Je décidai de me la réserver pour un moment de calme et de repos…
Ce moment n’est arrivé que ces jours-ci, car la période des fêtes a été pour moi, vous le savez, particulièrement… mouvementée. Et j’ai donc emporté Le Hussard sur le toit dans mes bagages pour ma petite retraite au milieu des montagnes.
Mais j’aurais dû lire ce livre plus tôt !… Au moins deux ans plus tôt ! Si vous-même l’avez lu, vous comprenez pourquoi ; si vous ne l’avez pas lu, je vais vous le raconter, sans trop vous dévoiler le roman lui-même bien sûr.
Une lettre qui nous a été adressée il y a 70 ans
L’édition du Hussard que j’ai achetée d’occasion était non massicotée, et encore « vierge », si j’ose dire, c’est-à-dire que ses pages restaient à couper.
Le jour de mon arrivée dans mon perchoir isolé, je me suis installé dans le jardin, muni d’un couteau, et j’ai commencé à ouvrir ces pages.
Il y a à mes yeux toujours quelque chose d’émouvant à couper les pages d’un livre, surtout si celui-ci est ancien. Nous sommes son premier lecteur, comme s’il nous avait attendu tout ce temps pour révéler ce qu’il gardait caché.
Une fine poussière jaune s’échappait de chaque coup de lame que je passais dans le pli des pages. À mesure que ma lecture avançait, j’avais réellement le sentiment de décacheter une lettre qui nous avait été adressée, à vous et moi, il y a 70 ans.
Le roman a été publié en 1951, mais l’histoire se déroule dans les années 1830 : un jeune piémontais, colonel des hussards, traverse le sud de la France pour regagner l’Italie.
Des morts jalonnent cette route, de plus en plus nombreux. Le héros tombe sur une scène horrifiante dans un tout petit hameau dont tous les habitants commencent à être dévorés par les bêtes. Ces macabres découvertes vont se répéter : le pays est ravagé par le choléra.
Et en lisant les effets du choléra sous la plume de Giono, on ne peut pas ne pas penser, de façon frappante, au Covid.
Je ne parle pas d’effets au sens de symptômes, mais des effets de la contagion sur l’homme, sur la façon dont son humanité est secouée ; effets qui, 70 ans après leur publication, résonne de façon terriblement ironique, prémonitoire, avec ce que nous avons vécu ces derniers mois.
La contagion révélatrice
Car le choléra n’est pas le covid, c’est entendu, tant en termes de cause – le choléra est dû à une bactérie, le covid à un virus – que de physiopathologie.
Leur létalité n’est guère comparable non plus : le roman évoque un bourg de 2000 personnes dont 600 sont mortes du choléra en quelques jours.
Mais l’un comme l’autre sert de révélateur de la société, au sens photographique du terme : comme si on plongeait cette société dans un bain chimique, qui en fait ressortir les vertus comme les vices les plus profonds de ses membres, peu ou pas visibles le reste du temps.
Le héros, Angélo Pardi, traverse cette épidémie de choléra à une époque où l’on ne savait pas réellement comment se diffusait la maladie : cette ignorance ajoute à la confusion et nourrit la peur.
Riches notables ou gens de peu : le choléra ne choisit pas, et tous meurent de façon identique et dégradante.
C’est donc parmi les vivants – les vivants en sursis – que la maladie agit comme un révélateur.
Dans le chaos de la contagion et l’imprévisibilité permanente du lendemain, beaucoup accueillent leur prochain à coups de fusil, révélant un égoïsme chevillé au corps, doublé d’une tendance à l’extorsion.
Cet égoïsme solitaire est décuplé par le comportement de groupes bourgeois à Manosque, qui battent à mort des hommes accusés d’empoisonner les fontaines.
On voit ainsi les membres de la bonne société se livrer au meurtre et à la sauvagerie en pleine rue, et ainsi perdre tout repère non seulement social, mais surtout de dignité.
À l’inverse, d’autres personnages, plus rares, déploient un dévouement qui les dépassent eux-mêmes : un jeune médecin, s’acharnant en vain à sauver au moins un malade ; une vieille nonne amatrice de cigares, qui ramasse les cadavres en pleine rue et les nettoie…
L’organisation de la mort
Mais dans ce chaos, le plus effrayant c’est peut-être les jeux de pouvoir qui se créent, et le système de mort qui se met en place… au nom de la santé publique.
Car le choléra conduit les autorités des villes puis du pays à organiser des quarantaines : des endroits où s’entassent les proches des morts du choléra et les voyageurs de passage, suspects par défaut de porter la maladie.
Et ces quarantaines, créées pour empêcher la maladie de se propager, deviennent des mouroirs, où l’on entre mais d’où l’on ne sort pas, ou plutôt d’où l’on sort les pieds devant.
Ce système des quarantaines est évidemment tenu, et organisé, par les forces de l’ordre, et notamment l’armée : les dragons reconnaissables à leur costume rouge, arrêtent les voyageurs ou les suspects, et les parquent comme des bêtes.
Ces soldats, peu ou pas habitués à la guerre, mettent dans la chasse à leurs concitoyens un zèle mauvais et familier.
« Il était en outre extrêmement réconfortant d’arrêter les gens à vingt contre un et de voir qu’on faisait peur, quand on avait peur soi-même[1] ».
Certains personnages de la société civile trouvent également dans le choléra l’occasion de tenir une position de force qu’ils n’auraient jamais espérée, et/ou l’occasion de faire des affaires sur le dos des fuyards ou des morts.
Ce système mortifère fait ressortir les aspects les plus noirs de l’âme humaine : le goût du pouvoir, avec tout l’abus et la mesquinerie qu’il y a dans l’autorité quand elle se trouve exercée par des personnages ayant des comptes à régler avec tout le monde.
Car la situation d’exception semble justifier tous les abus possibles et imaginables de la part de ceux qui sont du bon côté du sabre de l’autorité, ou de la porte de la quarantaine.
La peur, grand arbitre
Mais ceux-là, même ceux-là, peuvent mourir, et meurent souvent.
Le héros se retrouve à deux reprises coincé dans l’un de ces lieux de quarantaine.
La première fois, il s’y trouve avec deux enfants qu’il a recueillis, avec leur préceptrice, avant d’être mis en quarantaine dans une grange :
« Avant le soir, un homme mourut dans la grande. Très vite. Il échappa tout de suite aux doigts et ne laissa pas une seconde d’espoir. Puis une femme. Puis un autre homme qui faisait sans arrêt les cent pas, s’arrêta, se coucha dans la paille, se couvrit lentement le visage de ses mains. Les enfants se mirent à crier. « Faites taire ces enfants et écoutez-moi, dit Angélo. Approchez-vous. N’ayez pas peur. Vous voyez précisément que moi qui soigne les malades et qui les touche, je ne suis pas malade. Moi qui ai mangé un poulet entier, je ne suis pas malade et vous qui avez peur et vous méfiez de tout vous mourrez. Approchez-vous. Ce que je veux vous dire, je ne peux pas le crier par-dessus les toits. Il n’y a qu’un paysan qui nous garde. Dès qu’il commencera à faire nuit, je le désarmerai et nous partirons. Il vaut mieux risquer la vie sans passeport plutôt que de rester ici à attendre une billette qui ne sert à rien si on est mort.[2] »
Combien ces mots résonnent sinistrement avec les mois que nous venons de vivre, et qui nous ont démontré, à nous aussi, que les mesures mises en place pour lutter contre une maladie peuvent être aussi anxiogènes, et parfois même plus mortelles, que la maladie elle-même.
Je vous invite à m’écrire en commentaire, si vous l’avez lu, si vous faites la même lecture que moi du Hussard sur le toit.
J’aurais aimé le lire plus tôt… et j’aurais aimé que beaucoup de nos décideurs du bon côté du sabre du pouvoir durant cette crise sanitaire, le lisent, ou le relisent.
Portez-vous bien,
Rodolphe
Sources :
[1] Giono J (1951). Le Hussard sur le toit : Gallimard : Paris, p.297.
[2] Ibid, p.79
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Répondre à Jocelyne Annuler la réponse
En soumettant mon commentaire, je reconnais avoir connaissance du fait que Total Santé SA pourra l’utiliser à des fins commerciales et l’accepte expressément.
Bonjour Rodolphe
tout d abord un immense merci pour tout ce que vous faites pour informer ( car l information , la connaissance est la vraie force , celle notamment qui augmente l immunité !…) , la pétition , bref votre engagement courageux face a l ignorance et la corruption ..
Le parallèle entre le livre et la situation due au covid est évidente !
Ce qui est hélas assez permanent avec l être humain , c est que sans conscience , et sans éveil « spirituel »nous sommes en proie à nos égos , sans cesse , aveuglés par la soif du pouvoir qui n est autre qu une réponse justement à une peur profonde , celle de mourrir un jour …
La guerre récente nous le rappelle . Tous ces fous de guerre ont des failles émotionnelles énormes qu’ils cherchent à combler au travers du pseudo contrôle que donne le pouvoir … L histoire est un éternel recommencement ! Malheureusement..
Je rêve moi aussi d un monde peuplé d êtres humains éveillés , pas parfaits ! Mais éveillés et capables de voir et reconnaître ses erreurs , et de s aligner sur le cœur plutôt que sur l ego ..
Bonne journée et au plaisir de vous lire à chaque publication
Avec gratitude
Bonjour Rodolphe
tout d abord un immense merci pour tout ce que vous faites pour informer ( car l information , la connaissance est la vraie force , celle notamment qui augmente l immunité !…) , la pétition , bref votre engagement courageux face a l ignorance et la corruption ..
Le parallèle entre le livre et la situation due au covid est évidente !
Ce qui est hélas assez permanent avec l être humain , c est que sans conscience , et sans éveil « spirituel »nous sommes en proie à nos égos , sans cesse , aveuglés par la soif du pouvoir qui n est autre qu une réponse justement à une peur profonde , celle de mourrir un jour …
La guerre récente nous le rappelle . Tous ces fous de guerre ont des failles émotionnelles énormes qu’ils cherchent à combler au travers du pseudo contrôle que donne le pouvoir … L histoire est un éternel recommencement ! Malheureusement..
Je rêve moi aussi d un monde peuplé d êtres humains éveillés , pas parfaits ! Mais éveillés et capables de voir et reconnaître ses erreurs , et de s aligner sur le cœur plutôt que sur l ego ..
Bonne journée et au plaisir de vous lire à chaque publication
Avec gratitude
Anne
Merci pour votre texte et l’analyse que vous en avez faite. Je suis entièrement d’accord avec vous sur la situation anxiogène que nous a fait vivre ce gouvernement et qui n’est hélas pas terminée.
Cordialement
Maryse
Il y a à mes yeux toujours quelque chose d’émouvant à couper les pages d’un livre, surtout si celui-ci est ancien. Nous sommes son premier lecteur, comme s’il nous avait attendu tout ce temps pour révéler ce qu’il gardait caché.
Une fine poussière jaune s’échappait de chaque coup de lame que je passais dans le pli des pages. À mesure que ma lecture avançait, j’avais réellement le sentiment de décacheter une lettre qui nous avait été adressée, à vous et moi, il y a 70 ans. . Quel joli « coup de plume » ! Magnifique… 1951 est l’année de ma naissance, ce message me parle d’autant plus…. Vous pensez être en retard sur votre lecture, mais vous êtes en avance, je pense, sur les événements à venir dans un futur proche, événement de la mm ampleur… Merci de tout cette poésie qui s’immisce dans toute cette horreur! Le meilleur côtoie toujours le pire et finit par percer le voile de l’oubli…. Merci pour cet envoi original et inattendu…. (sourire!)
Merci Rodolphe.
Je suis médecin… spécialisé en santé publique… passionnée de littérature mais a 70 ans les complications d un carambolage ne permettent plus…en plus du reste de lire…
J ai des le début de la pandémie propose ce livre aux auxiliaires de vie qui sont mes bras mes jambes et aussi ma tête. …
Alors bravo pour ce choix de lecture….
C’est dingue cette histoire qui ns ressemble ! Faut croire que nos histoires de vies, nos réactions se répètent sans cesse et sont toujours les mêmes …Sauf pour quelques uns + éclairés …
REMARQUABLE !!!!
Cher Rodolphe (si je puis me permettre) tout d’abord merci beaucoup pour être monté au front cet hiver. J’admire votre détermination et votre courage quand moi-même je ne me contente que de signer des pétitions… Quant au Hussard Sur Le Toit je me souviens l’avoir lu lorsque j’étais au lycée (il y a près de 45 ans) et que j’avais beaucoup aimé ce roman mais loin de moi la portée philosophique de ce roman. Je dois encore l’avoir dans un coin et je vais m’empresser de le relire ! Merci à vous
Je ne le lirai pas,je suis déjà assez dégoûtée comme ça…entendre dire:les non vaccinés je ne sais pas si je dois encore les respecter
.les non vaccinés je n’en veux pas chez moi…les bons français altruistes vaccinés contre les mauvais français égoïstes non vaccinés…que penser d’un pays où un député est traité de complotiste et menacé de poursuites judiciaires pour avoir osé donner son avis sur un vaccin ???que penser d’un pays où l’on devient non citoyen pour ne pas accepter un vaccin inefficace et même favorisant l épidémie…que penser d un pays où les journalistes parlent d’une seule voix pour garder leur place ? Passent sous silence les actes des uns et montent en épingle ceux des autres… flagrant en ce moment avec la guerre en Ukraine !il faut lire aussi:les animaux malades de la peste de La fontaine,c’est court…et tout est dit !
Merci et bravo, c’est tout à fait ce qui se passe en ce moment… La peur, que dis-je ? La terreur est bien installée, et bizarement ce sont les vaccinés qui sont touchés…
Bonjour,
Après avoir lu votre message je vais me procurer ce livre ,
Convaincue que la peur nuit à notre santé,
Vous lire me réconforte, merci
Le hussard sur le toit est une bien vieille histoire … Mais si vraie et si proche. Je suis à la retraite mais entourée de ma petite famille . Nous avons refusé le vaccin bien sûr. Tour à tour nous avons assisté au génocide des personnes âgées, a la mise au banc des personnes non vaccinées. Voilà bientôt trois ans que je n’ai plus d’activité sociale parceque paria, mais je ne lacherais pas mes convictions pour un bar un resto ou une boîte de nuit. Le pire c’est de voir que l’entraide des premiers mois a fait place à la méfiance et aux ruptures. Les gouvernements nous ont montré à quel point nous sommes prisonniers de leurs décisions. Mais la liberté existe pour ceux qui veulent bien la prendre…
Vous avez fit de ce livre une très émouvante description qui effectivement nous rappelle directement ce que nous vivons encore aujourd’hui. J’avais lu ce livre il y a plus de 50 ans mais je n’avais pas fait la relation avec la « pandémie » que nous avons subie et que nous sommes toujours en train de subir. C’est sans doute la raison principale qui m’a fait refuser le vaccin alors que j’ai pris celui contre la grippe Merci de votre piqure de rappel.
(Avoir peur c’est se préparer à obéir) (hobbe) je trouve très juste cette phrase. C’est ainsi que le monde a réagi sans trop réfléchir hélas…ce livre est magnifique et tellement actuel. Merci de l avoir remis à lire ou relire. Bonne journée.
Le choléra ils n’avaient rien pour le soigner. Ce qui est terrible concernant le Covid c’est qu’il y avait des médicaments pour guérir les gens et que le gouvernement les a interdits, a dit aux gens d’attendre chez eux avec un inutile Doliprane, la maladie s’aggravait, ce qui a engorgé des hôpitaux déjà à bout de souffle et tué… et c’est ce qui a engendré la peur. Une manipulation diabolique.