Chers amis,
Qu’aimez-vous le plus chausser ? Des charentaises ou de gros godillots ? Vos pantoufles ou vos chaussures de marche ?
Vous possédez probablement des exemplaires de ces deux familles d’accessoires, et je ne vous ferai pas l’affront de vous écrire que votre préférence en la matière en dit long sur votre personnalité.
Le fait est que la pantoufle et la chaussure de marche peuvent, à elles seules, symboliser deux grands modes de vie de l’espèce humaine : le type casanier et le mouvement perpétuel ; autrement dit la sédentarité et le nomadisme.
Mais, au-delà de vos penchants et de vos envies, chacun de ces deux modes de vie – la sédentarité et le nomadisme – ne vous font pas le même effet en fonction de votre patrimoine génétique.
De tous nomades, à tous sédentaires
De nos jours, l’écrasante majorité de la population mondiale est sédentaire, avec adresse fixe, domicile fiscal, boîte à lettre et tout le tralala.
Il reste quelques populations nomades dans le monde, notamment en Asie centrale, en Afrique ou – plus près de nous – les Roms.
Mais cette exception était autrefois la norme. Il y a 10 000 ans, l’essentiel de l’humanité était nomade. Nos ancêtres chasseurs-cueilleurs ne se sont « fixés » quelque part qu’après l’invention de l’agriculture, puis, peu après elle, des villes.
Ce bouleversement du mode de vie, très récent à l’échelle biologique et évolutive de l’espèce humaine, a produit des changements considérables dans notre façon de nous alimenter, d’envisager notre environnement et la vie en société.
Il apparaît aujourd’hui que certains d’entre nous ont gardé un « profil » génétique plus adapté au nomadisme qu’à la sédentarité, avec des effets sur la santé bien distincts… selon qu’on est nomade ou sédentaire !
Un nomade bien-portant est un sédentaire moins bien-portant, et inversement !
Des découvertes fondamentales dans ce domaine ont été faites en 2008 à la suite d’études sur des tribus nomades du Kenya.
Je vous disais plus haut qu’en Afrique, comme en Asie centrale, il restait des populations nomades, et dont les ancêtres l’étaient a priori depuis la nuit des temps.
Cependant, en Afrique comme ailleurs dans le monde, le nomadisme tend à se raréfier et la sédentarité à s’imposer ; ce bouleversement peut s’observer en ce moment-même, et c’est pourquoi le peuple des Ariaal est si fascinant à étudier.
Les Ariaal vivent dans le nord du Kenya et descendent de deux tribus, dont l’une est restée nomade tandis que l’autre est devenue sédentaire : les premiers se déplacent dans les plaines où elles font paître des chameaux, des chèvres, des moutons ; les autres se sont installés sur les reliefs, où ils cultivent des terres.
En comparant l’ADN de ces deux populations, des chercheurs de la Northwestern University (Etats-Unis) ont découvert que 20 % des hommes des deux tribus disposaient d’une même variation génétique : un variant du gène DRD4, le gène DRD4-7R.
Or, selon qu’ils étaient nomades ou sédentaires, les porteurs de l’allèle 7R du gène DRD4 n’avaient pas le même « profil » par rapport au reste de leur tribu.
Les porteurs de cet allèle qui avaient conservé un mode de vie nomade étaient mieux portants, avaient une masse musculaire plus importante et occupaient souvent une place d’autorité dans leur tribu.
A l’inverse, les porteurs de cet allèle ayant adopté un mode de vie sédentaire… étaient moins bien, voire insuffisamment nourris, et moins « dominants » parmi leur tribu[1].
Comment un simple variant génétique peut-il à ce point affecter la place d’un homme parmi les siens, et prédire son sort en cas de famine ?
Comment un simple variant génétique peut être un avantage ou un désavantage selon votre famille, votre culture, votre mode de vie
Ces variations génétiques au sein d’une même population sont parfaitement normales.
C’est ce que l’on appelle le polymorphisme génétique ; c’est ce qui fait que vous avez les yeux bleus et votre voisin les yeux marrons ; que votre sœur est brune alors que votre tante est rousse.
L’intérêt des études menées sur ces deux tribus « non-industrialisées » du Kenya est qu’elles permettent d’observer l’influence directe de ce polymorphisme selon le contexte.
En l’occurrence, les chercheurs voulaient également savoir si ces variations génétiques influençaient la taille des individus – mais ce n’est pas le cas.
En revanche la différence de « statut » (social comme nutritionnel) des porteurs de l’allèle 7R en fonction de leur mode de vie s’explique par le fait que le gène qu’il influence, le gène DRD4, contrôle la libération de dopamine.
La dopamine est un neurotransmetteur crucial impliqué dans la régulation de la motivation, de la récompense et des comportements exploratoires.
Des niveaux élevés de dopamine peuvent améliorer votre capacité à prendre des décisions rapides et à réagir à des stimuli environnementaux, ce qui est avantageux dans un mode de vie nomade où les opportunités et les dangers sont imprévisibles.
En revanche, dans un environnement sédentaire, ces mêmes niveaux élevés de dopamine peuvent conduire à des comportements impulsifs moins adaptés à la stabilité et à la routine !
Cette variation permet-elle d’expliquer ce « trouble » psychiatrique ?
Dans « dopamine », il y a « dope », et ce n’est pas pour rien : ce neurotransmetteur est celui qui nous procure du plaisir lorsque nous mangeons un délicieux repas, lorsque nous voyons un bon film, ou lorsque nous faisons l’amour.
Cela nous procure une récompense et nous pousse à réitérer l’expérience, afin de bénéficier du même « shoot » de plaisir.
Il semble que chez les porteurs nomades de l’allèle 7R, cette réponse dopaminergique soit « améliorée » et les pousse notamment à avoir un comportement qui les rende mieux armés dans un monde demandant une agilité et une adaptabilité considérables.
Mais la même étude suggère que l’allèle 7R, en modifiant l’action de la dopamine d’une façon avantageuse pour les nomades, peut se traduire par un désavantage – voire une catastrophe – si l’on a un mode de vie sédentaire, en affectant la capacité d’apprendre…
… en tout cas, d’apprendre en restant les fesses sur une chaise !
En effet il est remarquable que notre civilisation sédentaire ait quasiment « pathologisé » cette réponse dopaminergique différente : les auteurs de l’étude l’associent en effet clairement au TDAH (trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité).
Autrement dit, cette variation génétique, qui pousse ses porteurs à davantage se déplacer et à être plus aventureux, représente une chance pour les nomades mais une malédiction chez les sédentaires, où elle est synonyme d’hyperactivité, d’impulsivité et de capacité d’attention limitée.
Cette mutation « vous prédispose à être une personne plus active, plus exigeante et moins agréable », interprète Henry Harending , anthropologue à l’Université de l’Utah à Salt Lake City, aux États-Unis. « Vous réussissez probablement mieux dans un contexte de concurrence agressive. »[2]
Si l’on élargit les données de cette étude à la population générale, une personne sur cinq ne se « réalise » qu’avec des chaussures de marche – elle pourra laisser libre cours à sa curiosité, ses envies exploratoires, voire sa tendance à prendre des risques – plutôt qu’avec des pantoufles, dans lesquelles elle sera littéralement inadaptée.
Il est fascinant de constater que des caractéristiques que nous considérons souvent comme négatives aujourd’hui ont pu jouer un rôle crucial dans la survie de nos ancêtres… et pourront jouer ce même rôle, qui sait, chez nos descendants.
Qui sait en effet de quoi l’avenir sera fait ?
La même variation génétique qui aujourd’hui vous empêche de focaliser votre attention, voire de contrôler votre comportement (garantie d’un échec scolaire chez les enfants), vous facilitera la vie dès que vous vous déplacerez, vous permettant de vous adapter rapidement à tout nouvel environnement, à réagir rapidement à la nouveauté.
Certains journalistes et mêmes des agences de voyage ont repris à leur compte cette découverte en parlant de « gène du voyage »[3] ; je trouve ça un peu excessif. Je préfère y voir le marqueur d’une insatiable curiosité et d’un besoin accru de stimulation aussi bien intellectuelle que sensuelle.
Autant de traits qui peuvent certes s’exprimer en voyage, mais aussi tout simplement dans une ville, une forêt, une bibliothèque…
Peut-être vous reconnaissez-vous, ou reconnaissez-vous des proches, dans ce portrait ; si tel est le cas, n’hésitez pas à me laisser un message en commentaire de cette lettre.
Portez-vous bien,
Rodolphe
[1] https://bmcecolevol.biomedcentral.com/articles/10.1186/1471-2148-8-173 -Dan Eisenberg, Benjamin Campbell, Peter B. Gray & Michael D. Sorenson, « Dopamine receptor genetic polymorphisms and body composition in undernourished pastoralists : An exploration of nutrition indices among nomadic and recently settled Ariaal men of northern Kenya », in. BMC Evolutionary Biology n°173, 10 juin 2008
[2] https://www.newscientist.com/article/dn14100-did-hyperactivity-evolve-as-a-survival-aid-for-nomads/ – Ewen Callaway, « Did hyperactivity evolve as a survival aid for nomads ? », in. New Scientist, 10 juin 2008
[3] https://www.edreams.fr/blog/possedez-vous-le-gene-du-voyage/ – Anaïs, « Possédez-vous le gène du voyage ? », in. site Travel Stories, 27 mai 2015
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Comme toujours intéressant et nuancé
Comme toujours très intéressant et nuancé.
Merci je suis contente de vous avoir retrouvé