Chers amis, 

Pendant des mois, les médias mainstream français sont restés coi sur les protestations des agriculteurs néerlandais et allemands (qui ont tout de même bloqué la capitale, Berlin), mais après que la fronde a énergiquement gagné les agriculteurs français, ils en parlent tous

C’est la moindre des choses. Et, comme d’habitude, ces médias se copient les uns les autres

Regardez ces captures d’écran de médias publics et privés : 

« Colère des agriculteurs », « Agriculteurs en colère », « raisons de la colère des agriculteurs »… 

… Tous les journalistes semblent s’être passé le mot – ce mot : colère.

A tel point que « colère des agriculteurs » est devenu le mot-clé de ce mouvement sur les chaînes d’info en continu et sur les sites web des journaux. 

Ce mot, il paraît logique. 

Et pourtant, il n’est pas si évident que ça. 

Quand est-on « en colère » ? 

Les agriculteurs sont-ils « en colère » ? 

Oui, mais pas seulement. A mon sens ils sont surtout épuisés, exaspérés et, pour certains, désespérés.

Mais le fait que les médias aient retenu une seule émotion – la colère – pour, littéralement, l’afficher partout, est lourd de sens. 

Vous remarquerez qu’au cours des dix dernières années, tous les mouvements de protestation en France ont été traités très différemment dans les médias.

Prenez les gilets jaunes. Les personnes qui ont revêtu ce gilet en 2018 pour occuper les ronds-points et bloquer les routes, étaient-elles en colère ? 

Oui, indiscutablement. Pourtant ça n’est jamais leur colère qui a fait la une des journaux ; le mot-clé, cette fois-là, était « mouvement des gilets jaunes ». C’est même sous cet intitulé que cette fronde sociale est « entrée » dans Wikipedia[1] !

Bref, des actions, des blocages par les gilets jaunes, les médias en ont parlé évidemment. 

Mais ils ne parlaient pas de la colère qui les motivait. 

Bien au contraire, je me rappelle qu’à l’époque on avait même exhumé ce vieux mot de « jacquerie », qui associait les gilets jaunes à des gueux[2]

Ironiquement, les jacqueries étaient sous l’ancien régime des révoltes paysannes… Jusqu’ici aucun journaliste n’a réemployé ce terme pour qualifier le mouvement des agriculteurs de ce début d’année 2024. Et ce n’est pas par retenue ; je vais y revenir.

Prenez plus récemment les manifestations contre l’instauration du pass sanitaire, puis du pass vaccinal, entre l’été 2021 et début 2022.

Les personnes qui ont participé à ces protestations étaient-elles en colère ? 

Là encore, oui, ça ne fait aucun doute. Mais aucun média n’a traité ces expressions sous l’angle de la colère ; le traitement médiatique avait cette fois-ci un mot d’ordre encore plus commode et définitif : « antivax ». 

Alors pourquoi est-ce cette fois-ci ce terme de « colère » qui domine le mouvement de protestation des agriculteurs, quand il aurait pu tout aussi bien s’appliquer aux autres moments que je viens de citer ?

La colère est une émotion positive

La réponse est la suivante : aussi surprenant que cela puisse paraître, la colère est une émotion positive.

Bien entendu, je ne parle pas de la colère comme caractère : quand elle fait partie intégrante de la personnalité (on dit alors que cette personne est colérique) la colère est un défaut.

Mais chez la plupart des gens, la colère est quelque chose de positif. 

Cette nature positive dépend de deux critères :

  • Cette colère est-elle juste ou pas ? Autrement dit, a-t-elle une base légitime ? Si je me mets en colère parce j’ai été victime d’une injustice, oui ; si je me mets en colère parce que je veux que tout le monde m’obéisse (comme un enfant qui « fait une colère »), sans doute pas.
  • Comment cette colère s’exprime-t-elle ? Si lors d’une crise de colère je vais chercher un revolver pour dégommer mon voisin, c’est un crime ; si ma colère me fait « seulement » taper du poing sur la table, j’attire l’attention et suis entendu.

Les grands médias, en employant inlassablement ce terme de « colère des agriculteurs », laissent entendre que, pour l’essentiel, ils trouvent cette colère légitime et son expression correcte.

C’est une bonne nouvelle pour les agriculteurs car, à ma connaissance, c’est la première fois depuis des lustres que l’appareil médiatique français se trouve aussi « compréhensif » pour une cause de protestation anti-gouvernementale, et même sympathise explicitement avec elle (la chaîne de télévision CNews a même « retourné » son logo comme l’avaient fait les agriculteurs pour les panneaux à l’entrée des communes rurales[3]).

Je ne vais pas vous parler ici des raisons de la colère des agriculteurs ; mais j’aimerais vous dire pourquoi ils ont raison de se mettre en colère. 

Et pourquoi vous avez, vous aussi, raison d’exprimer votre colère… quel que soit son motif.

Il vaut mieux se mettre en colère que de développer un cancer

Voir quelqu’un se mettre en colère n’est jamais très agréable. Surtout si vous en êtes la cause. 

Néanmoins, si vous aimez ou tout simplement voulez du bien à cette personne, la voir se mettre en colère est peut-être la meilleure chose que vous puissiez lui souhaiter. 

La colère est, je vous le disais, une émotion positive si elle est correctement exprimée ; et une émotion dévastatrice si elle est mal exprimée… et plus encore si elle n’est pas exprimée.

Elle devient alors une émotion négative, qui vous ronge de l’intérieur. 

C’est pourquoi on peut dire que, quelle que soient les raisons de la colère des agriculteurs, il est salutaire pour eux qu’ils l’expriment, sans quoi elle les terrasserait probablement. 

Quand une colère profonde et rentrée ne s’extériorise pas, elle se retourne contre vous

Elle peut se retourner de façon radicale et définitive : par le suicide.

Je reprends une fois encore le cas des agriculteurs, car il est éloquent : les agriculteurs sont, depuis plusieurs années, la classe socio-professionnelle qui connaît, et de loin, le plus fort taux de suicides en France : entre 1 et 2 agriculteurs se donnent la mort chaque jour. 

C’est 30% de plus que toutes les autres catégories socio-professionnelles[4].

Ces chiffres glaçants sont le reflet de ce désespoir et de cette colère rentrée depuis des années. Aussi est-il, je le répète, salutaire que cette colère s’exprime, et soit entendue. 

Mais la colère non exprimée peut se retourner d’une façon plus insidieuse contre celui ou celle qui la porte en son sein : par la maladie.

Les liens très étroits entre les émotions et les maladies sont connus depuis des siècles. La médecine moderne tend quelque peu à balayer ce lien d’un revers de la main comme étant non-scientifique. 

Mais c’est faux : ce lien est non seulement empirique, mais également scientifique. 

Plusieurs études statistiques ont ainsi démontré l’étrange mais indiscutable lien entre le cancer et une suppression, une répression ou une retenue de la colère

« Il existe des preuves démontrant que la colère réprimée peut être un précurseur du développement du cancer et également un facteur de sa progression après le diagnostic. Certaines études indiquent qu’il peut être bénéfique pour les patients de mobiliser leur colère pour combattre leur cancer », écrivaient les auteurs d’une méta-analyse en 2000[5].

En somme, il vaut mieux exprimer sa colère que de développer un cancer ! 

La colère est une réaction de défense et de survie face à ce qui est vécu comme une agression extérieure.

La colère, une nécessité émotionnelle et biologique qui va à l’encontre des règles de la société

L’expression de la colère est une soupape biologique importante : elle permet d’évacuer un trop-plein de pression intérieure, exactement comme une cocotte-minute qui laisse échapper un filet de vapeur pour éviter d’exploser. 

Le « problème » – et j’emploie ce mot avec des guillemets car il est évident qu’à bien des égards, ce n’est pas un problème mais un progrès – c’est que dans notre société civilisée voire policée, l’expression de la colère est quelque chose de très compliqué, parce que très mal vécu, et mal vu. 

Toute forme d’expression violente hors des normes est désapprouvée socialement, voire interdite par la loi et condamnée par la justice. 

Autrement dit, notre organisme, ce mélange admirable d’organes, d’émotions et de pensées, a besoin d’exprimer la colère quand elle apparaît pour maintenir son équilibre, mais notre environnement social, notre culture, brident cette expression. 

Personne ne veut cautionner cette violence. Et c’est normal. 

Quand une personne se met violemment en colère, c’est que sa tension intérieure a brisé, presque malgré elle, les digues de ce qui est convenable socialement.

Ces digues sont beaucoup plus fortes chez certaines personnes que chez d’autres. Elles se « retiennent » davantage. Mais ça ne signifie pas que leur colère est moins importante

… ça signifie qu’elle ne s’exprime pas. D’où l’émergence d’une farandole de troubles aussi bien psychiques que physiques, liés précisément à cette répression de la colère. 

On sait par exemple que les personnes introverties ont beaucoup de mal à exprimer leur colère, ou que les « faux calmes » sont des personnes d’un tempérament nerveux qui rongent leur frein quand ils sont en colère. 

Mais, quand on réprime trop, quand on « rentre » trop la colère, cela peut déboucher sur des maladies physiques très concrètes : cancer nous l’avons vu, mais avant cela angines à répétition, problèmes de foie ou de vésicule biliaire

La médecine chinoise a, depuis des siècles, admirablement compris, et même cartographié, ces correspondances entre maux émotionnels et maux corporels. 

Cette médecine peut vous sembler lointaine et exotique, mais un thérapeute en particulier est parvenu à expliquer – et traiter – cette correspondance entre émotions et maladies. Il s’agit de Michel Odoul, et vous pouvez retrouver ses explications lumineuses à ce sujet ici : 

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Comment exprimer sa colère ? 

Alors, comment laisser cette colère sortir, sans pour autant briser les normes de ce qui est socialement acceptable ni tomber dans la violence ? 

Parmi les solutions que propose Michel Odoul, il y en a une, assez simple, qui consiste à consigner, dans un cahier, ce qui vous met en colère, de façon à évacuer celle-ci[6].

Libre à vous, ensuite, de garder ces écrits pour vous, ou de les montrer à qui de droit. 

Une autre approche très à la mode est la CNV, ou Communication-Non-Violente, inspirée par Gandhi, et qui donne des clés pour exprimer ses émotions sans céder à ses pulsions[7].  

Parfois, cela suffit ; parfois, cela ne suffit pas. 

Combien de doléances rationnelles et pacifiques les agriculteurs ont-ils adressé au gouvernement avant de se résoudre à monter sur leurs tracteurs pour bloquer Paris, afin d’être enfin entendus ? 

L’histoire nous a maintes fois montré que, lorsque de bonnes personnes se mettent en colère pour de bonnes raisons, il y a un espoir que les choses changent. 

Et que donc, oui, la colère peut être une émotion positive. 

Et vous, que faites-vous pour exprimer et évacuer votre colère, sans pour autant envoyer valser la table basse du salon ? Vous pouvez me répondre en commentaire. 

Portez-vous bien,

Rodolphe


[1] « Mouvement des Gilets jaunes » wikipedia.org

[2] Pierre Ropert « Gilets jaunes : « Jacquerie », un terme condescendant et péjoratif » RadioFrance. 2018

[3] Hugo Mallais « CNEWS : pourquoi le logo de la chaîne est-il à l’envers depuis hier soir ? » Télé 7 jours. 2024

[4] Lise Roos-Weil « VRAI OU FAUX. Est-ce vrai que deux agriculteurs se suicident par jour en moyenne en France ? » Franceinfo. 2024

[5] Thomas SP, Groer M, et al. « Anger and cancer: an analysis of the linkages. » Cancer Nurs. 2000

[6] Sud Radio « Michel Odoul – « Toute colère non exprimée va se retourner sur le foie et la vésicule » » Youtube. 2022

[7] Marshall B. Rosenberg, « La Communication Nonviolente au quotidien  », éditions Jouvence