Chers amis,

Vous souvenez-vous du film Le Cerveau, avec Bourvil et Jean-Paul Belmondo ?

Dans cette comédie policière, David Niven (au centre de la photo) interprète un cambrioleur de génie, surnommé « le cerveau ».

Il est si extraordinairement intelligent, apprend-on dès le début du film, que son cerveau est plus gros que la normale… et trop lourd pour ses cervicales !

Ce qui lui fait pencher la tête d’un côté ou de l’autre…

Cette idée du cerveau de génie, trop lourd pour celui qui en est doté, est un ressort scénaristique drôle et efficace.

Et si ce ressort n’a aucune pertinence scientifique… il repose sur une idée reçue longtemps partagée par les scientifiques eux-mêmes !

Tu la sens, ma grosse intelligence ?

Le mythe du lien entre la taille du cerveau et l’intelligence a la vie dure, et se reflète dans certaines expressions comme « cervelle de moineau », « tu as un petit pois dans la tête » ou « une mémoire d’éléphant ».

Précisément, la taille du cerveau, chez les animaux, ne permet pas de prédire leur intelligence… D’autant moins sur des critères forcément humains !

Le cerveau de l’éléphant pèse 5 kg, celui de la baleine bleue 8 kg, et le nôtre… entre 1,3 et 1,4 kg en moyenne.

Cette spectaculaire différence ne signifie pas que ces mammifères sont plus (ou moins) intelligents que l’être humain, mais tout simplement que la taille de cet organe est adaptée à leurs proportions, et à leur environnement.

De même, des études récentes ont conclu que les corvidés comme les geais, les corneilles et les corbeaux ont un quotient intellectuel proche de celui d’un chimpanzé ou d’un enfant de 3 à 5 ans[1].

Cependant, si ces volatiles avaient un cerveau d’un volume comparable à celui du chimpanzé ou de l’enfant… ils ne pourraient plus voler !

L’observation empirique et des recherches plus poussées nous montrent donc que, dans le monde vivant, le volume du cerveau (ni même la présence de cerveau !) n’a guère de rapport avec l’intelligence absolue.

Mais chez l’être humain ?

La bosse des maths, et autres coups et blessures assénés à l’intelligence

Il y a deux siècles, des scientifiques s’échinaient, avec beaucoup de sérieux, à mesurer et à mouler toutes sortes de crânes afin de cartographier l’intelligence humaine.

Cette science, appelée la phrénologie, peut nous paraître ridicule aujourd’hui, mais elle eut ses adeptes et ses défenseurs acharnés, qui prétendaient pouvoir déterminer le caractère d’un individu et même prédire son potentiel criminel en fonction de la forme de sa tête.

On la retrouve dans la littérature : Balzac s’en est inspiré pour certaines descriptions de ses personnages… et Flaubert s’en est moqué, dans Bouvard et Pécuchet.

Nous en avons gardé quelques expressions, comme « avoir la bosse des maths » – la faculté d’être bon en calcul étant identifiable, selon les phrénologues, par le développement d’une partie précise du crâne :

Illustration issue d’un Almanach Hachette de 1905[2]

À leur décharge, Il y avait de quoi s’y tromper : les phrénologues étudiaient notamment les cas de microcéphalie, autrement dit les crânes d’ « idiots » au cerveau plus petit que la normale…

On sait maintenant que la microcéphalie – c’est-à-dire un crâne sous-développé – est effectivement associée à des capacités intellectuelles réduites, mais aussi qu’il s’agit d’un symptôme pathologique.

Nous en avons eu récemment des exemples dramatiques avec les enfants de mère infectées par le virus Zika, lesquels souffrent d’une malformation du cortex cérébral[3].

Ce n’est pas la taille qui compte…

L’absence de lien réel entre le volume du cerveau et l’intelligence n’est « acceptée » que relativement depuis peu de temps, par la convergence de progrès différents.

Un progrès social et sexuel : les femmes étant statistiquement plus petites que les hommes, elles ont également un cerveau plus petit. Considérer, pour cette raison, que les femmes sont par nature moins intelligentes, et les hommes plus intelligents, est aujourd’hui inacceptable.

Un progrès évolutionniste : l’amour-propre de l’homme moderne a été sacrément blessé lorsque la paléoanthropologie a permis de comprendre que notre cerveau est d’une taille 15 à 20% inférieure à celle de l’homme de Cro-Magnon, et – sacrilège ! – que l’homme de Neandertal, ce cousin barbare disparu, avait le plus gros cerveau de la lignée humaine[4] !

Mais, ce qui a peut-être le plus symboliquement marqué les esprits (et la science), c’est… le cerveau d’Einstein.

Quelques heures après le décès d’Albert Einstein, son cerveau fut prélevé par un pathologiste.

Et là, stupeur ! Le cerveau du grand Albert s’est révélé plus petit et plus léger que la moyenne : 1,23 kg (contre, donc, 1,3 à 1,4 kg en moyenne) !

Le plus grand génie du XXè siècle avait une petite cervelle !

Ce prélèvement controversé (réalisé sans l’accord de la famille d’Einstein, et en contradiction avec son testament) a toutefois permis par la suite d’expliquer, sinon l’intelligence exceptionnelle du savant, du moins ses caractéristiques singulières.

… C’est la façon de s’en servir

Durant des décennies, le cerveau d’Einstein n’a livré aucun secret fracassant.

Ça n’est que trente à cinquante ans plus tard que des analyses plus poussées ont permis de faire des découvertes édifiantes :

  • les circonvolutions du cortex cérébral (couche externe) d’Einstein sont plus complexes que la moyenne dans le cortex préfrontal (zone associée au raisonnement, à la planification), ainsi que dans les lobes pariétaux (impliqués dans les capacités mathématiques et la vision dans l’espace) ;
  • les cellules gliales, qui nourrissent et protègent les neurones, sont particulièrement nombreuses dans le lobule pariétal inférieur gauche (raisonnement mathématique et vision dans l’espace) et dans les cortex temporaux ;
  • le lobe frontal droit présente une haute densité de neurones[5].

En 2013, une nouvelle publication s’intéressait aux plis du cerveau d’Einstein – vous savez, ces plis et replis qui donnent à notre cerveau l’apparence d’une prune ratatinée.

Dans cette publication, la neuroanthropologue Dean Flak décrit en détail les renflements (gyrus), les sillons, et les fissures (sillons profonds) du cerveau d’Einstein, comparé à 85 cerveaux témoins. 

Dean Flak observe que les zones du cerveau proches de la région qui représente le visage et la langue, les cortex somatosensoriels et moteurs, sont très étendus. En outre, le caractère inhabituel des lobes pariétaux pourrait expliquer ses « dons » pour les mathématiques et sa vision dans l’espace.

Mais le plus instructif est sans doute ceci : le père de la relativité avait des cortex préfrontaux hors-normes, avec des repliements complexes qui ont pu contribuer à ses capacités cognitives remarquables.

Pourquoi ? Parce que plus le cerveau a une structure « pliée » et complexe… Plus le taux de neurones s’y trouvant est élevé, et les connexions entre les différentes aires du cerveau, sophistiquées et rapides.

Tout ceci prouve que le cerveau d’Einstein était « bien câblé ».

Mais ce câblage était-il le pur fruit de la chance et du destin… ou de l’entraînement ?

Probablement un peu des deux.

Peut-on devenir « plus intelligent » ?

Ce n’est que depuis les années 2000 que nous disposons d’éléments un peu plus tangibles pour comprendre comment se « fait » l’intelligence.

En 2005, une étude importante établit que le nombre de neurones corticaux et la vitesse de conduction pouvaient constituer le socle de la capacité du traitement de l’information – autrement dit, des critères prédictifs de l’intelligence[6]. 

C’est une étape capitale car elle démontre que le nombre de neurones – tout comme la taille du cerveau – ne suffit pas : c’est la complexité et la rapidité de leurs connexions qui fait la différence.

Or, ce que nous avons appris encore plus récemment, c’est l’incroyable plasticité du cerveau.

Exactement comme la masse musculaire, les neurones et les connexions entre les différentes aires de notre cerveau s’entretiennent.

En 2019, une étude allemande avait établi qu’au bout de 3 semaines de vacances, on perdait 20 points de QI[7] !

Tirez-en les conclusions que vous voulez concernant vos vacances, ou votre retraite, le plus important reste ceci : sans entraînement, sans exercices, les connexions neuronales s’affaiblissent… et on perd en capacités intellectuelles.

La bonne nouvelle, c’est qu’il n’est jamais trop tard. Cela fait moins de dix ans que l’on sait que, contrairement à ce que l’on a longtemps cru, nous continuons à fabriquer des neurones durant toute notre vie adulte (jusqu’à 97 ans au moins !).

Jusqu’alors, les scientifiques étaient fermement convaincus que nous disposions d’un « capital neuronal » formé durant l’enfance, que nous étions condamnés à voir s’amenuiser.

Mais non : nous fabriquons jusqu’à 700 neurones par jour[8]. On appelle ce phénomène la neurogenèse.

Donc, oui : nous pouvons bel et bien entretenir notre cognition ; mais il y a mieux : nous pouvons muscler notre cerveau.

Comment ? En apprenant de nouvelles choses. Un nouveau jeu, une nouvelle langue, un nouveau sport – de préférence en sortant de notre « zone de confort » cérébrale et sollicitant ainsi des aires de notre cerveau qui n’avaient pas l’habitude de l’être.

Mais aussi, tout simplement, en étant curieux.

Fin 2019, je vous avais fait part d’une étude captivante qui démontrait que les souris de laboratoire les plus enclines à explorer de nouveaux environnements sont celles dont la neurogenèse est la plus active, et les mieux protégées des dégénérescences séniles[9].

Einstein avait une intelligence hors du commun, oui. Mais c’était également une personnalité à la fois travailleuse et ouverte d’esprit, facétieuse : ces qualités ont sans nul doute contribué à modeler son intelligence.

Et nous pouvons tous le faire.

Portez-vous bien,

Rodolphe

[1] Berthet M & Kaiser S (14.06.2020). Les corbeaux sont-ils si intelligents que ça ? The conversation. https://theconversation.com/les-corbeaux-sont-ils-si-intelligents-que-ca-135724

[2] Techno-Science.net (12.12.2010). Rétro 1905 : Les curiosités de la phrénologie. https://www.techno-science.net/actualite/retro-1905-curiosites-phrenologie-N8516.html

[3] Gaubert C (11.12.2017). Zika: des chercheurs identifient le mécanisme qui provoque la microcéphalie.  Sciences et avenir. https://www.sciencesetavenir.fr/sante/zika-et-microcephalie-le-mecanisme-enfin-elucide_119027

[4] Le Diagon S (17.04.2021). Neuromythe #3 : la taille du cerveau influence l’intelligence. Cortex Mag. https://www.cortex-mag.net/neuromythe-3-la-taille-du-cerveau-influence-lintelligence/

[5] Sender E (14.03.2017). Einstein: l’incroyable destin de son cerveau… après sa mort. Sciences et avenir. https://www.sciencesetavenir.fr/fondamental/biologie-cellulaire/la-saga-du-cerveau-d-einstein_27008

[6] Roth G, & Dicke U (2005). Evolution of the brain and intelligence. Trends in cognitive sciences, 9(5), 250–257

[7] Saldman F (21.07.2018). Vacances : non, il ne fait pas bon partir trop longtemps. RTL. https://www.rtl.fr/actu/bien-etre/vacances-non-il-ne-fait-pas-bon-partir-trop-longtemps-7794183922/amp

[8] Spalding KL, Bergmann O, Alkass K, et al. (2013). Dynamics of hippocampal neurogenesis in adult humans. Cell. 153(6):1219-1227. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23746839

[9] Bacquet R (31.12.2019). Alzheimer et le voyage. https://alternatif-bien-etre.com/maladies/alzheimer/alzheimer-et-le-voyage/