Chers amis,

Mon grand-père disait toujours : « S’il y a un ver dedans, c’est qu’elle est bonne ! »

Les vieilles et les moches, ce sont les meilleures.

Je vous parle des pommes, évidemment.

Les découpeurs et les croqueurs

Quand les premières se détachaient d’elles-mêmes, c’était le signal.

On commençait par ramasser celles tombées au sol avant qu’elles ne se gâtent, pour en faire de la compote de pommes, de la tarte aux pommes ou du boudin aux pommes.

Puis on remplissait la brouette et les cagettes qu’on stockait au garage tout l’hiver.

La cueillette finie, il y avait deux écoles. Les découpeurs et les croqueurs.

Parmi les découpeurs, il y a les techniciens comme mon grand-père – « deux tours à l’économe en haut, deux en bas, puis tu épluches verticalement ». Et les artistes comme ma grand-mère, qui épluchait toujours sa pomme au couteau, en spirales d’un seul tenant.

Moi, j’ai toujours été un croqueur. À pleines dents, sans plus de protocole.

Parfois je mâchonnais un peu les pépins, les recrachais avant de jeter le trognon au loin, par-dessus l’épaule, l’air de rien… mais avec le secret espoir qu’y pousse au printemps un petit pommier. 

La diversité des pommes ? Anéantie par Gala, Golden, Pink et Granny

Qui se souvient encore de la pomme Cul d’oie, de la Tête de chat, de la Patte de loup ?

De la « Germaine de Brasparts », favorite des boulangers pour faire leurs chaussons aux pommes ?

Ou encore de la « Dame Jeanne » très recherchée par les bouilleurs de cru pour produire leur « gnôle » ?

La pomme est pourtant le fruit préféré des Français, qui en croquent en moyenne 16 kg par an et par ménage, devant la banane (12 kg) et l’orange (10 kg)[1].

C’est aussi le fruit le plus cultivé au monde.

Les scientifiques en ont répertorié plus de 7500 variétés [2] : des rouges striées de jaune, des brunes fauves, des aplaties, des « ponctuées de gris », des épicées, des anisées, des « marbrées de roux », des fondantes et des croquantes « aux arômes de miel, de noisette et de banane »…

…sur ces milliers de variétés, seule une centaine pousse en France.

…sur cette centaine, seule une trentaine est produite en grande quantité.

…et quatre – Gala, Golden, Pink Lady et Granny Smith – ont pris le monopole de nos étals de supermarchés.

Elles représentent à elles seules les deux tiers des ventes [3] !

« Pink Lady® », la création marketing qui fait cauchemarder les nutritionnistes

Ces « pommes-mannequins », brillantes et colorées, ont été calibrées pour séduire le client pressé au premier coup d’œil.

Prenez la « Pink Lady ».

On raconte qu’un brave Australien, John Cripps, l’aurait inventée en 1973 en croisant un pommier Golden Delicious et un Lady Williams.

Mais la Pink Lady, c’est surtout une marque déposée conçue par des ingénieurs pour être une belle pomme, bien plus qu’une bonne pomme.

A force d’hybridation, ils ont « amélioré » sa couleur et sa grande capacité à absorber l’eau : ce qui explique que chaque fruit pèse au moins 200 grammes.

Ces « belles » pommes ornées d’un logo en forme de cœur rose sont tout de même vendues 3 € le kilo, contre environ 1 € pour ses consœurs, et sont brevetées : si vous voulez la faire pousser dans votre jardin, vous devrez payer des « droits de reproduction » à Pink Lady Europe [4] ! 

Plus elles sont belles, moins elles sont bonnes

Dans les publicités, la Pink Lady est vantée pour sa belle robe rouge et or soi-disant « 100 % naturelle ».

Sauf que la Pink Lady est plus sensible que les pommes anciennes aux redoutables pucerons cendrés et à la tavelure, une maladie causée par des champignons.

Mais il y a plus absurde encore. Les arboriculteurs, qui veulent être certains de passer le crash-test du tri et de la « calibreuse »… sont ainsi contraints de l’arroser de nombreux traitements chimiques pour préserver sa plastique parfaite !

154 000 tonnes de pommes, toutes variétés confondues, sont écartées chaque année en France… parce qu’elles ne respectent pas les canons de beauté[5] !!!

Au mieux, elles finissent en compotes. Au pire, au compost…

Celles qui réussissent le test passent à la brosseuse, à la sécheuse, à la lustreuse…

…et sont parfois recouvertes de cire végétale – le « vernis » qui les fait briller[6].

Ce sont ces pommes « top models », « belles », immaculées, mais uniformisées et bourrées de pesticides, que vous trouvez aujourd’hui au supermarché.

Elles ont évincé les anciennes variétés locales de nos régions, jugées trop petites, difformes ou trop ternes… et pourtant bien plus savoureuses et riches en nutriments !!

Une pomme de 1950 = 100 pommes d’aujourd’hui ?

Le chercheur américain Brian Halweil[7] a jeté en 2015 un mémorable pavé dans la mare.

Il affirme que lorsque nos grands-parents croquaient une Cox orange ou une Boscop, ils avalaient 400 mg de vitamine C… alors qu’aujourd’hui, les pommes de supermarché n’en apporteraient que 4 mg… soit cent fois moins !!

L’année dernière, l’émission Cash Investigation de France 2 jetait un autre pavé : les 70 fruits et légumes les plus consommés par les Français auraient perdu en moyenne 16 % de calcium, 27 % de vitamine C et 48 % de fer en l’espace de 60 ans.

En cause : l’appauvrissement des sols et la sélection artificielle de variétés pour leur croissance rapide, leur longue conservation, leur résistance aux maladies ou leur esthétique…

Au détriment de leur intérêt nutritionnel.

La cueillette précoce est aussi montrée du doigt : dans leur course au rendement, certains arboriculteurs, y compris « bio », cueillent les pommes avant qu’elles ne soient arrivées à maturité.

Bien sûr, à chaque nouvelle étude de ce type, l’industrie agro-alimentaire s’indigne :

  • « C’est beaucoup plus compliqué que ça en a l’air ! »
  • « Vous ne pouvez pas comparer les chiffres de 1960 avec ceux d’aujourd’hui ! »
  • « Vous oubliez de prendre en compte les conditions climatiques ! »

Leurs « experts » n’hésitent pas à parler d’« enfumage »[8], de « banalités et de contre-vérités », de « clichés dignes du Café du commerce »[9]…

Il est vrai que les données sur la teneur en minéraux et vitamines des aliments de 1960 étaient beaucoup moins complètes.

Pourtant, même dans l’étude rectificative de l’Académie d’agriculture de France[10], on peut constater qu’entre 1960 et 2016 :

  • La teneur des pommes en bêta-carotènes, précurseurs de la vitamine A, a été divisée par 2;
  • Leur teneur en vitamine C a chuté de 38 %;
  • Et leur teneur en fer a été divisée par 4.

Croquez les « moches » et les « vieilles »

– Mangez des pommes ! disait un ancien président.

Oui, mais des pommes « moches », des pommes « paysannes » et anciennes.

Quand vous faites vos courses, résistez !

Choisissez vos pommes « non conformes », irrégulières, petites, pâlottes, bossues, tachées, avec des marbrures !

Plus elles sont laides, plus elles seront belles à l’intérieur.

Sans pesticides ou presque, bonnes au goût et riches en nutriments bons pour votre santé.

Vous pouvez en acheter au marché, en trouver quelquefois au supermarché, ou vous rendre dans un verger proche de chez vous pour en cueillir.

Vous pourrez les croquer avec leur peau et ainsi profiter de :

  • Leur richesse en fibres qui réduisent le risque de constipation et régulent le transit intestinal;
  • La quercétine et la catéchine, deux puissants antioxydants qui agissent contre la prolifération des cellules cancéreuses et protègent les cellules du cerveau des maladies neurodégénératives comme Alzheimer ou Parkinson;
  • La pectine, qu’on trouve en abondance dans la peau, réduit le mauvais cholestérol et évite l’agglomération des mauvaises graisses dans les artères. Manger une pomme par jour réduirait de 52 % les risques d’AVC[11]. Riche en antioxydants, la pectine joue enfin un rôle dans la santé des os et réduit vos risques de déclarer un diabète de type 2;
  • Du phosphore, un excellent somnifère naturel, qui favorise la détente et réduit l’anxiété.

Depuis mi-août cette année, la saison des pommes est ouverte !

Elle se terminera début novembre.

Beaucoup de vergers ouvrent leurs portes et vous laissent cueillir gratuitement de quoi remplir votre panier.

Voici la liste des vergers « conservatoires », spécialisés dans la production de variétés anciennes :

http://www.pommiers.com/verger-conservatoire/conservatoire-vegetal.htm

Bonne cueillette !

Portez-vous bien,

Rodolphe


[1] « Les chiffres-clés », disponible sur : https://www.lesfruitsetlegumesfrais.com/filiere-et-metiers/les-chiffres-cles/les-produits-les-plus-consommes

[2] A.T.G. Elzebroek et K. Wind,« Guide to Cultivated Plants », Wallingford: CAB International, 2008, p27

[3] « Pauvres pommes », documentaire réalisé par Céline Chassé, France 5, 2018 https://www.france.tv/documentaires/voyages/763529-pauvres-pommes.html

[4] C. Vadrot, « La Pink Lady, marketing pur jus », 2015, Politis, disponible sur : http://www.politis.fr/articles/2015/02/la-pink-lady-marketing-pur-jus-30039/

[5] Rapport d’étude « Pertes et gaspillages alimentaires : l’état des lieux et leur gestion par étapes de la chaine alimentaire », 2016, disponible sur : https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/pertes-et-gaspillages-alimentaires-201605-rapport.pdf

[6] M. Cousin, 2018, 20 Minutes, disponible sur : https://www.20minutes.fr/planete/2331951-20180907-hoax-attention-video-douteuse-pommes-cire-cancerigene

[7] A. Mougey, 2016, L’OBS, disponible sur : https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-planete/20150126.RUE7557/une-pomme-de-1950-equivaut-a-100-pommes-d-aujourd-hui.html

[8] A. Haverland, 2019, L’Usine Nouvelle, disponible sur : https://www.usinenouvelle.com/article/les-semenciers-repondent-aux-accusations-de-cash-investigation.N856695

[9] G. R-W, 2019, Agriculture et Environnement, disponible sur : https://www.agriculture-environnement.fr/2019/09/02/alimentation-comme-mauvais-gout-cash-investigation

[10] L. Guéguen, AAF, disponible sur : https://alimentation-sante.org/wp-content/uploads/2017/06/20170530alimentshistoriquequalite.pdf

[11] Linda M. Oude Griep et al., « Colors of fruit and vegetables and 10-year incidence of stroke », Stroke, novembre 2011, https://doi.org/10.1161/STROKEAHA.110.611152