Chers amis,
Je sais, les 1er mai qui tombent un dimanche ont un air de pléonasme.
Cela ne nous empêche certes pas d’offrir du muguet ; mais puisque cette année la fête du travail tombe de toute façon un jour de repos, j’aimerais vous parler de la signification, bien plus ancienne, qu’avait le 1er mai pour les cultures celtiques.
Bien avant d’être associée à la lutte sociale, au travail et au muguet, la date du 1er mai était en effet celle de la fête de Beltaine, l’une des quatre grandes fêtes celtiques annuelles.
Et pour déjà vous donner une idée de ce que signifiait cette fête (encore célébrée, je vais y revenir), sachez qu’elle se situe, tant en termes de calendrier que de signification, à l’exact opposé de la seule fête celtique passée dans la culture populaire : Halloween (Samain).
La victoire de la lumière sur les ténèbres
Si Halloween/Samain marque, au tournant du 31 octobre et du 1er novembre, le passage de la période « claire » de l’année à la période « sombre », l’ouverture d’un passage vers les ténèbres, Beltaine, à pile 6 mois de distance, célèbre exactement l’inverse.
Cette fête, c’est celle du retour de la lumière, du retour à l’activité, du triomphe de la vie après une longue période de sommeil et d’engourdissement :
« Beltaine marquait le début de l’été celtique. Les Celtes auraient divisé l’année en deux saisons : une saison hivernale (de Samain à Beltaine) que nous pourrions qualifier de morte au sens large du terme, de par le fait que la plupart des hommes et des bêtes demeuraient passifs, et une saison estivale (de Beltaine à Samain) que l’on pourrait dire vivante étant donné qu’elle concentrait l’activité de chacun. (1) »
Elle donnait lieu à des rituels très précis.
Feux
Beltaine se célébrait par de grands feux, entre lesquels on faisait passer le bétail pour le purifier, le guérir et le préserver :
« Beltaine, feu de Bel, feu bénéfique, c’est-à-dire un feu que les druides faisaient par leur magie ou leurs grandes incantations ; et on amenait les troupeaux (pour les protéger) contre les épidémies chaque année à ces feux. Ils faisaient passer les troupeaux entre eux. (2) »
On retrouvait cette fête et ce « feu de Bel » dans toutes les grandes cultures celtiques d’autrefois, puisque ce Bel peut être associé au Belenos des Gaulois – familier de tout lecteur d’Astérix – ou à Belisama, la Minerve des Gallo-Romains.
Or, remarque Frédéric Armao, l’auteur de l’article que j’ai déjà cité à deux reprises, le feu est souvent considéré comme « l’élément druidique ultime » : Beltaine, fête du feu, pourrait donc avoir été la plus importante fête druidique de l’année.
Comment Beltaine survit
Tout comme on trouve une correspondance entre les fêtes païennes d’Halloween et de Samain d’une part, et les fêtes chrétiennes de la Toussaint et de la commémoration des morts d’autre part, la « thématique » commune à Beltaine et Pâques est lumineuse.
Frédéric Armao écrit « qu’une partie au moins des moines chrétiens a pensé le premier mai comme le reflet de la célébration chrétienne de la Résurrection » (3).
Le premier mai celtique marquait enfin la sortie des étables des troupeaux enfermés durant l’hiver ; Pâques célèbre la sortie du tombeau de Christ.
Dans les deux cas, il s’agit d’une fête de renaissance, de retour à la vie, et autant Beltaine était probablement la fête la plus importante de la religion druidique, autant Pâques est la fête la plus importante du christianisme.
Les deux fêtes sont proches de deux à trois semaines, et se situent toutes deux à mi-chemin de l’équinoxe de printemps et du solstice d’été, c’est-à-dire bel et bien au moment où l’hémisphère nord passe peu à peu de l’obscurité à la lumière, du froid à la chaleur.
Pourtant, Beltaine, comme telle, n’est plus qu’anecdotiquement célébrée.
Dis-moi ce que tu fêtes, je te dirai qui tu es
On peut en effet se demander pourquoi Samain, qui n’était pas la plus importante des fêtes celtiques, a non seulement survécu mais triomphé jusqu’à notre époque sous la forme d’Halloween…
… alors que Beltaine, la plus cruciale des quatre fêtes druidiques, a presque été oubliée.
Cette « préférence » accordée à une fête célébrant un passage négatif vers l’obscurité et la mort, face à une fête célébrant un passage positif vers la lumière et la vie est peut-être, je dis bien peut-être, le reflet de notre propre état d’esprit.
Entre nous, je n’ai pas de goût particulier pour Halloween. Je trouve cette fête assez sinistre, voire vulgaire ; avatar d’un goût douteux et profane d’une ancienne fête sacrée, en tout cas dans sa version commerciale actuelle.
Mais son triomphe dans notre culture occidentale en dit long non seulement sur notre fascination pour la mort, voire la banalisation de l’horreur et de la souffrance, mais surtout sur l’ascendant qu’exerce cette fascination sur… la reconnaissance et la célébration de la vie.
Entendons-nous : je ne dis pas qu’il faut « annuler » Halloween, et proscrire toutes ses manifestations.
Je note simplement ici, que ces fêtes druidiques antiques reposaient sur une vision d’équilibre de la nature, et de célébration de ces cycles.
Le fait que seul Halloween nous soit « parvenu » de façon aussi massive, dénote bel et bien un déséquilibre dans notre perception à la fois des cycles de la nature, dont nous sommes de plus en plus coupés, mais encore d’une vision fataliste de l’existence, obnubilée par la mort et déconnectée de cette bouffée d’espoir que constitue l’idée de retour à la vie.
Renouer avec la lumière et la vie
Fêter Beltaine, tout comme fêter Pâques d’ailleurs, c’est donc rétablir un équilibre nécessaire.
Je vous le disais au début de cette lettre, il existe encore quelques célébrations de Beltaine : en Irlande bien sûr, mais aussi en France.
Beltaine se célèbre le plus souvent la nuit du 30 avril au 1er mai ; probablement autrefois elle se fêtait également au moment de la pleine lune de mai.
En France, un éco-festival, « Les Feux de Beltaine », met en scène le retour triomphal de la Reine de Mai, victorieuse du Roi de l’Hiver. La prochaine édition aura lieu les 15 et 16 mai prochains (lien en source 4).
Mais vous n’avez pas forcément besoin de vous rendre en Irlande ou de vous déguiser pour fêter Beltaine. Il suffit, simplement, de saluer le retour de la lumière et de la chaleur par l’observation de la vie autour de vous.
Chaque année depuis maintenant trois ans, cette période de l’année – fin avril, début mai – est exactement celle où, en face de chez moi, la portée de renardeaux pointe le bout de son museau : sous l’œil vigilant de l’un de leurs parents, ils sortent à l’orée du petit bois et font toutes sortes de galipettes et de roulés-boulés.
Cette année, ils sont sept !
Mais ils ne sont pas les seuls. La plupart des autres animaux sortent de leur tanière. Ça n’est plus la saison de retrait et du repos, mais celle de l’exploration et de l’activité. Les arbres ont enfin retrouvé la plus verte de leur parure, et l’éclosion des fleurs provoque un feu d’artifice de couleurs dans les prés.
Célébrer Beltaine à mon sens aujourd’hui, consiste tout simplement à se caler sur ce rythme, à profiter de la domination du jour sur la nuit pour reprendre un maximum d’activités, et si possible en plein air, afin d’en tirer le plus de fruits au sens propre comme au figuré – de quoi faire des confitures plus tard et de beaux souvenirs, lumineux.
Je serai heureux de lire en commentaire comment vous allez célébrer ce « passage » à votre manière.
Je vous souhaite donc une joyeuse fête de Beltaine !
Rodolphe
[1] Armao F (2002). De Beltaine à Pâques. Etudes irlandaises, 27-2, p.29-43. https://www.persee.fr/docAsPDF/irlan_0183-973x_2002_num_27_2_1632.pdf
[2] Stokes W, cité par Armao F, Op. Cit. Three Irish Glossaries. Londres, Williams & Norgate (1862).
[3] Ibid.
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Remèdes à novembre
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Bonjour et Merci pour ces explications très intéressantes, enrichissantes et retour aux origines fondamentales et non commerciales. Toujours un plaisir de vous lire. Cordialement,
Quel bel article! Je m’émeut chaque jour du renouveau de la nature, de ces arbres qui renaissent à la vie. Et je me dis que malgré le plaisir qu’a le monde à célébrer la noirceur , a vivre dans la peur, la lumière de la vie est plus forte.
Bonjour Rodolphe. Je suis très contente de lire cette article sur le fête du printemps Celte. Je suis suédoise d’origine, donc proche des racines Celte. En Suède le 30 avril est une très grand et belle fête, avec des feux et des chants pour a cuiller le printemps, dire adieu à la neige (même s’il neige parfois ce jour là) et le retour des beaux jours avec des fleures et de la lumières. Quand on a passé 6 mois dans les « ténèbres » on sais ce que veux dire de retrouver la lumière !
« L’hiver s’écroule dans nos montagnes et la fleur du neige fond et se meurt…. »
Je le fête souvent seule, mais c’est toujours très ancrer dans ma vie.
Merci pour vos articles et bon printemps a vous.
Par leur qualité littéraire, leur profondeur et les réflexions qu’ils suscitent, vos écrits sont vraiment exceptionnels… Le fait que vous offriez généreusement une partie d’entre eux en dit également long sur votre engagement et votre humanisme.
Merci pour ce beau partage, c’est la plus belle période de l’année le mois de mai,
et fêter le 1er jour de ce mois a vraiment un sens profond….il faut aller dans la nature, elle est belle et humble…!!!! douce journée à tous….
Ahhh!merci beaucoup pour cette belle histoire oubliée. ..une douce lumière dans ce week-end de 1er mai. Intuitivement je fête plus joyeusement le printemps et l été. Je partage cette idée que le monde regarde trop vers l obscurité plutôt que vers la lumière et cette belle tradition n’est pas apprise dans les écoles. La légende amérindienne des deux loups en chacun de nous qui se battent gagnerait à être remise au monde .Bonne re-naissance a chacun.
Bravo pour ce rappel magnifique sur ces belles traditions et notre histoire que, hélas, les médias d aujourd’hui ont oubliées..j ai beaucoup aimé vous lire et je suis tout à fait d accord avec vous…merci pour nous rappeler l Histoire de notre beau pays…
Merci pour cet article très intéressant. Cette année correspond à la nouvelle lune en taureau
Je ne fête pas plus que partager le muguet pour partager un petit peu de bonheur, mais je vous remercie de ces explications que je ne connaissais pas.. bonne et belle journée !
Attention a la lecture de certaines personnes qui sont dans une vision « étriquée » des cultures différentes , qui se rassemblent sous certains points mais qui s’éloignent en d’autres points. L’année chez les celtes et les chevaliers étaient représentées en sept parties, qui eux mêmes étaient recoupées en 7 autres parties. Les chiffres ne sont pas sacrées mais proposent en relation avec les planètes, une mathématiques d’une précision que l’homme est bien incapable de mettre en place et encore moins d’être obéissant à toutes cette lumière éclairante et non éblouissante. L’humilité viendra de cette reconnaissance de notre incapacité à comprendre que le coeur de chaque humain est malade et que , seul, il n obéira pas à la loi des souffle de la vie.
Merci pour ce superbe article, Rodolphe, qui nous ramène avec justesse aux rituels de nos anciens. Il m’a projeté dans l’œuvre de Marion Zimmer Bradley qui en parle avec précision dans son roman des Brumes d’Avalon.
Merci pour ce rappel à la célébration de la nature et belle journée à vous.
France
bonjour, vous avez bien de la chance d’avoir un terrier de renards près de chez vous alors que c’est de plus en plus difficile de les voir dans la nature, bonne continuation vos articles sont toujours intéressants à lire
Bonjour Rodolphe, c’est exact les religions et la politique nous raméne toujours au mal être alors qu’aux beaux jours la nature renaît. On devrait fêter cela car on oublie que nous sommes reliés à la source et à la nature. lorsque le printemps arrive je commence à faire mes semis pour les planter dans mon jardin, tout renaît, c’est si bon ! Peu de gens son dehors malheureusement……Bonne journée à vous
Bonjour et bonne fête de beltaine. Merci pour cette article positif et plein de sagesse. Toujours un plaisir de vous lire !
Merci pour toutes ces informations et belle fête du 1er mai.
Meilleures salutations
Merci infiniment Rodolphe pour cette mise en lumière ;) d’une fête que je ne connaissais pas. Je me souviens, en revanche, des feux de la Saint-Jean que nous faisions dans nos villages en Bretagne dans mon enfance. Cette fête était déjà plus avancée dans le printemps puisqu’elle a lieu le 24 juin. C’était un moment joyeux de retrouvailles !
Alors aujourd’hui je vais célébrer Beltaine avec enthousiasme en remerciant la nature de tout ce qu’elle m’apporte, tout simplement.
Hauts les coeurs !