Chers amis,
Je ne vous parlerai pas de la guerre en Ukraine. Ce n’est pas mon rôle, je ne m’estime ni compétent, ni légitime pour le faire.
Que je me sente obligé de vous l’écrire est en soi symptomatique d’une autre chose, dont je veux vous parler : le fait même que tout le monde en parle.
Une guerre est un événement grave. En Europe, cela réveille des traumatismes que l’on croyait placardés au XXè siècle. Et voilà qu’ils ressortent en plein jour, au XXIè siècle.
Aussi paraît–il normal que « tout le monde en parle », tout le temps.
Mais est-ce une bonne chose pour autant ? Et surtout : de cette façon ?
Obsession, contagion, saturation
J’ai lu une bonne plaisanterie sur internet :
« Poutine vient de stopper net la plus grave pandémie depuis un siècle. Il mérite le Prix Nobel de médecine. »
Cette blague illustre le fonctionnement actuel des médias, mais aussi de la politique, de l’opinion publique et sans aucun doute d’une partie de nous-mêmes.
Le Covid a disparu de l’espace médiatique. De l’espace politique. De l’espace public. Ça n’est plus un sujet de préoccupation pour personne semble-t-il.
Mais le Covid a-t-il pour autant disparu tout court ? Non.
A-t-il cessé de circuler ? Pas davantage.
Objet d’inquiétude universelle, le Covid est devenu quasi anecdotique.
D’une certaine façon, c’est une bonne nouvelle : cela remet ce virus à la place qui est la sienne, c’est-à-dire celle d’un pathogène parmi d’autres affectant le quotidien et la santé des gens.
Je dis bien d’une certaine façon… Car l’espace mental des gouvernants au pouvoir, des présentateurs télé, des rédacteurs de « factchecking » et de la plupart des gens a simplement substitué un sujet d’obsession à un autre.
On observe avec l’offensive russe en Ukraine exactement la même sidération, la même dramatisation de l’actualité, la même saturation de l’espace médiatique.
Avec, au final, le même résultat : la création d’un climat anxiogène façon rouleau-compresseur, qui emporte et écrase tout sur son passage.
Mouvements de foule numériques
Un mouvement de foule c’est, brusquement, la transformation d’un groupe de gens en masse, réagissant de façon irrationnelle, mue par des émotions primaires (la fuite, la survie ou l’envie, l’avidité).
Dans sa version amusante, c’est la ruée vers les soldes de janvier dans les magasins ; dans sa version dramatique, c’est une bousculade dans un stade qui fait des morts.
Un chercheur en sciences cognitives de l’Institut Max-Planck de Berlin, Mehdi Moussaïd, a publié il y a trois ans un excellent livre à ce sujet, intitulé Fouloscopie[1].
Le chercheur explique les bousculades meurtrières, analyse la façon de circuler des piétons (qui diffère d’un pays à l’autre), ou pourquoi les « mouvements de foule », loin d’avoir déserté nos sociétés avancées, sont des phénomènes plus forts que jamais.
J’ai lu ce livre à sa publication, un an avant l’épidémie de Covid. Il a contribué à me faire comprendre ce qui s’est passé quelques mois plus tard : comment la peur obsessionnelle d’un virus a non seulement déclenché des mesures parfois disproportionnées, mais surtout avec l’approbation d’une majorité de personnes.
Un acteur nouveau de notre vie sociale décuple ce phénomène : les réseaux sociaux.
Facebook, twitter et consorts sont des outils puissants, ni bons ni mauvais en soi, mais qui ont le pouvoir de rendre virales certaines informations et émotions. Exactement comme un virus.
C’est ce que l’on appelle la contagion émotionnelle ; les réseaux sociaux sont un incroyable tremplin pour ce phénomène.
Le virus invisible et la guerre lointaine
Or la peur est sans doute la plus puissante des émotions contagieuses, car elle interpelle notre instinct de survie. Nous avons peur parce que notre existence est menacée.
De façon parfois justifiée (il vaut mieux avoir peur d’un inconnu qui s’avance vers vous, un couteau à la main), et parfois injustifiée (s’enfuir à la vue d’une araignée quand on ne vit pas dans un pays tropical).
La peur a joué un grand rôle durant l’épidémie de Covid.
L’égrenage des morts quotidiennes à la radio et à la télé, le caractère initialement inconnu du virus, le discours martial d’Emmanuel Macron (déjà !), tout cela a contribué à envoyer, aux tous débuts de l’épidémie, des centaines de milliers de nos concitoyens à… vider les stocks de papier toilettes des supermarchés.
Le Covid était idéal pour provoquer cette « contagion de la peur ». Car nous gardons, ancrée en nous, une peur héréditaire des grandes épidémies de peste, de choléra ou de grippe espagnole qui ont décimé nos ancêtres.
Atout suprême du Covid : il est invisible. Il peut se trouver n’importe où, dans la trachée de votre collègue, sur la rampe d’un escalator, sur les lèvres de votre partenaire.
Il est peut-être là et vous ne le voyez pas. C’est un puissant ressort pour modifier le comportement d’un individu… et d’une population.
Le brouhaha autour de la guerre en Ukraine repose, à mon avis, sur des ressorts similaires.
Une guerre en Ukraine est bien en train d’avoir lieu. Des soldats russes et ukrainiens sont en train de se battre, des civils sont jetés sur les routes de l’exil, des familles sont détruites, des innocents sont tués.
Mais cette guerre, à moins d’être vous-même un soldat russe ou ukrainien, ou reporter de guerre, vous ne la vivez pas.
Elle est là… et pas là à la fois. Vous n’entendez pas de bombe siffler autour de vous. Votre voisin ne s’est pas fait tuer par une balle perdue. Votre fils de 21 ans ne vient pas d’être mobilisé pour tirer sur des gens.
Vous la voyez par procuration au journal télévisé, à la Une des journaux, sur les réseaux sociaux.
Cela ne minimise pas le caractère dramatique de ce qui est en train de se jouer en Ukraine !
Mais après tout… nous voyions déjà à la télévision la guerre en Afghanistan, la guerre civile en Syrie, et en réalité presque toutes les guerres médiatisées depuis la guerre du Golfe.
Pourquoi cet effroi collectif, cette inquiétude généralisée au sujet de cette guerre-ci ?
Drogués à la peur
La réponse serait que cette guerre se produit en Europe. Et que, donc, la guerre est à nos portes.
Mais les guerres de Bosnie et du Kosovo se produisaient elles aussi en Europe. Bien plus près de nous que l’Ukraine. Les bombardements de Belgrade par l’OTAN ont eu lieu il y a à peine plus de 20 ans. Et pourtant, personne à l’époque ne frémissait alors à cette idée que ça pourrait bientôt être notre tour.
« Oui, mais Poutine, il a l’arme atomique ».
Certes. Et il faut prendre au sérieux cette menace. Mais là encore, voilà plus de vingt ans que Vladimir Poutine est à la tête de la Russie. Il a entretemps attaqué la Géorgie et envahi la Crimée, sans pour autant inquiéter l’Occident.
Alors, quoi ?
Je formule cette hypothèse : le Covid nous a fait prendre un curieux et mauvais pli, nous habituant à la peur. Il nous a peut-être même drogués à la peur.
Je ne dis pas que cela concerne tout le monde. Mais chez beaucoup d’entre nous, il y a une forme de plaisir à pressentir une catastrophe… et à la voir arriver.
Peut-être parce qu’une partie de nous aime avoir peur, frissonner. Le succès durable des films d’épouvante, des romans horrifiques, etc., en est une illustration.
Et voilà le problème : depuis deux ans, le traitement médiatique et politique de l’actualité est un interminable feuilleton dont les ressorts dramatiques reposent quasi uniquement sur la peur.
Pourquoi en est-on arrivés là ?
La société de la peur
La peur a des avantages pour un petit nombre de profiteurs, et je ne parle pas seulement des prophètes de l’apocalypse, ni de ceux qui se présentent comme les « hommes de la situation ».
Systématisée, la peur permet aussi de faire de bonnes affaires : elle fait gagner de l’audimat aux chaînes d’info, elle transforme les populations en pâte à modeler prête à accepter n’importe quel sacrifice au nom de sa sécurité.
Cela a de graves conséquences sur notre équilibre émotionnel, mais aussi social.
La peur brise votre volonté. Casse vos espoirs. Déchire votre famille, avant même que le danger que vous redoutiez se produise, si toutefois il se produit.
Elle fait perdre la tête, coupe le souffle et attaque votre cœur.
Je dis cela au sens littéral du terme : la peur rend malade. Elle est immunosuppressive. Elle épuise votre organisme, affaiblit peu à peu vos défenses immunitaires, vous rend plus fragile.
Autrement dit, hormis face à un danger immédiat, la peur ne vous protège pas, au contraire elle vous affaiblit et vous expose à d’autres dangers que vous ne voyez plus.
Cela fait maintenant deux ans que nous vivons, en tant que peuple, dans la peur.
Deux ans, c’est beaucoup. C’est trop. Nous ne pouvons plus continuer ainsi.
Avec l’Ukraine, le cycle semble se prolonger. L’objet change, la peur reste.
Ensuite, ce sera quoi ? L’inflation ? Le chômage ? La dysenterie ? La fin du monde ?
J’aimerais conclure sur un appel. Celui d’essayer de nous débarrasser de cette peur. De faire en sorte qu’elle ne dicte plus nos existences. Sans illusion ni désillusion : tout simplement pour retrouver notre sang-froid, notre jugement et notre dignité.
Portez-vous bien,
Rodolphe
[1] Moussaïd, M. (2019). Fouloscopie, ce que la foule dit de nous. Humensciences. EAN : 9782379310126.
Les lecteurs lisent aussi...
Réveil à 4 heures du matin
Les changements de saison affectent notre santé
Touchez-vous les uns les autres
Répondre à Anne Annuler la réponse
En soumettant mon commentaire, je reconnais avoir connaissance du fait que Total Santé SA pourra l’utiliser à des fins commerciales et l’accepte expressément.
Merci pour votre excellente analyse. Depuis le Covid j’évite au maximum les infos-toxiques. Mon entourage est étonné, car je ne suis jamais au courant des dernières mauvaises nouvelles au moment M qui finissent finalement par m’arriver de toute façon. Je ne suis sur aucun réseau et cela ne me manque nullement. De nature très sensible (ce n’est pas un avantage) je me protège. Comme vous l’écrivez si bien, les bombes ne tombent pas sur ma maison. Évidemment je ne minimise en rien ce qui arrive en Ukraine. La guerre n’est pas un jeu video et les morts sont pour de vrai. C’est abominablement triste, mais quel est notre moyen d’action à part les aides humanitaires ?
Notre force est de ne pas se laisser entraîner par la peur dans cette débauche d’images et sûrement de fakenews .
Je fais souvent suivre votre lettre. C’est exactement ce que je pense analysé et rédigé bien mieux que je ne le ferais.
Encore merci.
PS Idem pour le pass-sanitaire.
Bonjour,
Je partage totalement votre pensée livrée dans votre article sur l’Ukraine.
Notre vécu à mon mari et moi est de cesser d’écouter les journalistes que ce soit via radio ou télévision et ce depuis au moins 5 ans. Nous nous sommes mis à l’abri des nouvelles anxiogènes distillées à longueur de journée.
Néanmoins, les nouvelles nous arrivent quand même, nous ne sommes pas coupés du monde.
On peut donc vivre « sans ». La vision des évènements est la nôtre et non celle de tel organe médiatique qui aura matraqué heure par heure et aura à la fin, via l’interview de son propre journaliste vedette livré « son décryptage » aux auditeurs sans doute trop bêtes pour se faire une opinion!
Pour connaitre une géorgienne qui a fuit son pays avec sa famille, j’étais déjà informée et n’avais pas besoin d’avoir l’avis plus que tardif de nos politiques.
La tempête dans un verre d’eau de nos politiques n’empêchera pas Monsieur POUTINE d’avoir son accès à la mer et de continuer une politique qu’il a initié il y a bien longtemps.
Ce n’est pas seulement la peur qui habite la France comme beaucoup d’autres pays, c’est aussi la conviction instillée au citoyen qu’il n’est pas capable de décider par lui-même et qu’il doit en référer à plus compétent et ce pour tous les actes de sa vie. On flatte ainsi la partie la moins noble de l’homme soucieux de son confort et de sa tranquillité, désireux d’être comme tout le monde. La peur et la lâcheté, tel est le cocktail servi actuellement.
Vous avez à un moment demander aux lecteurs de vous livrer leurs solutions.
Ce que je fais actuellement est de transmettre à mon entourage un maximum d’information non filtrée ni corrompue. J’ai dernièrement fait circuler un article intitulé » la résistance à l’oppression, droit fondamental ou principe philosophique… » de François JACQUOT, un avocat.
Je tâche de faire passer le message qui est que le citoyen doit reprendre sa place: Parents, médecin ou soignant, restaurateur, gardien de musée, juge, avocat, élu etc… et de faire son travail et d’agir dans sa sphère de compétence et non pas se contenter d’obéir aux ordres, chacun doit reprendre sa place, ce sera déjà beaucoup. Et cela, sans peur et sans crainte!
Super bien écrit et inspirant!! Bravo!!
Bravo. Puissante analyse que cette identification de la phobo-addiction. Plus puissante que la cocaïne ?? A voir mais pas impossible. En tout cas, ça tombe à pic pour Macron. Qui va prendre le risque de changer de général en chef en plein effroi ??
Merci pour cet article, remettre les choses à leur places. Et arrêter de se laisser manipuler par la peur cette émotion destructrice..
Ce que vous dites est vrai mais n’explique rien.
Perso, je ne suis aucunement inquiet pour moi et ma famille, je réfléchis juste ….. qu’un seul malade puisse emmerder et faire autant souffrir un peuple entier tourné vers un avenir démocratique est révoltant, et que faire chacun à notre niveau ?
Nous on participe à une grosse livraison de choses utiles avec quelqu’un sur place qui va récupérer et redistribuer….. il faut en parler.
Merci ! Du concret, du bon sens et discernement sur les situations actuelles, fonctionnement anxiogène. Ça fait du bien cette invitation à rester les pieds sur terre quand tout est invitation à la folie !
Merci.
Pour ma part mon cap c’est rester dans la confiance et la réalité !
Merci pour vos propos. Ils me parlent. Les précédents aussi. Je ressens en effet en moi cette tres forte anxiété liée d’abord à mon histoire mais qui depuis est entretenue par les décomptes de morts, sur les écrans, la vue de ces horreurs (qui me sautent aux yeux et aux oreilles malgré moi, entre deux stories facebook) et la culture de la peur.
Je suis en quête de solution pour m’en défaire et avoir un quotidien plus serein.
Merci pour vos écrits.
Merci de votre article plein de pertinence et de bon sens ! Sommes nous encore capable de réfléchir ??? La question reste posée…
Oh oui, je suis convaincue des effets ultra rapides de la peur , qui est nourrie, et grossie donc, (overdose pour ma part )! Avant le » C truc » les attentats …. et cependant à Madagascar les gens sont menacés dans leurs besoins vitaux et meurent de malnutrition idem en Asie et tant d’autres catastrophes humanitaires qui durent … pour autant qu’elles restent loin de nos portes … on les ignore…
le monde change tous nous sommes concernés et il est temps d’être dans l’entre aide et arrêter les violences qui entrainent la montée de la violence…
Alors oui, je me retire de ces médias de ces jugements …
Enfin, un article sensé. Vous faites partie des sages de ce monde avec vos articles plein de bon sens et d’espoir.
Ce monde que l’on nous impose n’est pas celui dont j’avais rêvé pour ma descendance.et celle des autres.
Nos anciens craignaient pour notre avenir et nous avons survécu et avancé.
Pourquoi faut-il que nos dirigeants mondiaux se mettent à imiter ces anciens tout en sachant que certains incrédules boiront leur paroles tant ils croient en leur protection ???
Je crois en la clairvoyance de notre jeunesse pour ne pas tomber dans ce piège funeste et en ces hommes plus matures, dont vous faites partie, qui ouvrent les yeux et permette à ces jeunes de réfléchir …..
Merci pour vos articles plein de bon sens
Gene
Bonjour
Merci pour cet article très positif
Merci Rodolphe pour cette analyse Oh combien raisonnable ! Il faudrait beaucoup de voix comme la vôtre.
Très bon article et analyse, merci. Je suis complètement d’accord sur le côté obsessionnel qu’on les medias à traiter les sujets. Et j’ajouterai même, qu’en plus de focaliser toute la puissance médiatique sur un sujet, les medias, de plus en plus désigne ouvertement un camp du bien et un camp du mal. « pour ou contre le vaccin », « pour ou contre le pass sanitaire », « pour ou contre Zemmour », « pour ou contre Poutine »… Poussant les gens bêtement à choisir le camp du bien pour se sentir du bon côté sans même analyser la situation, le sujet par eux même et avoir un avis personnel en fonction de son vécu, ses convictions, ses idées… Dans mon entourage j’ai plusieurs fois fais l’expérience de creuser un peu des sujets avec des proches et quasi systématiquement il n’y a pas de raisonnements personnels sur leur prise de position tranchée. Tout repose sur du « oui mais à la télé on dit ça », « j’ai vu que, j’ai entendu que… » Les gens ne sont plus curieux et ne vont plus vraiment chercher l’info eux même, recouper plusieurs sources, analyser de façon objective, comprendre le sujet. Ils prennent des positions tranchées sur des bribes d’infos martelées et se sentent rassurés d’être du bon côté de la pensée. Ça rejoint sûrement votre analyse sur la peur. C’est peut-être très rassurant pour bcp de se dire qu’ils sont d’accord avec tout ce qu’on leur sert mediatiquement sans trop chercher plus loin. Sentiment renforcé par le fait qu’il y a à chaque fois des « méchants tout désignés, incarnés par très peu de personnes qui réfléchissent vraiment et vont des fois à contre courrant de la pensée unique. Le monde n’est pas binaire et il est très enrichissant de ne pas prendre pour argent comptant ce que les medias nous donnent et se forger sa propre opinion personnelle et construite.
Merci pour cette lettre Rodolphe. Cela fait du bien de vous lire. Vous exprimez ce que je ressens beaucoup mieux que je ne saurais le faire et je me sens moins seule, à batailler contre un entourage qui ne réfléchit pas assez à mon goût. Vous me donnez des arguments et des formules percutantes, dans une grande clarté des idées, merci !