Chers amis,

Le mois dernier, une étude « disruptive » sur la sieste a été publiée dans la revue de l’American Heart Association : basée sur des données suédoises collectées depuis les années 1960, cette étude a pour conclusion que la sieste serait un facteur de risque… de développer des maladies cardiovasculaires !

Lorsque j’ai vu le résumé de cette étude apparaître dans mon fil d’alertes scientifiques, j’ai d’abord été surpris, car ses conclusions vont complètement à l’encontre de toutes les autres études effectuées sur ce sujet (je vais y revenir).

Mais en lisant le détail de l’étude… j’ai compris qu’il ne s’agissait que d’une interprétation superficielle des données de l’étude, à laquelle se sont malheureusement cantonnés quelques journalistes qui se sont empressés de claironner : « Attention ! Sieste = maladies cardiovasculaires » ! 

Néanmoins, si cela a jeté le doute dans l’esprit de quelques-uns, permettez-moi de vous expliquer :

  • Pourquoi cette étude ne conclut pas du tout à la dangerosité de la sieste ;
  • Les bienfaits associés à une sieste quotidienne (y compris pour la santé cardiovasculaire)… attestés par de nombreuses études antérieures.

Faire la sieste est-il mauvais pour votre santé ?

Dans l’étude publiée en août, menée sur 12268 jumeaux (ceci pour atténuer le rôle du terrain génétique dans le sujet de l’étude), les chercheurs ont relevé que les personnes faisant entre une et trente minutes de sieste quotidienne augmentaient leur risque de développer une maladie cardiovasculaire, par rapport à ceux qui n’en faisaient pas[1].

Si l’on s’en tient à cette seule observation, on a effectivement l’impression qu’on risque la crise cardiaque en piquant un roupillon en début d’après-midi !

Mais en réalité, le vrai facteur de risque identifié dans l’étude, ce n’est pas la sieste elle-même, qui est plutôt un effet collatéral du vrai facteur de risque : un mauvais sommeil nocturne !

En effet, un sommeil trop court (moins de sept heures par nuit) ou trop long (plus de dix heures) est un facteur de risque de maladies cardiovasculaires (mais aussi neurodégénératives) ; autrement dit, cette étude ne fait que confirmer ce que l’on sait depuis longtemps !

A savoir : qu’un temps de sommeil trop court (en gros, moins de six heures par nuit) est en effet proportionnellement associé à un risque croissant d’AVC[2] mais aussi :

  • de diabète de type 2[3];
  • de chances de contracter un virus[4] (4 fois plus de chances d’attraper un rhume quand on a dormi moins de six heures !) ;
  • à un ressenti plus vif de la douleur[5];
  • à un plus grand nombre de symptômes dépressifs[6].

En accusant la sieste d’être responsable de ces problèmes de santé, c’est comme si vous accusiez la canne d’être la cause du problème de mobilité de celui qui s’en sert pour marcher.

Dans le contexte de cette étude, la sieste n’est « que » l’expression d’un désordre de sommeil plus important.

Et c’est d’autant plus vrai… que cette étude a été menée sur des données suédoises !

La sieste, une affaire de culture

Peu de journalistes ont en effet relevé que cette étude a été menée par des chercheurs chinois… à partir de données suédoises.

Or, en Europe, la sieste est un trait culturel : courant dans les pays du sud, il est beaucoup moins répandu dans les pays nordiques, comme la Suède.

Dans le reste du monde, on observe la même « distinction » : un pays comme le Japon a quasiment institutionnalisé la sieste, y compris au bureau[7], quand cette même sieste reste très mal vue dans les pays de tradition protestante, comme l’Angleterre ou les États-Unis.

En bref : déclarer que la sieste est mauvaise sur la santé à partir de données d’un pays où elle est peu répandue (la Suède) est a minima à prendre avec des pincettes.

Les pays où elle est répandue culturellement (essentiellement les pays de culture latine, mais aussi les pays asiatiques, comme la Chine ou le Japon) ne montrent pas de surmortalité cardiovasculaire due à la sieste… bien au contraire !

Ainsi, en Grèce, pays justement où elle est culturellement mieux acceptée, plusieurs études ont démontré que l’habitude de la sieste est inversement associée à la mortalité cardiovasculaire : plus vous la faites, moins vous avez de chance de mourir d’un AVC[8].

Surtout, les bienfaits de la sieste sont documentés et établis par de précédentes études, en particulier à notre époque où un nombre croissant de personnes souffrent de troubles du sommeil et contractent une dette de sommeil parce qu’ils ne dorment pas suffisamment.

La sieste, un soin naturel et efficace

Or le manque chronique de sommeil total est un facteur de risque avéré de mort prématurée, toutes causes confondues[9]…

La dette de sommeil n’est donc pas un problème à prendre à la légère : l’augmentation de la somnolence en journée… l’affaiblissement de notre système immunitaire… le sabotage du processus de réparation de notre organisme et de notre cerveau au cours de la nuit… Tout cela nous fait mettre un pied plus vite que prévu dans la tombe.

La sieste est la première mesure, salutaire, contre la dette chronique de sommeil.

Elle permet de minimiser, en un temps record, les dégâts occasionnés par une nuit trop courte – autrement dit, de « rembourser sa dette ».

Il serait d’autant plus absurde de laisser passer cette occasion que nous sommes biologiquement programmés pour dormir en début d’après-midi.

Au cours des 24 heures d’une journée complète, chacun d’entre nous reçoit à deux reprises un signal de « mise en sommeil » qui va permettre cette réparation : le soir, après l’heure du dîner… et en début d’après-midi, après l’heure du déjeuner.

Ce signal, nous le connaissons tous. Il est caractérisé par une légère somnolence, une perte momentanée de vigilance, provoquées par un ensemble de facteurs physiologiques, comme les sécrétions d’hormones, et un léger abaissement de notre température corporelle.

Seulement, à ce signal, nous pouvons réagir de deux façons :

  • l’écouter, et nous endormir ;
  • ou lutter délibérément contre lui, en forçant notre éveil par notre volonté… ou par la prise d’excitants.

Nous sommes beaucoup plus enclins à « accepter » de nous endormir le soir, qu’en début d’après-midi.

Or, en prenant en compte ce signal et en faisant une sieste – d’une durée idéale entre 15 et 30 minutes, vous :

  • disposez d’un remède naturel et efficace contre vos douleurs chroniques, comme celles de la fibromyalgie[10];
  • réduisez vos douleurs musculaires et osseuses[11];
  • améliorez votre système immunitaire[12];
  • améliorez vos facultés d’apprentissage[13];
  • et réduisez votre risque de maladies cardiovasculaires[14]!

Sieste ou pas ? Écoutez-vous !

Je vous conseille donc de ne surtout pas prendre pour argent comptant les articles qui décrètent que la sieste est mauvaise pour la santé cardiovasculaire, à partir d’une étude scientifique isolée dont ils ont mal compris les conclusions.

Mon conseil est plutôt le suivant : écoutez-vous !

Il est tout aussi absurde de se « forcer » à faire une sieste si l’on n’en éprouve pas le besoin, que d’y résister si l’on en a besoin !

La durée idéale avoisine les 10 à 20 minutes : c’est la sieste qui vous permet de réaffûter votre esprit et votre organisme en milieu de journée.

Une sieste plus longue (1h à 1h30) n’a de sens que si vous avez justement un manque de sommeil à rattraper : elle n’est pas optionnelle, mais salutaire !

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet


[1] Wang Z, Yang W, Li X, Qi X, Pan KY, Xu W. « Association of Sleep Duration, Napping, and Sleep Patterns With Risk of Cardiovascular Diseases: A Nationwide Twin Study ». J Am Heart Assoc, août 2022, doi: 10.1161/JAHA.122.025969.

[2] Fernandez-Mendoza J, He F, Calhoun SL, Vgontzas AN, Liao D, Bixler EO. « Objective short sleep duration increases the risk of all-cause mortality associated with possible vascular cognitive impairment ». Sleep Health, février 2020, doi: 10.1016/j.sleh.2019.09.003.

[3] Cappuccio FP, D’Elia L, Strazzullo P, Miller MA. « Quantity and quality of sleep and incidence of type 2 diabetes: a systematic review and meta-analysis ». Diabetes Care, février 2010, doi: 10.2337/dc09-1124.

[4] Prather AA, Janicki-Deverts D, Hall MH, Cohen S. « Behaviorally Assessed Sleep and Susceptibility to the Common Cold ». Sleep, septembre 2015, doi: 10.5665/sleep.4968.

[5] Edwards RR, Almeida DM, Klick B, Haythornthwaite JA, Smith MT. « Duration of sleep contributes to next-day pain report in the general population ». Pain, juillet 2008, doi: 10.1016/j.pain.2008.01.025.

[6] Kim T, Nam GE, Han B, Cho SJ, Kim J, Eum DH, Lee SW, Min SH, Lee W, Han K, Park YG. « Associations of mental health and sleep duration with menstrual cycle irregularity: a population-based study ». Arch Womens Ment Health, décembre 2018, doi: 10.1007/s00737-018-0872-8.

[7] Camille. « Le saviez-vous ? Au Japon, il est toléré de dormir au travail, ça signifie que vous travaillez dur ». Daily geek show. 25 octobre 2020

[8] Naska A, Oikonomou E, Trichopoulou A, Psaltopoulou T, Trichopoulos D. « Siesta in Healthy Adults and Coronary Mortality in the General Population ». Arch Intern Med, 2007, doi:10.1001/archinte.167.3.296

[9] Cappuccio FP, D’Elia L, Strazzullo P, Miller MA. « Sleep duration and all-cause mortality: a systematic review and meta-analysis of prospective studies ». Sleep, mai 2010, doi: 10.1093/sleep/33.5.585.

[10] Faraut B. (2021). Sauvés par la sieste. Actes Sud. p.188

[11] Faraut, op. cit., p.189

[12] Ibid., p.195

[13] Mednick S, Nakayama K, Stickgold R. “Sleep-dependent learning: a nap is as good as a night”. Nat Neurosci, juillet 2003, doi: 10.1038/nn1078.

[14] Faraut, p.201