Chers amis,

En ce dimanche de Noël, je vous souhaite de vivre de beaux moments d’amour, de joie et de partage en famille.

Si vous avez la chance de pouvoir passer cette période en compagnie de celles et ceux que vous aimez, chérissez ces instants.

Mais si, d’aventure, vous vous trouviez seul aujourd’hui, j’aimerais en toute humilité vous inviter à trouver le réconfort en la compagnie… de livres.

Mais pas n’importe quels livres.

Seul, mais jamais seul

Je me suis longtemps trouvé – de mon propre chef – en exil dans des pays d’une autre langue que la mienne.

Durant ces années, mes livres en langue française ont été le fil qui me raccordait à mon lieu et ma culture d’origine, comme une patrie portative.

Lorsque j’en trouvais un nouveau qui littéralement « me parlait », à des centaines ou des milliers de kilomètres loin de la France, il devenait pour moi un ami et un complice.

Avec un tel livre, je n’étais jamais seul ; ou plutôt la solitude m’était un plaisir et un privilège.

Cette relation n’était toutefois pas la même selon les circonstances. Le livre que j’emmenais avec moi dans ma besace et dans mes voyages était un compagnon de route.

Avec les livres qui précédaient le temps du sommeil, j’entretenais une relation plus feutrée, plus intime.

Qu’il s’agisse de personnes ou d’objets, ceux auxquels nous donnons accès à notre lit, lieu par excellence du privé, du secret, jouissent d’un statut particulier : ils ont des droits que les autres n’ont pas.

Ce sont ces livres, que l’on appelle des livres de chevet, dont j’aimerais vous parler.

Lire au lit

Être au chevet de quelqu’un, c’est lui apporter réconfort et assistance ; c’est, par notre seule présence, l’assurer qu’il n’est pas seul au monde.

Les livres de chevet remplissent le même rôle.

Rôle que vous fixez et distribuez, vous.

C’est vous qui décidez lesquels d’entre eux vont avoir le privilège de partager avec vous ce temps et cet espace à part que sont votre lit, le soir.

Les livres « élus » ont ainsi un profil bien particulier : ils peuvent vous détendre et vous faire rire, ou bien vous faire voyager loin… depuis votre lit ; ils peuvent vous plonger dans de profondes réflexions et nourrir votre spiritualité.

Traditionnellement, le livre de chevet par excellence est la Bible, et sa lecture le soir avant de dormir s’apparente à, ou prolonge, la prière du croyant.

Selon votre tempérament et votre humeur, votre livre de chevet vous projette dans l’extérieur, c’est-à-dire vous permet de vous évader en conservant le confort de votre lit – ou bien produit le mouvement inverse, vous fait rentrer en vous-même, dans une sorte de méditation guidée.

Dans son beau livre Une Histoire de la lecture, l’essayiste argentin Alberto Manguel raconte au sujet de l’écrivaine Colette que « la fillette ne trouve refuge que dans sa chambre, au creux de son lit, la nuit venue. Durant toute sa vie adulte, Colette recherchera cet espace de lecture solitaire. Qu’elle vive en ménage ou seule, dans de petits logements sur cour ou de grandes villes à la campagne, dans des chambres meublées ou de vastes appartements parisiens, elle se réservera (pas toujours avec succès) une zone dans laquelle les seules intrusions seront celles dont elle aura elle-même pris l’initiative. À présent, étendue dans le lit douillet, le livre bien-aimé posé sur le ventre et tenu à deux mains, elle a établi non seulement son propre espace mais aussi sa propre mesure du temps.[1] »

Le rituel de la lecture le soir est autant celui du retour au foyer, que des retrouvailles : vous renouez avec des repères, un univers, mais aussi une pleine liberté.

Manguel écrit en effet plus loin : « Lire au lit est une activité égocentrique, immobile, libre des conventions sociales habituelles, cachée au monde et qui, parce qu’elle a lieu entre les draps, dans le domaine de la luxure et de l’oisiveté coupable, a un peu l’attrait des choses interdites[2]. »

Dis-moi quels sont tes livres de chevet, je te dirai qui tu es

Il y a deux sortes de livres de chevet : ceux qui sont là à demeure, que l’on reprend et que l’on relit régulièrement.

Ces livres-là, au cours de notre vie, eux-mêmes changent. Pour moi, ça a longtemps été les 1001 nuits[3] ; à présent ce sont les Dialogues avec l’ange[4].

J’y reviens régulièrement, et les retrouver me procure le même apaisement que de retrouver la conversation d’un ami ou les bras d’un être aimé.

Et puis il y a les livres que l’on invite : eux ne sont que de passage, ils restent à votre chevet le temps de la lecture, mais le fait que vous alliez au bout de chacun montre qu’ils ont aussi leur utilité.

Ça peut être, typiquement pour moi, des romans d’Agatha Christie ou de Gaston Leroux, et certaines bandes dessinées.

Et puis, entre les deux, entre les livres de chevet à demeure, et les livres de chevet invités, il y a les auteurs de chevet. Différents titres d’un même auteur, dont les œuvres défilent au cours de l’année entre vos mains et entre vos draps…

C’est, actuellement pour moi, Jean Giono et Rudyard Kipling, dont j’ai toujours un roman ou un recueil de nouvelles entamé à mon chevet.

Mais, si on fait le compte de tous ces livres de chevet, les permanents et ceux de passage, ils reflètent nos goûts (qui changent), nos préoccupations (qui varient aussi), nos espoirs (les déçus, et les nouveaux).

En bref, vos livres de chevet disent qui vous êtes, aujourd’hui, et racontent votre histoire, votre trajectoire dans la vie.

Ils sont, en effet, ce qu’il y a de plus intime et de plus réconfortant – oserai-je dire de plus sacré ? – au seuil de votre entrée dans le sommeil.

Et, justement, ils vous aident à rentrer avec plus de douceur et de concentration dans la nuit.

Lisez un livre au lit, vous dormirez mieux

Je me suis demandé si ce que j’éprouvais si évidemment était objectivable : est-ce que, oui ou non, l’on dort mieux la nuit après avoir lu avant d’éteindre notre veilleuse ?

Une étude, dont les résultats ont été publiés l’an dernier, le confirme.

Environ un millier de volontaires ont été répartis en deux groupes par les chercheurs : la moitié des participants lisait un livre avant de dormir, les autres pas.

Les auteurs ont estimé que le sommeil du ceux qui lisaient avant de dormir était 8 à 22% supérieur au sommeil de ceux qui ne lisaient pas[5].

Je précise que ces résultats ne s’obtiennent qu’avec… un livre.

Une précédente étude de 2016 avait en effet comparé, elle, la qualité du sommeil de participants lisant sur un iPad avant de dormir, à celle de participants lisant un livre.

Sans surprise, les chercheurs avaient conclu que l’écran rétroluminescent de la tablette avait un effet perturbateur sur le cycle du sommeil de ses utilisateurs[6].

Au moment de l’année où le temps nocturne est le plus long de l’année, mon conseil est donc terriblement simple : choisissez un bon livre avant de dormir, il vous réchauffera, et vous bercera.

Je découvrirai avec plaisir le liste de vos livres de chevet, en commentaire à cette lettre.

Belles fêtes à vous,

Rodolphe Bacquet


[1] A. Manguel, Une histoire de la lecture, Babel, 1998, pp.222-223

[2] Ibid., pp.227-228

[3] GF, traduction d’Antoine Galland.

[4] Aubier Montaigne, 1990.

[5] Finucane, Elaine et al. “Does reading a book in bed make a difference to sleep in comparison to not reading a book in bed?

[6] Grønli, Janne et al. “Reading from an iPad or from a book in bed: the impact on human sleep. A randomized controlled crossover trial.”