Chers amis,

Dans ma lettre d’il y a deux semaines, je vous parlais des rêves, des songes et des cauchemars ; de leur signification possible… et de leur interprétation par la science.

Aujourd’hui, je m’apprête à vous parler d’une autre « lecture » scientifique d’une manifestation de notre esprit, en lien encore avec le sommeil.

Cependant – et je vous préviens par avance – cette étude et ses conclusions sont à prendre avec beaucoup de précautions, d’autant plus qu’elle illustre à mon sens les limites et les dérives de la recherche scientifique contemporaine… et de sa diffusion dans les médias.

Le paranormal sur l’oreiller

Des chercheurs britanniques ont voulu explorer le lien possible entre les troubles du sommeil et les « croyances » liées au paranormal.

Par « croyances paranormales », les auteurs de l’étude entendent :

  • La survie de l’âme après la mort ;
  • L’existence des fantômes ;
  • Celle de démons ;
  • La capacité de certains à communiquer avec les défunts ;
  • Les EMI (expériences de mort imminente) ;
  • La visite d’extra-terrestres sur Terre.

Ils ont, pour ce faire, demandé à 8853 volontaires de remplir un questionnaire renseignant à la fois la qualité de leur sommeil et leur degré de croyance vis-à-vis de tous les points que je viens de citer.

Leurs conclusions ont été publiées en décembre dernier dans le Journal of Sleep Research : elles établissent un lien linéaire entre les troubles du sommeil et la « perméabilité » à ces « croyances » [1].

Autrement dit, plus les participants témoignaient d’un sommeil perturbé – nuits peu réparatrices, temps d’endormissement élevé, nuits écourtées et insomnie – plus leurs « croyances paranormales » étaient élevées.

Il n’en fallait pas moins pour que plusieurs sites et journaux « scientifiques » adressés au grand public claironnent, comme Futura-Sciences : « Les problèmes de sommeil participent à renforcer nos croyances dans le paranormal » [2]

Mais, comme dit Cyrano : « C’est un peu court, jeune homme ! »

Tout le monde a ses faiblesses, même les journalistes scientifiques

Plusieurs choses interpellent dans cette étude, et surtout dans son traitement journalistique.

D’abord, le fait que ses conclusions ne soient tirées qu’à partir de réponses de volontaires à un questionnaire : c’est, autrement dit, du déclaratif sans autre mesure réelle de la qualité du sommeil des participants.

Mais, pourquoi pas, après tout beaucoup d’autres études procèdent de même, celles par exemple portant sur le lien entre certaines habitudes de vie (comme le tabagisme ou le régime alimentaire) et le risque de développer certains types de maladies.

Ensuite, si l’on lit attentivement l’étude, on ne peut pas établir de réel lien de cause à effet entre les deux données : ce n’est pas parce que vous souffrez de troubles du sommeil qu’automatiquement vos « croyances paranormales » s’accentuent !

Je connais des insomniaques chroniques qui n’en sont pas moins des cartésiens convaincus !

Plus étonnant est le fait de mettre sur le même plan des « croyances » très dissemblables comme d’une part la survie de l’âme après la mort – qui relève à mon sens de la spiritualité et de la religion – et d’autre part l’existence d’extraterrestres – qui ressort, elle, davantage d’une opinion relative à des phénomènes inexpliqués.

Cela se comprend lorsque l’on lit le début de l’article de vulgarisation de Futura établissant que, je cite, « malgré les progrès de la science, [les croyances paranormales] sont toujours d’actualité. »

Cette façon de renvoyer dos à dos la science et les croyances est une tendance de plus en plus marquée du journalisme scientifique consistant à nier l’existence tout ce que la science ne peut expliquer et/ou prouver.

Ou plutôt, elle prétend les expliquer d’une manière prosaïque et pour ainsi dire définitive : les « croyances paranormales » (terme fourre-tout regroupant une fois de plus des opinions, des convictions d’ordre très divers) auraient pour origine un dysfonctionnement du cycle du sommeil.

Autrement dit, circulez, y’a rien à voir.

La science réductionniste

Cette façon non pas de faire, mais de lire la science, est réductionniste : elle consiste à réduire des phénomènes complexes à des données observables, et la plupart du temps fragmentaires voire superficielles.

En l’occurrence, ramener des questions relevant de la foi ou de l’intime conviction à des symptômes de troubles du sommeil est non seulement réducteur, mais incroyablement maladroit.

Cette branche de la science a toujours existé ; on l’appelle la zététique, dont la définition nous dit : « Qui tente de trouver une explication rationnelle à des choses mystérieuses. [3] »

Cette approche n’est évidemment pas contradictoire avec la méthode scientifique, dont deux piliers fondamentaux sont le doute, et l’humilité.

Le problème, c’est que cette approche prend de plus en plus, de nos jours, une forme dogmatique : elle ne doute plus, et surtout elle tend à s’imposer comme une vérité absolue – et si vous n’y adhérez pas, c’est que vous êtes soit un attardé mental (j’exagère à peine), soit un dangereux manipulateur !

C’est ce que laisse entendre très clairement le compte-rendu de l’étude dont je vous parlais, et qui oppose de manière irréconciliable la « science » et le « progrès » d’un côté, et « les croyances paranormales » – comprenez : l’obscurantisme et le complotisme – de l’autre.

Le paranormal, la foi et la science ne font pas toujours bon ménage

Il ne s’agit pas, pour autant, d’entrer dans une remise en question et un scepticisme absurdes : le discours des personnes soutenant aujourd’hui que la Terre est plate ne résiste pas plus de quinze secondes ni aux preuves, ni à la démonstration rationnelle.

En revanche, ce qui est catalogué dans l’étude britannique et les journaux scientifiques comme « croyances paranormales » font partie d’une autre catégorie : l’inexplicable.

Cet « inexplicable » est d’une autre nature, car non seulement il correspond dans de nombreux cas à une expérience (réelle ou suggestive, c’est une autre question) vécue directement, ou par procuration, par celui qui déclare y adhérer, mais au surplus les instruments scientifiques qui permettraient d’en confirmer ou d’en infirmer l’existence ne sont tout simplement pas (encore) au point !

Ainsi, réduire les « expériences de mort imminente » à une simple « croyance paranormale » est en soi extraordinairement idiot, compte tenu du nombre de témoignages concordants, compilés avec rigueur depuis plus d’un demi-siècle par des auteurs comme le Dr Raymond Moody [4] aux États-Unis ou le Dr Jean-Jacques Charbonier en France [5].

Je comprends que la science cherche à débusquer les faussaires de tout poil et les hallucinations de toutes sortes.

Mais, pour ce faire, elle s’en remet nécessairement à la fiabilité des instruments dont elle dispose à un moment précis. Or justement ces instruments sont loin d’être infaillibles !…

… quand ils ne sont tout simplement pas adaptés.

Un cas assez fascinant du « dogme » scientifique s’opposant à ce qui relève davantage de la foi et de la conviction est celui des recherches sur le suaire du Turin.

Copie du linceul exposée à Turin

Ce grand tissu, qui est en fait un linceul et non un suaire, a fait l’objet de multiples observations scientifiques depuis plus d’un siècle – depuis, plus exactement, qu’une photographie à la fin du XIXsiècle en a « révélé » en négatif l’image d’un homme.

« négatif » du linceul révélé par photographie

Durant les années 1970 les recherches menées par un collectif de scientifiques pluridisciplinaires ont tendu à montrer que le linceul datait bel et bien d’il y a 2000 ans.

Puis, à la fin des années 1980, des études au carbone 14 (le nec plus ultra pour la datation à l’époque) ont établi que le tissu daterait en réalité du XIIIe siècle. Conclusion publiée dans Nature en 1989 : « le Saint-Suaire de Turin est un faux médiéval [6] ! »

La cause semblait entendue, jusqu’à ce que de nouvelles études démontrent que les résultats au C14 n’étaient pas dignes de foi (sans jeu de mot) car les méthodes de datation n’étaient pas suffisamment avancées à la fin des années 1980 pour exclure les impuretés des échantillons mesurés [7].

Les dernières datations, dont les résultats ont été publiées l’an dernier, confirmeraient, elles, la concordance entre l’âge du tissu et la période de la crucifixion

Vous remarquerez qu’il ne s’agit pas, ici, de dire que ce linceul est bien celui de Jésus Christ, mais d’attester qu’il pourrait l’être. J’ajoute qu’aucune étude, à ce jour, n’est par ailleurs parvenue à expliquer (et à reproduire) l’image du linceul.

Or l’étude de 1988, suite à ses mesures (aujourd’hui obsolètes), était beaucoup plus assertive, décrétant catégoriquement que le suaire était un faux réalisé au Moyen-Âge (comment ? Les « experts » ne le disaient pas).

Voilà un cas où le dogme scientifique est violemment entré en collision avec le domaine de la croyance et la religion, dans une démarche de dénigrement de ce que leurs auteurs (de bonne foi, si j’ose dire) considéraient pêle-mêle comme de l’idolâtrie et de la crédulité de la part des croyants, et du charlatanisme de la part de l’Église catholique.

Si ce sujet vous intéresse, je vous recommande la lecture de l’excellent livre de l’historien Jean-Christian Petitfils « Le Saint-Suaire de Turin », publié l’an dernier [8].

Sa lecture est technique, mais elle démontre à quel point l’exercice de la science, quand ceux qui s’y adonnent sont trop sûrs d’eux-mêmes, peut s’avérer aussi doctrinaire et intolérant que l’intégrisme religieux.

Moralité : la science et l’inexplicable – qu’on peut appeler le paranormal, la spiritualité ou la foi – ont tout à gagner à co-exister, mais à la condition de se respecter mutuellement.

Hélas, dans les médias, on entend désormais trop de scientifiques tellement sûrs de leur fait que tous ceux étant en désaccord avec leurs conclusions mériteraient, selon leurs propres termes, le bûcher. Quel retournement de situation !

Portez-vous bien,

Rodolphe

Sources :

[1] Rauf, B., Perach, R., Madrid-Valero, J. J., Denis, D., Sharpless, B. A., Poerio, G. L., French, C. C., & Gregory, A. M. (2023). The associations between paranormal beliefs and sleep variables. Journal of Sleep Researchhttps://onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1111/jsr.13810

[2] Julie Kern,«Les problèmes de sommeil participent à renforcer nos croyances dans le paranormal », Futura Sciences, 25 janvier 2023, https://www.futura-sciences.com/sante/actualites/sommeil-problemes-sommeil-participent-renforcer-nos-croyances-paranormal-103028/

[3] Définition de zététique de L’Internaute.fr : https://www.linternaute.fr/dictionnaire/fr/definition/zetetique/

[4] Fiche auteur de Raymond Moody, Babelio : https://www.babelio.com/auteur/Raymond-A-Moody/189754

[5] Fiche auteur de Jean-Jacques Charbonnier, Babelio https://www.babelio.com/auteur/Jean-Jacques-Charbonier/118039

[6] P. E. Damon, D. J. Donahue, B. H. Gore, A. L. Hatheway et al., « Radiocarbon dating of the Shroud of Turin », Nature, 16 février 1989, https://www.nature.com/articles/337611a0

[7] Carole Pirker, « Le Saint-Suaire de Turin daterait bel et bien de l’époque du Christ », RTS, 28 avril 2022, https://www.rts.ch/info/monde/13052952-le-saintsuaire-de-turin-daterait-bel-et-bien-de-lepoque-du-christ.html

[8] Le Saint-Suaire de Turin, éd. Tallandier, Paris, 2022