Chers amis,

Paru il y a tout juste une semaine en librairie, Les Juges et l’assassin[1] décrit l’enquête des trois juges de la CJR (cour de justice de la République) sur la gestion de la crise Covid jusqu’à l’été 2020.

Sur une période de cinq ans, ces magistrats ont accumulé un million de documents confidentiels, convoqué des centaines de personnes et mis en cause trois ministres : les anciens ministres de la Santé Agnès Buzyn (qui sera mise en examen) et Olivier Véran, ainsi qu’Édouard Philippe, alors Premier ministre.

Le livre est signé Gérard Davet et Fabrice Lhomme, deux journalistes du Monde déjà auteurs d’une longue liste de livres politiques consacrés à Nicolas Sarkozy, François Hollande, François Fillon et Emmanuel Macron.

Il s’agit donc, avant tout, d’un livre de politique, pas de santé.

Mais, précisément pour cette raison, il révèle en quoi la mauvaise gestion (voire très très mauvaise – le livre et les juges sont explicites à ce sujet) de la « pandémie » a été politique avant d’être sanitaire.

Avec quelques révélations ahurissantes à la clé.

« Faillite d’État »

D’abord, n’attendez aucune remise en question, dans ce livre, de la doxa sanitaire.

Les auteurs Fabrice Lhomme et Gérard Davet étant avant tout journalistes au Monde, ils prennent toutes les mesures connues du début de la crise Covid – les masques, le confinement – pour argent comptant.

Cette conformité au discours sanitaire mainstream se retrouve dans le titre : si « les juges » sont faciles à identifier (inconnus du grand public, ils sont néanmoins nommés dans le livre), « l’assassin » n’est nul autre que… le Covid lui-même – allant en cela à l’encontre des travaux de statisticiens comme Pierre Chaillot qui a démontré[2], chiffres à l’appui, que le Covid n’avait été guère plus meurtrier qu’une grosse grippe.

Le travail des juges consiste donc à identifier les « complices éventuels » de cet « assassin » en les personnes des responsables politiques alors aux affaires.

Les deux journalistes sont, de toute évidence, des amateurs de cinéma : le titre de leur livre est une référence à celui d’un film de Bertrand Tavernier ; ils se révèlent également férus des « films politiques » hollywoodiens des années 1970.

À les lire raconter leurs rencontres avec de mystérieuses sources dans des halls de gare et des hôtels sans charme[3], je les soupçonne d’avoir pour modèle les deux journalistes interprétés par Dustin Hoffmann et Robert Redford qui révèlent le scandale du Watergate dans Les Hommes du Président[4].

A la différence notable qu’à l’issue de cette mémorable enquête, le président Nixon, accablé par ces révélations, démissionne, tandis que le président Macron, dont « le plan secret pour bloquer les juges »[5] aboutit effectivement à un non-lieu prononcé en septembre 2024, reste de facto aujourd’hui un monarque républicain intouchable.

Mais j’y reviendrai.

Il n’en reste pas moins que tous les faits mis au jour par les trois juges de la CJR et racontés par les journalistes du Monde racontent une « faillite d’État »[6] sur la gestion du Covid.

« Ça sent la vaccination dans les gymnases 😊 » (sic)

Début 2020, au moment où l’Europe se confine en ordre dispersé, les gouvernements réagissant de façon improvisée et désordonnée, de nombreux spécialistes, parmi lesquels Jean-Dominique Michel, se demandent pourquoi le « plan pandémie », qui prévoit un protocole précis en cas de menace sanitaire sérieuse, n’a pas été actionné.

Les Juges et l’assassin répond à la question – en tout cas pour la France.

Ce livre de 450 pages se lit tantôt comme un roman-feuilleton, tantôt comme un fastidieux rapport technocratique truffé d’acronymes et d’absurdités administratives.

Outre les juges et Emmanuel Macron, la principale figure qui en émerge est celle d’Agnès Buzyn, ministre de la Santé du début du premier mandat macroniste jusqu’à début 2020.

Et cette figure est sacrément ambivalente.

Bien qu’elle soit la seule, au cours du travail des magistrats, à être mise en examen comme je l’évoquais plus haut, elle semble aussi, de tous les accusés, être la plus lucide, et sans doute celle qui peut le plus être considérée comme de bonne foi.

Mme Buzyn est informée d’une situation inquiétante à Wuhan, en Chine, juste après Noël 2019.

Tout début janvier 2020, elle informe le Premier ministre que la situation nécessite une surveillance active.

L’ampleur de la crise sanitaire qui s’annonce est telle qu’un responsable politique écrit à Jérôme Salomon, alors à la tête de la Direction générale de la Santé, toujours en janvier 2020 : « Ça sent la vaccination dans les gymnases 😊» – oui oui, avec un « smiley à la clé »[7].

L’auteur de ce SMS « d’humeur rigolarde » et cependant visionnaire n’est nul autre qu’Olivier Véran, encore simple député de l’Isère, et pas encore nommé à la place d’Agnès Buzyn.

Toute l’ambivalence est là : les spécialistes de la santé sentent venir la crise… mais les politiques ne font rien.

Ils n’activent pas le plan pandémie.

Le ministère de l’Intérieur ne crée pas, comme c’est sa prérogative, de CIC (Cellule interministérielle de crise) : celle-ci ne sera mise sur pied que… le 17 mars, le jour même de l’annonce du confinement !

Pourquoi ?

Les trois juges ont découvert qu’il y a deux raisons principales à cet attentisme coupable.

« Hors de question d’annuler les élections »

La première raison est d’ordre purement politique, et littéralement électorale.

Des élections sont en effet prévues en mars 2020 : les municipales ; elles sont très importantes pour la Macronie, qui cherche à s’implanter localement.

C’est la raison pour laquelle les spécialistes « santé » du gouvernement… s’en vont !

À commencer par la ministre de la Santé elle-même qui, alors qu’une crise sanitaire d’ampleur s’annonce, abandonne son ministère pour se lancer à la conquête de la mairie de Paris, remplaçant au pied levé le candidat Benjamin Griveaux, « grillé » par une sextape.

Mais il n’y a pas que Buzyn : Marie Fontanel, la conseillère santé de Macron, quitte elle aussi son poste pour aller briguer la mairie de Strasbourg. Sa remplaçante ne sera nommée que six semaines plus tard[8] !

Au final, malgré les signaux de plus en plus inquiétants d’une crise sanitaire d’ampleur, les responsables politiques – Macron, Philippe, Véran – décident de maintenir coûte que coûte l’élection[9] :

Dès lors les Français ne comprennent plus rien : on a déjà commencé à leur demander d’éviter les contacts et de rester de préférence chez eux… puis on les invite à se masser dans les bureaux de vote !

Or ces injonctions contradictoires n’auront pas été sans conséquence puisque le maintien du premier tour des élections municipales a créé des clusters en série sur tout le territoire, comme le révèlera une étude britannique indépendante qui conclut que ce premier tour des élections a contribué à l’accélération de la propagation de l’épidémie et est responsable de 15 % des hospitalisations [10]:

Autrement dit, en février et encore durant la première quinzaine de mars 2020, alors qu’il est établi que le Covid est une menace à prendre au sérieux, et que l’Italie et l’Espagne sont déjà confinées, les responsables politiques français font passer la politique avant la santé en maintenant coûte que coûte le premier tour des élections municipales.

Au cours de la procédure judiciaire, Mme Buzyn est clairement accusée d’abandon de poste en pleine tempête. A ce stade on est à la frontière entre le délit de fuite et la non-assistance à population en danger.

Voilà pour la première explication : un pur calcul électoral (très mauvais calcul du reste puisque Buzyn arrivera bonne troisième aux municipales à Paris) de responsables davantage préoccupés par leur propre pouvoir et leur élection que par le bien public

La seconde explication est peut-être pire encore.

Le suivisme et le cynisme comme boussoles

Là encore, il faut faire un effort de mémoire.

Vous souvenez-vous d’Édouard Philippe puis d’Olivier Véran déclarant à qui mieux-mieux sur les plateaux télé, début 2020, que le port du masque était inutile et devait être réservé aux soignants ?…

… avant d’en imposer le port à l’ensemble de la population quelques semaines plus tard ?

Cette confusion est étroitement liée au fait qu’alors, aucune donnée scientifique n’indique d’effet protecteur desdits masques.

Cela, c’est Benoît Ribadeau-Dumas, le plus proche collaborateur d’Édouard Philippe, qui le confesse aux juges, admettant que toute la classe politique s’est trompée [11]:

On pourrait considérer qu’à ce stade, la principale boussole des autorités françaises au début de la crise a été le suivisme.

C’est en partie vrai. Mais il faut y ajouter le cynisme.

Pourquoi ?

Parce que l’accès à des masques pour la population générale fait partie du plan pandémie depuis 2010, l’État étant censé garantir une « réserve stratégique » d’un milliard de masques.

Or fin 2019, à l’approche de la crise sanitaire, Agnès Buzyn se rend compte que cette réserve stratégique est passée d’un milliard à… moins de 100 millions, un chiffre largement insuffisant pour faire face aux besoins du pays en cas de pandémie.

Une « gabegie »[12] provoquée à la fois par des « priorités budgétaires » placées ailleurs, mais surtout par une responsabilité que les différents services censés gérer ce stock stratégique se renvoient comme une patate chaude.

A ce titre, François Bourdillon, ancien directeur de SPF  (Santé Publique France), admet : « Nous étions très conscients qu’en cas de crise nous ne pourrions pas faire face », et que l’agence n’est « dimensionnée [que] pour faire face à des alertes type contamination des pizzas Buitoni »[13] !

Cette impréparation n’est pourtant pas nouvelle puisqu’en 2018 déjà une note officielle établissait que la France avait alors perdu 95 % de ses médicaments antiviraux et plus de la moitié de ses masques :

Une autre note lâche, au début du Covid, le mot tabou de « pénurie » que les ministres se refuseront systématiquement à employer dans les médias

C’est Véran qui commandera en catastrophe des centaines de millions de nouveaux masques.

Mais on remarque une chose : c’est seulement, et seulement au moment où les masques redeviennent disponibles… que les autorités décrètent que son port est utile !

Ainsi, outre le « suivisme » de Véran et consorts, c’est surtout leur cynisme et leur hypocrisie que les juges découvrent : l’état des stocks explique les allers-retours de l’exécutif sur les masques, disant un jour que ça ne servait à rien, et le lendemain qu’ils étaient obligatoires[14].

Et les juges de conclure que les « recommandations » faites publiquement par les ministres n’avaient pour unique fonction que de masquer – c’est le cas de le dire – l’incurie et l’impréparation des autorités de santé françaises.

Didier Raoult, le « fou du roi »

Le livre affiche d’autres hypocrisies patentes des gouvernants.

Car dans la longue galerie de personnages de ce feuilleton, il y a évidemment les bons et les méchants.

Les journalistes Lhomme et Davet, à ce titre, hurlent avec les loups : ils qualifient de « farfelu » le regretté Pr Montagnier[15] au prétexte, rappelons-le, que le Prix Nobel estimait que le SARS-CoV-2 était selon lui issu d’une manipulation génétique ayant fuité (une théorie désormais considérée comme plus que probable, y compris par la CIA[16])

Le cas de Raoult est plus intéressant car, comme tous les médias mainstream, les journalistes le taxent de « hippie » et même de « fou du roi » – titre du chapitre qui lui est consacré.

Pourquoi du roi ?

Parce que les juges découvrent que, alors que la presse et les « sachants » officiels tirent à boulets rouges sur le directeur de l’IHU de Marseille, Raoult avait en réalité non seulement l’oreille de Macron… mais aussi celle de Véran !

Et les journalistes de conclure : « Le paria de la République est longtemps resté en bons termes avec le pouvoir. Bien trop longtemps. »[17]

Le conseil scientifique, « de la daube »

A l’inverse, d’autres figures considérées comme consensuelles, telles le Pr Delfraissy (un « rival » de Raoult puisque ce dernier avait été envisagé comme président du conseil scientifique) sont en réalité déconsidérées par les ministres

Agnès Buzyn estime ainsi que le conseil scientifique n’est que « de la daube », avec à sa tête Jean-François Delfraissy, « dandy » et « incompétent »[18]… et souligne son mélange des genres en travaillant à la fois pour les labos et les journalistes :

Les trois juges de la CJR ont soulevé le capot et ont trouvé, à la place d’un moteur pour affronter une crise, un vrai panier de crabes, où l’hypocrisie règne en maître.

 Mais nous ne sommes pas encore arrivés au bout.

Car au sommet de cette pyramide il y a un homme, sévèrement chargé par les juges et les journalistes ; et cet homme, c’est Emmanuel Macron.

Il est intouchable. Et pourtant sa présence se remarque partout, y compris là où il ne devrait pas être.

Le seul dont l’immunité fonctionne, c’est Emmanuel Macron

On entre là dans la partie la plus « paranoïaque » et la plus troublante du livre. La plus « Hommes du Président » justement, car elle témoigne, par des documents avérés, des tentatives d’entrave à la justice commises par l’Élysée.

Le plus scabreux, c’est que les juges s’en rendent compte au détour d’une « saisie incidente »[19]

Car, pendant que la CJR enquête sur la gestion gouvernementale de la crise du Covid, elle enquête également sur Éric Dupont-Moretti, alors ministre de la Justice.

Or, au cours d’une perquisition dans son bureau liée à cette enquête, les juges mettent la main sur une note émanant de l’Élysée au sujet… de l’enquête Covid ;  

Au nom à la fois de la séparation des pouvoirs (entre exécutif et législatif) et de l’indépendance de la justice, les juges sont censés pouvoir interroger en toute indépendance les différents responsables. Pourtant il s’avère que l’Élysée dicte à des personnalités – comme le président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand ou celui du Sénat Gérard Larcher – leurs réponses aux magistrats !

Cette tentative d’entrave à la justice trouve son acmé avec les auditions ubuesques de deux conseillères à l’Élysée qui refusent systématiquement de répondre aux questions des juges sous prétexte de garantir l’immunité du président Macron[20].

Ou plutôt leur réponse consiste à répondre : « Je ne réponds pas » !

Car oui, Emmanuel Macron, en tant que président de la République, est constitutionnellement au-dessus de toute poursuite.

Et pourtant, il apparaît qu’il trempe jusqu’au cou dans la dissimulation ou le détournement d’éléments à charge de l’enquête.

Et les journalistes de décrire le « sacerdoce » des juges[21] dans l’exercice de leur enquête, entravée au plus haut niveau de l’État.

De fait, ils seront contraints à prononcer un non-lieu et à abandonner les poursuites entamées.

« Le ministère de la (mauvaise) santé »

Au départ, les juges cherchaient à comprendre le retard à l’allumage » de la fameuse CIC du pays, et pourquoi le gouvernement n’avait pas déclenché le « plan pandémie »

A l’arrivée, ils découvrent comment le ministère de la Santé est devenu, en moins d’un mandat, le « ministère de la (mauvaise) santé », pour reprendre la formule définitive des journalistes [22]

A l’issue de la présidence Hollande, notent les journalistes, Marisol Touraine laisse la maison en ordre avec 754 millions de masques, mais « l’appareil sanitaire français s’est sabordé au fil des années » [23].

Que révèle ce sabordage ? La conclusion des juges, et des auteurs du livre, est sans appel : ils pointent l’impréparation des gens nommés par Macron, et le fait qu’ils n’ont aucune expérience en gestion de crise.

Voilà qui explique beaucoup de choses.

Mais qui n’excuse rien.

Portez-vous bien,

Rodolphe

P.-S. : Notez également qu’il n’est pas question, dans l’enquête, des injections anti-Covid, les trois juges de la CJR « n’étant pas autorisés à enquêter sur la course aux vaccins »[24].

Leur enquête s’arrête à l’issue du premier confinement en 2020, donc plusieurs mois avant l’irruption des produits expérimentaux de Pfizer et consorts.

Il faut espérer qu’à la fin du second mandat d’Emmanuel Macron, des juges suffisamment courageux remettront tous ces « responsables » face à leurs responsabilités.


[1] Gérard Davet & Fabrice Lhomme, Les Juges et l’assassin. L’enquête secrète au cœur du pouvoir, Flammarion, 2025

[2] Pierre Chaillot, Covid 19, ce que révèlent les chiffres officiels fin 2023, L’Artilleur, 2024

[3] Gérard Davet & Fabrice Lhomme, op. cit., p.12

[4] Les Hommes du Président (Alan J. Pakula, USA, 1976)

[5] Gérard Davet & Fabrice Lhomme, op. cit., p.345

[6] Ibid, p.29

[7] Ibid, p.60

[8] Ibid, p.62

[9] Ibid, p.72

[10] Ibid, p.417

[11] Ibid, p.279

[12] Ibid, p.176

[13] Ibid, p.211

[14] Ibid, p.232

[15] Ibid, p.123

[16] https://www.lefigaro.fr/international/origines-du-covid-19-le-nouveau-patron-de-la-cia-juge-une-fuite-de-laboratoire-plus-probable-qu-une-cause-naturelle-20250126 – Paul Sugy, « Origines du Covid-19 : le nouveau patron de la CIA juge une fuite de laboratoire “plus probable” qu’une cause naturelle », in. Le Figaro, 26 janvier 2024

[17] Gérard Davet & Fabrice Lhomme, op. cit., p.305

[18] Ibid, p.114

[19] Ibid, p.345

[20] Ibid, p.353

[21] Ibid, p.149

[22] Ibid, p.197

[23] Ibid, p.243

[24] Ibid, p.15