Chers amis,

Vous sentez-vous régulièrement seul ?

Et, surtout, souffrez-vous de ce sentiment ?

Nous connaîtrions, d’après un article paru dans « Le Monde » le week-end dernier, une « épidémie de solitude »[1].

Celle-ci serait même reconnue aujourd’hui comme un « problème de santé publique ».

Je salue le travail d’enquête effectué par les deux auteurs de cet article ; cependant, et c’est inquiétant, je trouve qu’ils ne voient pas l’éléphant au milieu du couloir.

Aussi néfaste que fumer 15 cigarettes par jour ?

Disons-le tout net : depuis le covid, tout est « épidémie », des feux de forêt jusqu’aux punaises de lit qui ont récemment affolé la presse et le gouvernement (je reviendrai très bientôt sur ce sujet avec une parasitologue, d’ailleurs).

Et les chiffres évoqués dans « Le Monde » donnent effectivement l’impression d’une maladie virulente qui progresse vite et fort, avec en France, 29% de personnes affirmant se sentir régulièrement seules, contre seulement 19% en 2020[2].

C’est dans un rapport publié le 2 mai dernier aux Etats-Unis et intitulé « notre épidémie de solitude et d’isolation », que l’expression a été employée pour la première fois par le Dr. Vivek Murthy, le « surgeon general » (l’administrateur de la santé publique) du pays[3].

Ce rapport présentait le problème de la solitude comme relevant non plus seulement de l’intime, mais désormais de la santé publique, établissant que la solitude était aussi néfaste sur la santé et l’espérance de vie que fumer 15 cigarettes par jour, augmentant le risque de :

  • Maladies cardiovasculaires ;
  • Démence ;
  • Infarctus ;
  • dépression ;
  • Anxiété.

Les méfaits de la solitude, toujours selon ce rapport, seraient plus importants que ceux de l’obésité et de l’absence d’activité physique.

Depuis lors, de nouvelles études ont été menées sur l’impact santé de la solitude, dont l’une établissait un lien fort (+37%) avec le risque de développer la maladie de Parkinson[4], et l’autre, révélait qu’elle altérait les fonctions cognitives[5].

La part croissante de personnes souffrant de solitude et la prise de conscience qu’il s’agit d’un facteur touchant non seulement la santé physique, mais la santé tout court, font de ce phénomène un sujet de préoccupation émergeant.

Ministère de la solitude

Ainsi il existe depuis peu, dans certains pays tels que le Japon et le Royaume-Uni, un « ministère de la solitude » – en réalité un secrétariat d’état, en ce qui concerne les Anglais.

Chez ces derniers, une commission d’enquête avait été organisée dès 2016 face à la part d’isolement de plus en plus importante constatée dans la population du pays.

Un rapport de l’OMS avance, quant à lui, la proportion d’une personne sur trois concernée par un sentiment de solitude dans le monde[6].

Autrement dit, le phénomène est en train de prendre de l’ampleur, et les pouvoirs publics de certains pays commencent à le considérer sérieusement.

Nous vivons une époque de l’humanité extrêmement paradoxale en apparence.

Il y a de plus en plus d’êtres humains sur la planète ; l’omniprésence d’internet et des smartphones ainsi que l’explosion des réseaux sociaux font de nous des êtres interconnectés en permanence….

… mais cette densification et cette numérisation, à l’échelle des populations, isole de plus en plus les individus, au lieu de les rapprocher.

Il n’y a, en réalité, rien de pire pour développer un sentiment d’isolement et d’exclusion chez l’individu, que la foule ; la foule anonyme noie et broie, quand une communauté à échelle plus humaine est, elle, capable de ressembler et de permettre à des liens de se tisser.

La technologie et la surpopulation ne sont cependant qu’une partie de l’explication.

Si nous en sommes là, c’est également pour des raisons politiques.

Un « bond » d’isolation sociale depuis deux ans

Si le phénomène a pris une ampleur inédite depuis deux ans, comme en témoignent les chiffres français dont j’ai parlé plus haut, ça n’est pas innocent : cela coïncide avec le covid.

Il est là, l’éléphant dans le couloir : les administrations et les médias qui alertent aujourd’hui sur « l’épidémie de solitude » ne se rendent pas compte qu’ils ont, sinon causé, du moins aggravé, cette épidémie.

La gestion politique et le traitement médiatique de la crise du Covid n’a en effet été, du début à la fin, qu’une démarche d’incitation à la distance et à la défiance des uns envers les autres.

Dès le début de la circulation du virus, la « distanciation sociale » a été présentée comme une mesure indispensable de survie à l’ensemble de la population.

Il fallait enfiler un masque, ne plus se serrer la main ni se faire la bise, maintenir une distance physique avec les autres, sous peine de contamination. Et je ne parle pas des confinements répétés qui, de facto, nous isolaient les uns des autres.

L’ensemble de ces mesures était, en gros, défendable d’un point épidémiologique, à court terme.

Le problème, c’est que les conséquences psychologiques n’ont pas été suffisamment anticipées, ni à moyen ni à long terme.

Et ce en particulier chez les deux classes de population les plus fragiles : les plus jeunes et les plus âgés.

« Dégâts collatéraux infinis »

L’un des premiers résultats de cette politique sanitaire à œillères (empêcher coûte que coûte la circulation d’un virus au mépris des autres dimensions de la vie et de la santé) a été une recrudescence inédite « des troubles anxieux, (…) des troubles du sommeil et alimentaires, une demande accrue d’anxiolytiques, et une augmentation des violences domestiques due à l’enfermement », comme le rappelle la psychologue Marie-Estelle Dupont[7], qui parle de « dégâts collatéraux infinis ».

Durant deux à trois ans, nos enfants ont évolué dans un environnement où le port du masque obligatoire et le gel hydroalcoolique après avoir touché l’autre étaient la norme.

Comment tisser des relations humaines saines dans ce contexte glaçant ? Les pédopsychiatres en sont toujours à cartographier l’étendue des dégâts sur leur développement. Pour beaucoup, c’est un traumatisme profond.

Les adolescents ont payé un tribut particulièrement élevé à cette politique de confinement et de distanciation sociale, qui s’est notamment traduite par une « explosion des gestes suicidaires[8] ».

Pour la génération ayant l’âge où la découverte du monde et de soi-même nécessite la rencontre et la fréquentation sociale ; où sortir, vivre ses premières expériences amoureuses, trouver sa place dans un groupe, sont constructifs ; la gestion politique de la crise du Covid a été une aberration insensée.

Le plus ironique, dans tout cela, est que l’on a coupé les ailes de cette génération au nom de la préservation d’une autre génération, celle des séniors… qui ont eux-mêmes immensément souffert de cette politique.

Les personnes âgées en EHPAD ont été mises à l’isolement officiellement pour les protéger ; cela les a peut-être protégées pour certaines du virus, mais cela les a éteints intérieurement.

Combien de grands-mères, de grands-pères, se sont peu à peu laissés gagner par le désespoir parce qu’ils ne pouvaient pas voir leurs enfants, leurs petits-enfants, leurs arrière-petit-enfants ?

« Vous êtes un danger pour vos aînés », disait-on aux plus jeunes.

« Vous êtes en danger si vous sortez et voyez du monde », disait-on aux plus âgés.

Nous sommes arrivés à cette situation aberrante où, pour leur « sauver la vie », on les privait précisément de leurs raisons de vivre.

Le plus abject et cynique dans cette affaire, c’est que cette solitude a servi de monnaie d’échange au consentement médical lors des campagnes d’injections anti-covid.

En fait, la vie sociale tout court a servi de monnaie d’échange.

Si vous refusiez l’injection, vous étiez de facto isolé, exclu ; mis au ban de la société, tout simplement.

Comment les médias et les gouvernements peuvent-ils aujourd’hui sans honte nous parler d’une « épidémie de solitude » alors qu’ils ont méthodiquement opéré une contrainte et un chantage sur la vie en société durant près de trois ans ?

Cette solitude a été organisée et cultivée. Cette exclusion sociale, encouragée et orchestrée.

Qui ne s’est pas brouillé avec un ami, un parent, un proche, durant le covid ?

Nos gouvernants et nos journaux mainstream ne sont pas seulement coupables de « laisser-faire », dans cette affaire : ils ont, sciemment et complaisamment, semé la peur (des uns des autres) et entretenu la discorde (des uns contre les autres).

Le résultat : cette « épidémie de solitude ».

D’une épidémie l’autre

Cette « épidémie de solitude » est ainsi, en grande partie, le fruit de la gestion politique et du traitement médiatique d’une autre épidémie, celle du covid.

Cela a été mené avec beaucoup de cynisme et d’inconscience, et les conséquences sont désolantes.

Avez-vous remarqué comme de nombreuses personnes continuent, aujourd’hui encore, à s’isoler en portant le masque ?

Avez-vous remarqué comme beaucoup ont eu du mal, et ont encore du mal, à réadopter ce geste simple qui consiste à tendre la main à quelqu’un ?

Le covid a engendré une génération de jeunes gens flippés, ayant peur de s’asseoir dans le métro à cause des punaises de lit, de s’agripper à une barre métallique à cause des germes, d’entamer un travail impliquant de côtoyer des collègues à cause de leurs microbes.

Là, il est vrai que la technologie ne nous aide pas ; je suis frappé, lorsque je prends le bus ou le métro, de voir non seulement ces jeunes, mais presque tout le monde en réalité, les yeux rivés sur son smartphone, parfois même encore plus enfermés dans leur bulle avec un casque, des écouteurs.

Que chacun vaque à ses occupations, écoute de la musique, soit ; mais cela se fait désormais sous une forme désespérante, où non seulement l’on ne se salue plus (depuis longtemps), mais l’on n’a même plus un regard pour la personne qui nous fait face, ou à côté de nous.

Pire encore, lorsqu’une parole est adressée, lorsqu’un regard est jeté, c’est souvent avec une certaine agressivité.

Nous savions que cette époque de distanciation sociale et de défiances laisserait des traces profondes : l’une de ces traces, c’est cette solitude pathogène et contagieuse.

Hyperconnectés et hyper isolés

Voyez-vous, j’aime la solitude. J’ai toujours été d’un tempérament solitaire. J’aime être seul pour lire, pour écrire, pour réfléchir, pour me promener, pour me ressourcer.

Mais c’est une solitude choisie, recherchée, précieuse : la plupart du temps je ne suis pas seul, mais entouré de ma femme, de mes enfants, de mes collègues, d’amis, de membres de ma famille, etc. Mes moments de solitude sont donc rares, et appréciés en tant que tels.

Être entouré et être aimé, c’est ce qui donne du sens et de la valeur aux moments de solitude.

La solitude qui s’est répandue sur tant de gens – sur vous, peut-être ? – est une solitude contrainte, nourrie tantôt par la peur, tantôt par l’incompréhension et, j’y insiste, aujourd’hui organisée.

Car les responsables politiques qui annoncent vouloir lutter contre la solitude et l’isolement sont, « en même temps », ceux qui organisent la téléconsultation médicale, la raréfaction du passage du facteur, la difficulté financière à prendre un train pour aller visiter sa famille.

Ils promeuvent une « société d’avenir » dématérialisée où vos interlocuteurs seront les robots d’une intelligence artificielle via un écran, plutôt qu’un être humain, de chair et d’os.

Les conséquences ? On les connaît déjà.

En juin, quatre enquêtes menées aux Etats-Unis, à Taïwan, en Indonésie et en Malaisie ont permis d’établir un lien proportionnel et sans équivoque entre la fréquence de l’interaction avec une intelligence artificielle et le fait de souffrir de solitude, d’insomnies et d’alcoolisme[9].

Autrement dit, cette « épidémie de solitude » est non seulement renforcée par la technologie, mais encouragée par… les autorités et les médias qui la dénoncent !!!

À présent, j’aimerais vous laisser la parole, en revenant aux questions que je vous posais au début de cette lettre : souffrez-vous de solitude ? Et si oui, est-ce nouveau ? Et que faites-vous pour lutter contre l’isolement ?

Répondez-moi en commentaire, je vous lirai avec attention.

Portez-vous bien,

Rodolphe


[1] https://www.lemonde.fr/intimites/article/2023/10/07/l-epidemie-de-solitude-reconnue-comme-un-probleme-de-sante-publique_6192910_6190330.html

[2] Ibid.

[3] https://www.hhs.gov/sites/default/files/surgeon-general-social-connection-advisory.pdf

[4] https://jamanetwork.com/journals/jamaneurology/fullarticle/2809774?guestAccessKey=be4c71ac-6088-46a4-8e8d-ab107159961a&utm_source=For_The_Media&utm_medium=referral&utm_campaign=ftm_links&utm_content=tfl&utm_term=100223

[5] https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25554219/

[6] Le Monde, art. cit.

[7] https://www.marieestelledupont.com/les-articles/confinements-le-cri-dalarme-dune-psy-sur-les-degats-collateraux-infinis

[8] https://www.liberation.fr/checknews/explosion-des-gestes-suicidaires-des-adolescentes-depuis-le-covid-un-phenomene-sans-frontiere-qui-demeure-inexplique-20221004_QMROD5TT4JEFTFLD5G2FAAWR2A/

[9] https://www.science-et-vie.com/article-magazine/travailler-avec-ia-nuirait-a-la-sante-mentale