Chers amis,

« N’y touche pas ! C’est plein de maladies ! »

Je me souviens encore des mots de ma tante lorsque, tout petit, je m’approchais d’un pigeon dans les rues de Perpignan.

Il est vrai que, dans certaines villes, les pigeons sont partout et souvent pas beaux à voir : éborgnés, mutilés, ébouriffés… Mais méritent-ils vraiment leur réputation de « nids à maladies » ?

C’est ce dont je vais vous parler dans cette lettre.

Pour commencer, j’aimerais vous raconter une histoire – incroyable mais vraie – afin de redorer le blason de ce volatile.

C’est l’histoire de CE pigeon en particulier :

Apparemment, vous avez là un pigeon semblable aux centaines d’autres pigeons que nous pouvons croiser dans les rues de Paris ou Bruxelles : il n’est pas rutilant, il lui manque une patte et un œil.

Pourtant, ce pigeon est un héros.

Un pigeon sauve 194 hommes d’un massacre

En octobre 1918, un mois avant la fin de la « Grande Guerre », a lieu une ultime grande bataille dans le nord-est de la France : l’offensive Meuse-Argonne.

Au cours de cet affrontement, un bataillon américain se retrouve piégé au milieu des lignes allemandes.

Ses 550 soldats n’ont ni nourriture ni munitions de réserve et se font copieusement canarder. L’Histoire a appelé ce groupe d’hommes « Le Bataillon perdu ».

Mais la situation se corse lorsque le bataillon se fait également bombarder par les troupes alliées, qui ne connaissaient pas sa position !

Encerclé par l’ennemi donc, et bombardé de partout, le bataillon ne compte bientôt plus que 200 survivants. Le seul espoir de ces hommes, c’est trois pigeons voyageurs qu’ils ont emmenés avec eux pour communiquer avec leur base.

Dans le ciel, les balles ne cessent de siffler. Un premier pigeon est envoyé vers les lignes amies, porteur d’un SOS. Il est immédiatement abattu. Un deuxième essuie une pluie de balles et s’effondre à son tour.

Il ne reste plus qu’un pigeon, plus exactement une pigeonne, joliment baptisée « Cher ami ». Les soldats fixent un message à sa patte : « Nous sommes le long de la route parallèle au 276.4. Notre propre artillerie fait un tir de barrage sur nous. Pour l’amour du ciel, arrêtez ! »

Ce pigeon est l’ultime espoir du « bataillon perdu ». A peine envolé, il est la cible de tirs allemands. « Cher ami » parvient à éviter les balles. Puis il semble touché à la poitrine et s’effondre au sol, sous le regard désespéré des soldats.

Contre toute attente, le pigeon se redresse et s’envole ! Bien que sévèrement blessé, il arrive à parcourir les 40 km qui le séparent de la base alliée, en une demi-heure.

A son arrivée, « Cher ami » est ensanglanté, touché à l’œil et à la poitrine, et la patte à laquelle est fixé le message ne tient plus que par un tendon.

Les tirs sur le bataillon s’arrêtent.

La bravoure du pigeon permet de sauver 194 hommes.

Éborgné et estropié comme tant d’autres

Fêté en héros, « Cher ami » fait l’objet de soins particuliers et rejoint le rang des « gueules cassées » : il perd son œil et sa patte, remplacée par une prothèse en bois… mais reçoit (c’est authentique) la croix de guerre de la part de l’armée française.

« Cher ami » est ensuite rapatrié en bateau vers les États-Unis, où il est accueilli avec tous les honneurs. Il meurt de la suite de ses blessures moins d’un an plus tard, à l’âge vénérable de 9 ans.

Son corps a été empaillé, comme vous avez pu le voir sur la photo au début de ce message. Il est toujours visible au Smithsonian Institut, à Washington.

L’histoire de ce pigeon si brave nous enseigne l’incroyable résistance des oiseaux, mais aussi le fait que leur apparence parfois horrible n’est souvent pas dus à des « maladies »… mais aux hommes.

C’est exactement la même chose pour les pigeons qui peuplent nos agglomérations urbaines.

Pourquoi les pigeons perdent-ils leurs pattes ?

On a tous croisé des pigeons urbains se déplaçant peu gracieusement sur un moignon. C’est le premier chef d’accusation contre les pigeons. On les pense affectés d’une implacable épidémie de lèpre.

Mais si les pigeons perdent leurs pattes, ce n’est pas à cause d’une quelconque maladie.

En décembre 2019, des chercheurs français ont publié dans Biological Conservation les conclusions d’une étude menée sur les pigeons de 46 sites parisiens[1].  Elle révèle que plus un quartier est pollué et peuplé (d’humains), plus les pigeons sont estropiés. C’est particulièrement frappant dans les quartiers… où exercent des coiffeurs !

Explication : « Lorsque les pigeons marchent au sol, des cheveux ou des fils s’enroulent autour de leurs extrémités et finissent par faire un garrot sur le doigt qui se nécrose et tombe[2], » explique un chercheur du Muséum d’histoire naturelle de Paris.

Un pigeon unijambiste est donc simplement victime de la saleté de la rue.

Les pigeons : très malades… et très résistants

Alors évidemment, les oiseaux sont effectivement des nids à virus, à bactéries et à champignons. Beaucoup des grippes qui touchent les humains, comme le coronavirus, viennent de la volaille – poules et canards en tête.

Les pigeons n’échappent pas à cette règle : ils sont porteurs de différents parasites et virus… généralement inoffensifs pour l’homme.

C’est le cas de la maladie la plus fréquente du pigeon, la trichomonose : 85 % des pigeons seraient porteurs du parasite. Mais elle ne cause la mort que des pigeons ayant de faibles défenses immunitaires[3].

Les pigeons peuvent se « refiler » entre eux d’autres maladies comme la salmonelle, le coryza ou encore un virus hautement contagieux (le paramyxovirus).

Mais à moins que vous ne vous serviez un grand verre d’eau dans une flaque ayant servi d’abreuvoir à des pigeons contaminés, les risques de souffrir de ces maladies sont quasi nulles.  

On découvre même, en faisant des recherches, que chez les populations de pigeons, ces maladies causent très peu de dégâts. C’est aussi la raison pour laquelle ils pullulent dans nos villes : ils sont remarquablement résistants.

Les maladies transmissibles : elles existent, mais sans grand danger

Il existe bien quelques maladies transmissibles du pigeon à l’homme.

Mais ce sont des cas très rares et totalement bénins. Ils vous donnent au maximum un état grippal.

Ces maladies[4] sont :

  • La chlamydiose, causée par la bactérie Chamydia psittaci. Elle se manifeste par de la fièvre et une migraine et peut, même si c’est très rare, évoluer en pneumonie ;
  • La salmonellose, dont je vous ai parlé plus haut, qui se manifestera par une gastro-entérite ;
  • La cryptococcose, une mycose due à un champignon parasite des fientes de pigeon (cette infection est bénigne à moins d’être déjà touché par une maladie immuno-déficiente comme le sida ; dans ce dernier cas elle peut atteindre les poumons et avoir des conséquences neurologiques) ;
  • La maladie de Newcastle, caractérisée chez l’homme par de la fièvre et un état grippal.

Mais la plupart des cas chez l’homme apparaissent dans les élevages de pigeons ou d’autres volailles, pas dans la rue !

Le vrai risque d’infection : les fientes !

Il faut par ailleurs savoir que la plupart de ces transmissions se font en réalité par l’intermédiaire des fientes de pigeons.

Vous vous souvenez peut-être de l’épaule de François Hollande maculée d’une fiente de pigeon en pleine marche républicaine en 2015 : on était passé à deux doigts de l’attentat présidentiel !

Le danger infectieux se présente sous une forme très particulière : l’inhalation de fientes séchées.

Si vous visitez un vieux clocher servant d’abri à des pigeons depuis plusieurs générations, que vous éternuez un grand coup et dégagez un nuage de fientes séculaires, il est fortement recommandé de sortir.

Là, le risque d’infection grimpe, toujours pour des maladies bénignes, je le rappelle.

Il suffit donc de s’en tenir au bon sens quand on côtoie des pigeons en ville, c’est-à-dire éviter de les prendre longtemps entre ses mains (de toute façon c’est difficile, ils ne se laissent pas attraper), ne pas partager leur nourriture, nettoyer les fientes s’ils vous « font » dessus.

Pour le reste, la prochaine fois que vous croiserez un pigeon estropié, rappelez-vous ce « Cher ami » héros de la Grande Guerre, et dites-vous que nous sommes plus dangereux pour lui qu’il ne l’est pour nous !

Portez-vous bien,

Rodolphe

[1] Jiguet, F., Sunnen, L., Prévot, A.-C., & Princé, K. (2019). Urban pigeons loosing toes due to human activities. Biological Conservation, 240, consulté le 10 février sur : https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0006320719306901?via%3Dihub

[2] « La décoiffante vérité sur les pigeons estropiés », par Sciences et Avenir et AFP, publié le 13 novembre 2019 et consulté le 10 février 2019, disponible sur ce lien : https://www.sciencesetavenir.fr/animaux/oiseaux/la-decoiffante-verite-sur-les-pigeons-estropies_138996

[3] Decrouy A. « Maladie des pigeons » (12 décembre 2018), planeteanimal.com, consulté le 10 février et disponible sur ce lien : https://www.planeteanimal.com/maladies-des-pigeons-2454.html

[4] « Quelles sont les maladies émanant des pigeons ? » (29 juillet 2019), sur pigeon-propre.fr, consulté le 10 février et consultable sur ce lien : https://www.pigeon-propre.fr/quelles-sont-les-maladies-emanant-des-pigeons/