Chers amis,

Vous avez vu ces derniers jours, aux Jeux Olympiques, les victoires de Léon Marchand, Florent Manaudou, Teddy Riner.

Ces sportifs multimédaillés n’ont pas seulement un palmarès forçant le respect : ils ont, ça ne vous aura pas échappé, des carrures impressionnantes.

Taillés comme des armoires à glace par la pratique intensive de leur sport, ils rappellent autant les marbres grecs que les gladiateurs de l’Antiquité.

Bref ils ont, comme dit la plus jeune de mes filles, des gros biscottos.

On pourrait croire que, des Jeux Olympiques grecs à nos jours, le corps musclé de l’athlète a été glorifié sans discontinuer… mais c’est totalement faux.

Le culte de la musculature de l’homme et de la beauté physique du corps de l’athlète n’a été réintroduit dans nos sociétés qu’à la toute fin du XIXème siècle.

Pour de bonnes raisons – la santé – et… de moins bonnes raisons.

« L’Art de créer le Pur-Sang humain »

La semaine dernière, à l’occasion d’une exposition à Ornans, dans le Doubs, j’ai découvert ce livre et son auteur :

Le titre sans équivoque fait à la fois référence à l’étalon et à la « pureté de la race », concept à l’époque parfaitement admis et répandu.

Les principales ambitions de l’auteur de ce livre, père de la culture physique moderne, Edmond Desbonnet, étaient cependant avant tout esthétiques et sanitaires.

Dans la préface de ce livre, il est ainsi écrit que le but ultime de la culture physique est « l’heureuse harmonie des proportions du corps et la beauté plastique du développement musculaire »[1].

Edmond Desbonnet a un parcours vraiment intéressant.

Il a commencé par faire des études de médecine, mais il était de constitution fragile.

Il souffrait de rhumatismes et enchaînait crises de goutte et tuberculose. Les médecins ne donnaient pas cher de sa peau. Un beau jour, il décida de ne plus suivre leurs prescriptions et tenta une méthode de récupération « instinctive ».

C’est ainsi qu’il mit au point un véritable programme d’entraînement physique, qui allait bien plus loin que les seuls mouvements de gymnastique connus à l’époque.

Dans un autre ouvrage intitulé Comment je me suis guéri, moi-même, de mes rhumatismes et de ma tuberculose il écrit : « Les médecins qui m’avaient condamné à mourir jeune sont morts depuis longtemps, tous avant la vieillesse » [2]

Avec sa méthode, non seulement Desbonnet fit des émules (l’un de ses élèves et admirateurs, l’écrivain pierre Loti, en fit l’impressionnant portrait ci-dessous), mais il démontra son efficacité par sa longévité, puisqu’il mourut en 1953 à l’âge de 85 ans.

Desbonnet est aujourd’hui considéré comme le précurseur de la kinésithérapie moderne et le père de la gymnastique des organes.

Sculpter le corps

La culture physique, que l’on pourrait aussi appeler l’art de sculpter le corps, a des origines lointaines et bien documentées.

On la retrouve, je vous le disais, dans les pratiques des anciens Grecs, notamment les athlètes des Jeux Olympiques, qui voyaient dans l’exercice physique une voie vers l’harmonie du corps et de l’esprit.

L’héritage grec s’est transmis à travers les âges, influençant la civilisation romaine et, plus tard, les mouvements de gymnastique en Europe.

Ce culte de la beauté plastique du corps masculin a connu une longue éclipse en Europe sous l’effet du christianisme et du Moyen-Âge, où le seul corps nu représenté était celui du Christ, exposé non pour sa musculature, mais pour sa passion.

Les statues grecques et romaines, représentant des corps non seulement musclés mais nus, étaient considérées comme impudiques, jusqu’à ce que les sculpteurs de la Renaissance italienne les remettent au goût du jour. Le célèbre David de Michel-Ange, exposé au Musée des Offices à Florence, n’est pas exactement un gringalet :

Au XIXème siècle, avec l’avènement de la révolution industrielle, le besoin de se reconnecter à une forme physique a pris un nouveau tournant. Edmond Desbonnet, et d’autres, ont promu l’idée que la force physique pouvait être cultivée non seulement pour ses bienfaits santé, mais aussi pour des raisons esthétiques… et « morales ».

Edmond Desbonnet et sa méthode ont en effet connu un succès retentissant à une époque – la fin du XIXème siècle – où la recherche de la perfection physique était considérée comme un remède au « relâchement » et à la « décadence ».

Le côté obscur de la musculature

Ce retour au culte du muscle, aujourd’hui comme hier, se confond avec une philosophie souvent masculiniste et, hélas, raciste.

Le meilleur exemple, d’une terrible actualité, n’est nul autre que Pierre de Coubertin, le baron qui a remis au goût du jour les Jeux Olympiques précisément au moment où la culture physique se voulait une réaction à une forme d’effondrement civilisationnel.

Si la légende consensuelle préfère ne garder que la dimension philanthropique et universaliste de la démarche de Coubertin, il est notoire que le baron vouait un culte à la force physique, avec une arrière-pensée eugéniste (la sélection devait se faire via l’élimination des plus faibles) et raciste : « Les races sont de valeur différente et à la race blanche, d’essence supérieure, toutes les autres doivent faire allégeance[3] », écrit-il.

C’est du reste dans cet esprit qu’Adolf Hitler conçut, en 1936, les JO de Berlin comme une démonstration de la supériorité de la race aryenne.

Le régime nazi, comme le régime fasciste et la plupart des régimes autoritaires, avait pour motto la glorification de la force physique.

On ne saurait cependant réduire aujourd’hui la culture physique à une espèce de virilisme bas du front.

Une musculature importante et entretenue, comme l’a démontré Edmond Desbonnet, est un facteur de longévité en bonne santé important.

Les muscles et la longévité

Vos muscles ne sont pas seulement responsables de vos mouvements, ils jouent également un rôle vital dans votre métabolisme, votre équilibre hormonal et la prévention des maladies chroniques.

Les recherches montrent aujourd’hui que la masse musculaire est un indicateur clé de la longévité.

En effet, plus vous avez une masse musculaire importante, plus vous êtes capable de rester actif, de maintenir votre autonomie et de réduire le risque de maladies telles que le diabète, l’ostéoporose et même certaines formes de cancer.

Mais pourquoi ?

Tout d’abord, les muscles sont de grands consommateurs d’énergie, même au repos.

Ils contribuent ainsi à la régulation de votre poids corporel et à la gestion de la glycémie.

En outre, une masse musculaire suffisante permet de soutenir et de protéger vos articulations, réduisant ainsi le risque de blessures et de douleurs chroniques.

Enfin, l’activité physique régulière, notamment les exercices de résistance, stimule la production d’hormones bienfaisantes comme la testostérone et l’hormone de croissance, qui sont cruciales pour la réparation des tissus et le maintien de la vitalité.

On perd naturellement de la masse musculaire à partir de la trentaine, un phénomène appelé sarcopénie. Cependant, ce processus peut être ralenti, voire inversé, grâce à une alimentation riche en protéines et à un programme d’exercice adapté.

Inclure des activités comme la marche rapide, la natation, le yoga ou encore des exercices de musculation légers peut faire une grande différence.

La culture physique a donc démontré ses bienfaits pour la santé… mais elle a paradoxalement entraîné de nouveaux dangers, qui peuvent annuler ces bienfaits !

Le culturisme aujourd’hui : vu à la télé

La culture physique d’aujourd’hui est un enfant du petit écran, et du grand.

En France, l’émission de télé culte « Gym Tonic », de Véronique et Davina, a mis à l’aérobic des dizaines de milliers de personnes.

Aux Etats-Unis, c’est Jane Fonda pour les femmes, et Arnold Schwarzenegger pour les hommes, qui furent les porte-drapeaux fluo-flashy du culturisme nouvelle génération.

La première venait du cinéma, et le second y allait : le culte de la musculature, comme dans l’Antiquité, la Renaissance italienne et les JO modernes, reste avant tout une affaire d’image.

Ce culte esthétique a connu son paroxysme dans les années 1980, quand les plus grandes stars du cinéma d’action hollywoodien jouaient à « qui a les plus gros muscles ? », le culturiste devenu Arnold Schwarzenegger rivalisant avec Sylvester Stallone film après film.

Or c’est aujourd’hui cet aspect du culturisme qui est le plus dangereux pour la santé.

La culture physique regroupe une multitude de disciplines allant du bodybuilding à l’haltérophilie, en passant par le fitness. Avec la multiplication des salles de fitness, la quête du corps parfait est devenue un objectif pour beaucoup.

Toutefois, cette quête est dangereuse.

Dans notre société actuelle, la pression pour atteindre un idéal physique est immense, souvent exacerbée par les réseaux sociaux et les médias. Cette obsession pour la perfection corporelle a conduit à des pratiques dangereuses, telles que la prise d’hormones de croissance, de stéroïdes anabolisants et autres substances dopantes.

Ces produits promettent des résultats rapides et spectaculaires, mais à quel prix ?

Les effets secondaires des stéroïdes, par exemple, sont bien documentés : ils peuvent provoquer des déséquilibres hormonaux, des troubles psychologiques, des problèmes cardiaques, et bien plus encore[4]. Pire encore, l’usage de ces substances peut provoquer une addiction, entraînant des comportements autodestructeurs.

Il est crucial de se rappeler que la culture physique, dans son essence, devrait être une célébration de la santé et du bien-être.

Quand elle est détournée par une course effrénée vers un idéal inatteignable, elle se transforme en piège : la fonction sexuelle déraille, le risque de cancer augmente, etc.

Ce n’est pas pour rien que de nombreux sportifs de haut niveau meurent désormais prématurément, alors que leur musculature devrait leur assurer des années en bonne santé !

Portez-vous bien, en gardant à l’esprit que le véritable objectif de la culture physique est de vous rendre plus forts, plus sains et plus heureux, sans compromettre votre intégrité physique et mentale.

Rodolphe


[1] https://archive.org/details/BIUSante_60625/page/n7/mode/2up – Georges Rouhet, L’Art de créer le pur sang humain, Berger-Levrault, 1908, préface, p.VIII

[2] Edmond Desbonnet, Comment je me suis guéri, moi-même, de mes rhumatismes et de ma tuberculoseHygiène et Médecine Naturelles, Santé – Beauté et Culture Physique (réunies), no839, 1967, p.14

[3] https://www.lalibre.be/sports/omnisports/2014/02/07/la-face-sombre-de-pierre-de-coubertin-BZOTYI2ODRGZVEDWGAYDJ4L3CE/ – « La face sombre de Pierre de Coubertin », in. La Libre, 7 février 2014

[4] https://www.cairn.info/revue-les-tribunes-de-la-sante1-2012-2-page-57.htmamp/revue-actualite-et-dossier-en-sante-publique.htm – Martine Duclos, « Le dopage et ses conséquences en termes de santé individuelle et de santé publique », in. Les Tribunes de la santé n°35, février 2012