Chers amis,

Je suis un grand usager, et amateur, de trains.

Je n’aime rien tant être assis, demi-rêveur, à la fenêtre d’un train, tandis qu’un paysage sans cesse changeant défile devant mes yeux.

Les trains sont des endroits parfaits pour lire, et pour écrire ; plusieurs des lettres que je vous ai écrites l’ont été dans un train, portées par cette dynamique continue et stimulante.

Dès que je voyage, je privilégie le train, et ce malgré les politiques tarifaires angoissantes et décourageantes de la SNCF, qui font du train une option parfois plus onéreuse que l’avion !

Malgré tout cela, je suis consterné et inquiet par l’initiative lancée par le gouvernement autrichien qui propose d’offrir un an de train gratuit… pour peu que vous vous fassiez tatouer.

L’enfer sur les rails des bonnes intentions

L’Autriche est à l’avant-garde de la renaissance des usages ferroviaires en Europe : c’est sous son égide qu’ont été relancées, depuis quelques années, plusieurs lignes de train de nuit constituant une alternative intéressante à l’avion pour rallier différentes grandes villes[1].

L’argumentaire promotionnel insiste sur l’aspect écologique auprès de l’usager : le « bilan carbone » d’un voyage en train est en effet moindre que l’équivalent en avion ou en voiture.

C’est précisément cet aspect promotionnel que le gouvernement autrichien a mis en avant dans son « offre » émise par sa ministre du Climat : en vous faisant tatouer le terme « KlimaTicket » (« ticket pour le climat ») sur la peau, vous avez le droit à un an de train gratuit[2]

L’initiative est pour le moins culottée, et d’un goût douteux de la part d’un pays où la conjugaison tatouage/train évoque de sinistres épisodes du passé.

Elle est également, hélas, représentative d’une tendance marquée des pouvoirs publics contemporains, qui n’hésitent pas, pour défendre ce qui est considéré comme une « bonne cause », à mettre en jeu la santé de leurs concitoyens.

Les risques pour la santé d’un tatouage

Les tatouages ne sont pas nés d’hier : ils sont pratiqués depuis des millénaires un peu partout sur la planète.

Il n’y a cependant plus grand’ chose de commun entre les tatouages géométriques réalisés en Polynésie avec des os et des dents de requin il y a 3000 ans, et la variété de motifs pop pratiqués par les tatoueurs aujourd’hui : ni les techniques, ni la signification.

Le tatouage était chez les Maoris, pour l’essentiel, un art rituel, pratiqué lors de passages décisifs et sacrés de l’existence, et réservé à des classes sociales très spécifiques.

Il a, jusqu’au XXè siècle, conservé ce statut chez des « populations » bien spécifiques : les marins, les prisonniers russes, les Yakuza japonais ou encore les motards. C’était un signe d’appartenance sociale très fort. Être tatoué, c’était appartenir à un groupe, être « un dur ».

Aujourd’hui, le tatouage s’est très largement démocratisé, et il est particulièrement populaire chez les plus jeunes : plus d’un quart des 18-24 ans en France ont un ou plusieurs tatouages[3].

Les femmes seraient par ailleurs plus nombreuses à se faire tatouer que les hommes ; bref, ce n’est plus ni un signe de virilité, ni un signe d’appartenance à un groupe de durs à cuire, c’est littéralement une mode.

Sauf que cet effet de mode s’accompagne d’une recrudescence de problèmes de santé.

L’Institut national de santé publique du Québec a recensé, sur son site, les problèmes de santé liés au tatouage : il s’agit, pour la majeure partie, de risques d’infections bactérienne (notamment à staphylocoque) et virale, liés aux plaies ouvertes durant l’introduction des pigments dans le derme, puis pendant la cicatrisation[4] :

  • Inflammation ;
  • Impétigo ;
  • Érysipèle ;
  • Furoncles ;
  • Verrues ;
  • Hépatites B et C ;
  • Etc.

Ces risques sont censés être amoindris avec une bonne hygiène.

Cependant, en 2017, une étude révélait des effets à long terme du tatouage plus préoccupants sur la santé humaine.

Des encres qui contaminent durablement les ganglions lymphatiques

Tous les méfaits que je citais plus haut ne se rencontrent pas avec le henné, et étaient vraisemblablement rares chez les Maoris.

Le gros problème des tatouages modernes, ce sont les encres utilisées.

Dans les sociétés traditionnelles qui pratiquaient le tatouage, les pigments étaient d’origine naturelle.

Aujourd’hui, il s’agit de composés chimiques et industriels, difficilement traçables : et ce sont ces produits que le tatouage fait pénétrer dans votre organisme, en franchissant à dessein la plus importante de vos protections contre les germes, votre peau.

En 2017, une étude publiée dans Scientific Reports révélait que les nanoparticules des encres de tatouage, loin de se disparaître avec le temps, circulaient dans le système lymphatique et finissaient par coloniser les ganglions lymphatiques[5].

On savait déjà que les particules toxiques des encres de tatouage modernes, comprenant notamment des métaux lourds et du dioxyde de titane, rentraient dans l’organisme suite à l’opération ; ce que nous a appris cette étude de 2017, c’est qu’elles y restaient.

Or les dangers associés à une présence prolongée de telles particules dans l’organisme sont bien connus : le cancer.

Un an gratuit de train contre un risque accru de diagnostic de cancer

En promettant un an de train gratuit contre un tatouage, le gouvernement autrichien a-t-il conscience des risques pour la santé qu’il fait courir à ceux qui se laisseraient séduire par son offre absurde et choquante ?

C’est ici une vraie question morale qui se pose.

Des pratiques à risque, nous en connaissons plein : le tabagisme, la malbouffe, l’alcoolisme…

Les personnes qui fument régulièrement, mangent plus d’une fois par semaine une alimentation ultra-transformée ou abusent de la bouteille, en principe, le font en sachant les risques qu’ils font subir à leur santé : ils sont adultes, et agissent en leur âme et conscience.

Mais vous remarquerez que les pouvoirs publics agissent pour réduire et restreindre ces pratiques mortifères : soit en communiquant sur leurs dangers, soit en légiférant.

Dans le cas de l’initiative autrichienne, nous sommes dans le cas de figure ahurissant où un gouvernement promeut une pratique littéralement toxique.

Pour défendre une « bonne cause », le gouvernement autrichien est prêt à mettre en gage la santé de citoyens suffisamment aveugles pour céder à ce chantage infantilisant : « si tu te tatoues ce mot, tu voyageras gratuitement » !

Une injection contre une bière : la santé humaine, une valeur marchande

Cela ne vous rappelle rien ?

Oui, bien sûr : au début des campagnes de la vaccination Covid, et avant que celle-ci ne devienne quasi-obligatoire, nous avions vu de tels chantages se multiplier autour du monde.

Rappelez-vous : à Paris et Bordeaux, à l’été 2021, des bars « récompensaient » une personne s’étant fait vacciner en lui offrant… une pinte de bière[6].

La même promesse était faite dans plusieurs états américains, ainsi que d’autres plus spectaculaires : un billet gratuit pour une tombola permettant de gagner un million de dollars, ou des études gratuites, pour les plus jeunes[7].

Un joint de marijuana ou un fusil offert… Les Etats-Unis ont tout essayé, je crois.

En Europe, nous n’étions pas en reste : chaque jeune citoyen grec vacciné se voyait immédiatement gratifié de 150 euros[8] !

C’est la corruption normalisée, institutionnalisée.

L’initiative autrichienne repose sur le même principe que ces « incitations à la vaccination » de sinistre mémoire : d’une part elle « monnaye » par des cadeaux l’approbation et la participation de la population à une « bonne cause ».

D’autre part, elle met en gage la santé individuelle des citoyens en les incitant à une intervention sur leur corps, définitive.

Mais le pire, nous le savons : c’est que cette politique éhontée de la « carotte »… précède en général celle du bâton.

On vous propose d’abord une bière gratuite… et ensuite on conditionne toutes vos entrées dans un café, dans un restaurant, dans un cinéma ou dans un train à ce « petit geste qui sert une grande cause ».

Portez-vous bien,

Rodolphe


[1] « Comment l’Autriche a fait renaître les trains de nuit en Europe », Alternatives économiques, 5 août 2022 ; disponible ici : https://www.alternatives-economiques.fr/lautriche-a-renaitre-trains-de-nuit-europe/00104115

[2] « L’Autriche offre un an de transports gratuits à condition… de se faire tatouer », Slate.fr, 28 août 2023 ; disponible ici : https://www.slate.fr/story/252303/tatouage-autriche-offre-transports-ecologie-festival-gratuit-klimaticket

[3] « Le tatouage, un art primitif devenu populaire », leMonde.fr, 10 mars éà& ! ; disponible sur : https://www.lemonde.fr/culture/article/2018/03/10/le-tatouage-un-art-primitif-devenu-populaire_5268864_3246.html#:~:text=L’origine%20du%20mot%20vient,1%20300%20ans%20avant%20JC.&text=Un%20rite%20durant%20lequel%20on,requin%20et%20des%20os%20taill%C3%A9s.

[4] « Risques à la santé associés à la pratique du tatouage », inspq, 7 avril 2007 ; disponible ici : https://www.inspq.qc.ca/bise/risques-la-sante-associes-la-pratique-du-tatouage#:~:text=En%20r%C3%A9sum%C3%A9%2C%20la%20pratique%20du,%C3%A0%20une%20asepsie%20souvent%20d%C3%A9ficiente.

[5] Schreiver, I., Hesse, B., Seim, C. et al. Synchrotron-based ν-XRF mapping and μ-FTIR microscopy enable to look into the fate and effects of tattoo pigments in human skin. Sci Rep 7, 11395 (2017). https://doi.org/10.1038/s41598-017-11721-z

[6] https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/a-paris-et-bordeaux-ce-bar-offre-une-pinte-de-biere-aux-clients-vaccines-contre-le-covid-19_AD-202106180334.html

[7] https://www.ouest-france.fr/monde/etats-unis/covid-19-tombola-bourses-les-incitations-a-la-vaccination-se-multiplient-aux-etats-unis-25128da4-c6dd-11eb-aa48-6742d323d76b

[8] https://www.tf1info.fr/international/video-des-plus-farfelues-aux-plus-radicales-les-incitations-a-la-vaccination-se-multiplient-a-travers-le-monde-2192591.html