Chers amis,

Les colonies de bactéries que vous abritez dans toutes les parties de votre corps pourraient, si on les identifiait une par une, en dire aussi long sur vous que votre ADN.

Et même davantage que votre ADN : car, contrairement à celui-ci, le microbiote (le nom que l’on donne à ces colonies de bactéries), qui se loge sur votre visage, dans votre bouche, sous vos aisselles ou dans votre tube digestif, « évolue » au cours de votre existence.

Sa composition change en effet avec vos habitudes, votre hygiène de vie.

Les personnes avec lesquelles vous habitez, les produits que vous employez pour vous laver et, naturellement, ce que vous mangez, influencent ces populations de bactéries.

Lesquelles, en retour, influencent votre santé.

Surprenantes découvertes dans une grotte irlandaise

Des chercheurs du Trinity College, à Dublin, ont réussi un petit exploit : ils ont pu analyser la composition microbiotique de deux dents trouvées dans une grotte calcaire irlandaise.

Des dents âgées de… 4000 ans.

C’est un exploit car, jusqu’ici, les analyses de microbiote bucco-dentaire les plus anciens que la science avait réussi à effectuer remontaient au Moyen-Âge ; grâce à la bonne conservation de ces deux dents, les chercheurs ont pu remonter à l’âge de bronze.

Et ils ont fait 3 découvertes importantes.

La première découverte est que les dents portaient des souches différentes de Tannerella forsythia, une bactérie provoquant des parodontites. Or, depuis environ 750 ans, il n’existe plus qu’une souche dominante, responsable de ces maladies.

La deuxième découverte est la présence de Streptococcus mutans, le principal responsable de la carie dentaire.

C’est une découverte surprenante car cette bactérie, friande de sucre, a surtout colonisé les bouches humaines à partir de l’ère industrielle, c’est-à-dire lorsque la production et la consommation de produits alimentaires riches en sucres ont pris une ampleur sans précédent dans l’histoire de l’humanité.

Il s’agit donc du plus ancien génome de Streptococcus mutans décodé à ce jour.

Autrement dit, l’être humain auquel appartenaient ces deux dents avait vraisemblablement mal aux gencives, et risquait d’avoir des caries.

La troisième découverte découle des deux premières : elle confirme que les colonies bactériennes que nous hébergeons aujourd’hui sont moins diversifiées que celles de nos ancêtres[1].

Cet appauvrissement de la variété du microbiote buccal – et, par extension, du microbiote intestinal – serait la conséquence directe de l’industrialisation de notre alimentation.

Or cette perte de biodiversité peut avoir un impact sur la santé humaine.

Votre microbiome, en toute intimité

Vous vivez en symbiose avec, estime-t-on, 4 000 000 000 0000 de bactéries[2].

Rien que dans vos intestins, on compterait 100 000 milliards de bactéries, soit… entre un et deux kilos !

Loin d’être de simples squatteurs, ces micro-organismes jouent un rôle crucial dans votre santé.

Ils aident à la digestion des aliments, à la production de vitamines essentielles que l’être humain est incapable de synthétiser par lui-même (comme la vitamine K, indispensable à la croissance des os et à la coagulation du sang, ou la vitamine B12, importante pour le système nerveux et la formation des globules rouges), à la régulation de votre système immunitaire et même à la protection contre certains agents pathogènes.

Les microbiotes humains regroupent un ensemble diversifié d’espèces bactériennes, majoritairement des Firmicutes et des Bacteroidetes dans le microbiote intestinal.

Comme je vous le disais au début de cette lettre, chaque individu possède un microbiote unique, considéré comme une empreinte digitale bactérienne.

Malgré cette diversité individuelle, certaines espèces sont communes à la plupart des gens, telles que Faecalibacterium prausnitzii (une bactérie « antidouleur » dont la présence diminue lors d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin[3]) ou Akkermansia muciniphila (qui joue un rôle dans le métabolisme et dont l’insuffisance est liée au syndrome métabolique et à l’obésité)[4].

On a constaté des différences importantes d’une population à l’autre : des communautés japonaises possèdent des bactéries leur permettant de digérer certaines algues, tandis qu’en Afrique, les enfants nourris au sorgho digèrent bien la cellulose grâce à d’autres bactéries[5].

Votre « flore intestinale » (l’ancien nom du microbiote intestinal, qui vous parlera peut-être davantage) vous vient à la fois de votre mère – en naissant par voie vaginale, vous avez été « ensemencé » par sa flore intestinale – puis de votre alimentation.

Ce microbiote, lorsqu’il est équilibré, vous protège des parasites et des micro-organismes pathogènes ; mais lorsqu’il est perturbé, c’est toute votre santé qui en pâtit.

Ces perturbations peuvent être provoquées par une maladie, un traitement antibiotique ou tout simplement… un mauvais régime alimentaire.

Qui influence qui ?

La composition de votre microbiote dépend directement de ce que vous lui fournissez – c’est-à-dire de ce que vous mangez. En mangeant tel ou tel type d’aliments vous n’allez pas favoriser les mêmes populations bactériennes.

Et c’est là que les choses peuvent se corser.

Car si votre régime alimentaire peut influencer votre microbiote bucco-dentaire ou intestinal – vous en avez une preuve éclatante, si j’ose dire, avec Streptococcus mutans, qui colonise votre bouche en se nourrissant du sucre que vous consommez, jusqu’à nécroser vos dents, et donc à provoquer des caries – l’inverse est sans doute vrai aussi.

Votre microbiote intestinal est en effet capable d’influencer votre cerveau, par l’intermédiaire des cellules nerveuses tapissant votre paroi intestinale et directement reliées au nerf vague, mais aussi par le sang.

Cet axe « intestin-cerveau », qui a d’ailleurs conduit à donner au système digestif le surnom de « deuxième cerveau », fait l’objet, depuis quelques années seulement, de découvertes fracassantes.

Ainsi, il y a un peu moins de quatre ans, je vous avais relaté comment un patient de 82 ans avait vu son Alzheimer inversé en 6 mois grâce à une transplantation fécale[6].

Derrière ce terme peu ragoûtant se cache une opération simple de réensemencement du microbiote intestinal d’un patient grâce à un donneur sain.

Ce patient avait été, initialement, « transplanté » pour lutter contre une infection résistante aux antibiotiques. Résultat : non seulement il a mis fin à cette infection bactérienne, mais ses symptômes d’Alzheimer se sont considérablement réduits !

Entre parenthèses, je me demande pourquoi la recherche pharmaceutique contre Alzheimer n’explore pas cette voie…

L’axe « intestin-cerveau » joue vraisemblablement un rôle dans presque toutes les maladies psychiatriques, et pas seulement chez Alzheimer : il y a aussi par exemple la boulimie et l’anorexie, dont le diagnostic est corrélé à des populations bactériennes spécifiques.

En 2021, une méta-analyse de 59 études scientifiques a permis également de clarifier le lien entre la composition du microbiote et le tableau diagnostic de patients souffrant de dépression, de trouble bipolaire, de schizophrénie et d’anxiété.

Le microbiote intestinal de ces patients présentait un déficit de bactéries anti-inflammatoires productrices de butyrate et, à l’inverse, une surpopulation de bactéries pro-inflammatoires.

Sans devoir arriver au stade de la greffe de microbiote (terme plus « propre » que « transplantation fécale »), il y a à ce stade deux bonnes nouvelles.

La première, c’est que l’on sait comment encourager la population de « bonnes bactéries » dans l’intestin : tout simplement en mangeant des fibres alimentaires, soit des fruits et légumes. Les « mauvaises bactéries », elles, sont friandes de graisses et de sucres.

La seconde, c’est que la piste de la greffe de microbiote est, à ce jour, la plus sérieuse pour lutter contre les infections bactériennes résistant aux antibiotiques.

Or l’antibiorésistance étant l’une des menaces de santé publique les plus préoccupantes des années à venir, il est impératif que les savoirs et les pratiques puissent se développer plus rapidement.

Portez-vous bien,

Rodolphe


[1] https://academic.oup.com/mbe/article/41/3/msae017/7617356 – Iseult Jackson, Peter Woodman, Marion Dowd, Linda Fibiger, Lara M. Cassidy, « Ancient Genomes from Bronze Age Remains Reveal Deep Diversity and Recent Adaptive Episodes for Human Oral Pathobionts », in. Molecular Biology and Evolution, vol. 41, Issue 3, mars 2024

[2] Bastien Beaujeu, « Symbioses entre humains et bactéries », in. Espèces n°51, mars 2024, p.19

[3] https://presse.inserm.fr/une-bacterie-intestinale-antidouleur/22063/ – « Une bactérie intestinale antidouleur », site de l’INSERM, 20 janvier 2016

[4] https://www.encyclopedie-environnement.org/sante/les-microbiotes-humains-des-allies-pour-notre-sante/ – Anne-Marie Cassard & Muriel Thomas, « Les microbiotes humains : des alliés pour notre santé », in. Encyclopédie de l’environnement, 8 février 2019

[5] Bastien Beaujeu, op. cit., p.20

[6] https://alternatif-bien-etre.com/maladies/alzheimer/alzheimer-inverse-chez-un-homme-de-82-ans/ – Rodolphe Bacquet, « Alzheimer “inversé” chez un homme de 82 ans », in. Alternatif Bien-Être, 6 juillet 2020