Chers amis,

La semaine dernière, je suis retourné en Normandie, voir ma famille installée à Rouen.

Dans le métro, un message passait en boucle : « Victime ou témoin de harcèlement sexiste ? Dénoncez-en l’auteur au chauffeur ; ces actes sont punis par la loi. »

La diffusion de ce message partait d’une bonne intention, je n’en doute pas.

Mais sa réptition toutes les 3 minutes lui donnait un caractère angoissant.

Ou plus exactement, transformait chaque trajet en métro en menace potentielle, où tout usager pouvait brutalement se transformer soit en agresseur, soit en victime.

Cela ne m’a pas seulement mis mal à l’aise : chacun de mes déplacements en ville a insidieusement été contaminé par une disposition mentale d’hyper-vigilance, de méfiance.

De méfiance vis-à-vis de mon prochain.

L’horreur au coin de la rue ?

Car aux messages du métro de Rouen s’ajoutent bien d’autres choses.

Il y a les journaux (sur internet, dans les JT), qui semblent actuellement se focaliser sur des actes d’agression barbares commis en pleine rue, ou à domicile.

Ce type de violences a-t-il réellement augmenté, ou sont-ce les journaux qui leur donnent un « effet loupe », nous donnant le sentiment que ce n’est plus l’aventure qui nous attend au coin de la rue, mais l’horreur ?

Il y a le refrain écœurant passant à longueur de temps sur les ondes, mais aussi dans les transports : « le virus est toujours là… » ; « Avez-vous fait votre dose de rappel ?… », « Maintenez la distance… »

Il y a une forme de tension électrique dans l’espace public, comme si tous nos rapports, les uns avec les autres, se produisaient par défaut sur la défensive, voire la défiance.

« C’est sa faute »

A mon retour de Rouen, j’ai discuté dans un café parisien de cette atmosphère pesante avec un ami de longue date.

Entourés de gens pressés et maussades, nous nous faisions la réflexion que nous sommes entrés dans une époque où l’on cherche des responsables à chaque problème de société.

Des responsables, ou des coupables.

Cette chasse au coupable/responsable se fait à l’échelle des familles, des partis politiques, des communautés.

Et à tout propos.

Qui est responsable du changement climatique ? Pour les uns, ce sont les mangeurs de viande, pour les autres, les utilisateurs de voitures à essence. Pour les uns, ce sont les Chinois, pour les autres, ceux qui achètent les biens que produisent leurs usines.

Qui est responsable de la guerre en Ukraine ? Pour les uns, ce sont évidemment les Russes, pour les autres, l’OTAN qui les a provoqués.

Qui est responsable de l’inflation, de la hausse du coût de la vie ? (je vous laisse poursuivre à votre aise)

Pour chacun de ces problèmes, il y en a systématiquement un aujourd’hui pour dire d’un autre : « c’est sa faute ! »

Nous ne sommes plus dans le débat, mais dans l’invective permanente, l’accusation, le procès d’intention.

Une carrière politique peut être ruinée sur la base d’une simple suspicion, une vie de famille brisée sur celle d’une seule accusation.

Car, dans l’immense majorité des cas, aux yeux des médias, ce sont les accusateurs qui ont raison par défaut : les accusés n’ont plus le bénéfice de doute, ils sont déjà coupables par le simple fait d’avoir été montrés du doigt, et médiatiquement exposés.

Or tout cela est en partie le fruit de bientôt trois ans de crise sanitaire.

L’autre est une menace

Ce que nous vivons actuellement est en effet un développement supplémentaire, et inquiétant, de ce que le covid a fait grandir en nous depuis deux ans et demi : la perception de l’autre comme une menace.

Rappelez-vous mars 2020 : la circulation du virus nous a alors, chacun, fait voir en l’autre une source possible de contamination.

Durant plusieurs mois, nous n’avons pas vu en notre prochain un être humain à part entière, mais le porteur possible d’un virus duquel se protéger.

Cette peur omniprésente n’était pas seulement une peur de la maladie : c’était une peur des autres.

Cette méfiance, et cette défiance, ont pris avec le pass sanitaire puis vaccinal la forme d’une démence collective : celui qui ne pouvait justifier, d’abord de son innocuité virale, ensuite de son obéissance à l’injonction vaccinale, était exclu de la vie sociale normale, voire de son propre cercle familial.

C’est avec le recul le plus grand crime de ce pass : d’avoir donné un cadre rigide, légitimé par l’État, à cette défiance des uns envers les autres qui s’insinuait dans les rapports humains.

Cette période a développé dans notre société des réflexes de surveillance mutuelle, et même de délation.

Elle a également installé l’habitude que, selon que vous étiez du bon ou du mauvais côté du lecteur de QR code, vous pouviez être juge ou jugé du droit à entrer dans un restaurant, à monter dans un train, et même à travailler si vous étiez soignant ou pompier.

Le phénomène que nous percevons aujourd’hui n’est qu’un glissement du système qui a régi notre quotidien durant plusieurs mois d’un aspect pratique, à un aspect moral.

Le fond est le même : chacun se sent légitime à juger l’autre. Le pass nous en a donné l’habitude et les réflexes ; actuellement l’outil est dans un tiroir, mais le réflexe est resté.

Plus souvent, plus ouvertement, les gens se jugent les uns les autres, et ce qui est pire, se condamnent les uns les autres… car ils se sentent légitimes de le faire.

C’est un cauchemar. Voyez comme il se répand.

Injustice partout, raison nulle part

Le wokisme en vogue aux Etats-Unis, qui consiste à voir de l’inégalité, de l’injustice et de l’intolérance jusque dans les cadeaux que vous poserez au pied de votre sapin de Noël, a porté à sa dernière perfection ce système de jugement de principe, hors de tout cadre juridique.

Selon qui vous êtes – votre ethnie, votre genre, votre religion, votre sensibilité politique, votre lieu de naissance – vous êtes par nature suspect soit de racisme, soit de sexisme, soit d’impérialisme, que sais-je encore.

Le plus triste, là-dedans, c’est que ces réactions épidermiques, mécanisées, galvaudent et décrédibilisent le fond des causes humanistes qu’elles prétendent défendre.

Chacune de ces causes se cherchent – et, sans surprise, se trouvent – des boucs émissaires.

Le résultat, c’est par exemple la liste inquiétante des livres, de plus en plus nombreux, à être censurés dans les écoles américaines, parce qu’ils contreviendraient au politiquement correct.

Mais ne vous y trompez pas : les hommes et les femmes victimes de ce climat de procès populaire permanent sont plus nombreux que les livres.

Ce climat nous dresse les uns contre les autres, alors que nous devrions réapprendre à nous blottir les uns contre les autres.

Cela tient davantage chaud, d’autant que l’hiver sera rude.

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet