Double mastectomie : une solution radicale… parfois inutile

Chers amis,

Voici longtemps qu’Angelina Jolie ne fait plus la une des journaux pour son actualité cinématographique, mais pour sa vie privée. 

En 2013, bien avant de créer la surprise en se séparant de son célèbre compagnon, la star hollywoodienne a fait parler d’elle en affichant publiquement sa décision de se séparer d’une partie de son corps, et pas n’importe laquelle : sa paire de seins. 

L’opération, une double mastectomie, n’a évidemment rien d’anodin : dans le cas de Mme Jolie, il s’agissait de prévenir l’apparition d’une forme agressive de cancer du sein à laquelle elle était génétiquement prédisposée (sa tante en est morte).

Elle a plus tard décidé, pour les mêmes raisons préventives, de subir une ovariectomie, c’est-à-dire une ablation des ovaires (sa mère et sa grand-mère maternelle sont toutes deux décédées d’un cancer de l’ovaire). 

Ce qui est encore moins anodin, c’est la véritable démarche de communication entreprise par Mme Jolie pour annoncer au monde ses opérations chirurgicales préventives, à coups de tribunes publiées dans le New York Times ! 

On ne sait trop si cette décision d’envoyer à toute la planète son bulletin de santé témoignait d’une authentique philanthropie en se posant en exemple de courage aux femmes du monde entier, ou bien d’une volonté de damer le pion à la presse people qui aurait tôt ou tard révélé la chose ; probablement un peu des deux. 

Quoi qu’il en soit, cette démarche publicitaire et volontaire a eu des effets sonnants et trébuchants… et à double tranchant (sans jeu de mots) : en novembre dernier, le British Medical Journal révélait que la publication de la tribune de 2013 avait fait significativement bondir le nombre de dépistages de cancers du sein, avec un pic à 64% de dépistages supplémentaires dans les quinze jours ayant suivi la publication[1] !!!  

Bien que cette même étude que la tribune d’Angelina Jolie n’a en revanche pas entraîné de « mode » de la mastectomie, une autre étude, parue le 21décembre 2016 dans JAMA Surgery (la partie « chirurgie » de l’association médicale américaine) pointe un fait pour le moins troublant : près d’une femme sur cinq choisit de subir une mastectomie… alors que l’opération n’influe pas ses chances de survie

En fait, à moins d’être porteuse d’une mutation génétique comme celle d’Angelina Jolie ou d’un cancer du sein avancé, la mastectomie est purement et simplement inutile

Les chercheurs se sont intéressés à des patientes dont un seul sein était touché par un stade précoce de cancer : dans ces cas-là, à moins que le risque de développer une tumeur dans l’autre sein soit avérée, l’ablation du sein sain ne présente aucun avantage médical, c’est-à-dire qui n’a aucune influence sur une éventuelle rechute, ou même sur l’espérance de vie de la patiente

Sur les 2 402 femmes ayant participé à l’étude, 43,5% ont déclaré savoir qu’une double mastectomie aurait des effets nuls ; 17% pensaient que l’opération serait bénéfique ; 39,5% n’en savaient rien[2]

Le plus intéressant dans cette affaire, c’est que les patientes étaient beaucoup plus nombreuses à décider d’une double mastectomie lorsqu’elles ne recevaient pas d’avis (pour ou contre) sur cette opération d’un chirurgien

Et parmi celles qui avaient choisi de subir cette opération, 96% ont déclaré l’avoir fait… pour avoir l’esprit tranquille !

C’est un placebo payé au prix fort ! 

Les chercheurs suggèrent à l’issue de leur étude que cette importante proportion de mastectomies chez des femmes qui cette amputation n’était pas nécessaire trouve deux explications : d’une part la publicité faite à l’opération, leur laissant croire qu’il s’agit d’une solution radicale les protégeant de toute récidive, et d’autre part le manque de clarté des médecins quant aux tenants et aboutissants de l’opération. 

La mastectomie est un sacrifice difficile : raison de plus pour ne pas le faire inutilement.

Portez-vous bien,

Rodolphe



[1] Do celebrity endorsements matter? Observational study of BRCA gene testing and mastectomy rates after Angelina Jolie’s New York Times editorial

[2] Contralateral Prophylactic Mastectomy Decisions in a Population-Based Sample of Patients With Early-Stage Breast Cancer