Chers amis,

Le toucher est un sens dont nous commençons seulement à comprendre l’importance primordiale… parce que la crise du Covid nous en a en grande partie privé.

Depuis un an les « gestes barrière »,
la quasi-criminalisation des contacts physiques,
l’interdiction de prendre ses proches dans ses bras en Ehpad,
la prohibition des poignées de main,
le bannissement des bises,
ont des conséquences désastreuses sur notre santé psychique. Et sur notre santé tout court !

C’est le cri d’alarme poussé par plusieurs scientifiques dans l’excellent documentaire Le Pouvoir des caresses, diffusé il y a quelques semaines sur Arte.

Je vous invite à voir cette émission en « replay » sur le site de la chaîne jusqu’au 31 mai[1].

Le fait d’interdire aux êtres humains de rentrer en contact physique les uns avec les autres, disent ces scientifiques, est une situation inédite dans l’histoire des primates.

Elle est responsable d’une hausse ahurissante de troubles psychiques et du taux de dépression dans le monde depuis un an.

Il manque bel et bien quelque chose à notre humanité, que seules des mains bienveillantes peuvent nous apporter. Et pas les visioconférences, pas le télétravail, pas le tout-virtuel.

Ces scientifiques parlent de « pandémie de solitude de masse » provoquée par ce phénomène. Car, oui, la carence en contact physique ferait dépérir l’être humain.

Nous sommes modelés par les mains qui nous aiment

La place du contact physique et de la caresse commence à notre naissance : les caresses de nos parent et de ceux qui nous aiment, cela a été prouvé scientifiquement :

  • régulent notre température ;
  • stabilisent notre respiration ;
  • régulent notre glycémie ;
  • nous permettent de percevoir les limites de notre corps ;
  • stimulent notre croissance ;
  • conditionnent notre développement cognitif.

Des études sur nos cousins primates les plus proches – les chimpanzés – ont révélé qu’un déficit de contacts physiques dans les premiers mois de la vie entraînait des conséquences dramatiques : les bébés chimpanzés qui ne reçoivent pas suffisamment de caresses de leurs parents meurent au bout de quelques semaines.

Et ceux qui survivent à ce manque de caresses gardent des séquelles à vie :

  • retard du développement, notamment cognitif ;
  • altération de la croissance ;
  • faible système immunitaire ;
  • incapacité à mémoriser.

Mais, même passée la petite enfance, le contact physique, bienveillant, reste un ingrédient capital de notre santé.

Il serait même l’une des raisons expliquant la plus grande longévité des personnes vivant en couple, comparées à celles vivant seules.

Le langage des caresses… et la recette de la caresse idéale

Les bienfaits des caresses dépendent également de qui nous les prodigue.

Il ne suffit pas de se caresser soi-même pour profiter des bienfaits santé des caresses : nous avons besoin des autres pour cela.

Les recherches menées par l’équipe de Rebecca Böhme en Suède nous expliquent par exemple un phénomène que vous connaissez tous : pourquoi on n’arrive pas se chatouiller soi-même.

La réponse est simple et complexe à la fois : lorsque quelqu’un nous touche, le stimulus physique n’emprunte pas les mêmes circuits cérébraux que lorsque nous nous touchons nous-mêmes[2].

Par exemple, nous ne nous rendons même pas compte que nous nous touchons le visage plusieurs centaines de fois par jour.

Alors que si quelqu’un d’autre nous effleure le visage, nous le sentons immédiatement !

L’équipe d’Hakan Olausson de l’université de Göteborg a découvert un type de terminaisons nerveuses spécifiquement dédiées au contact avec l’autre.

Situées dans les zones pileuses, le dos et les avant-bras, ces « fibres du toucher-caresse » appelées nerfs CT envoient leurs signaux électriques en direction de l’insula postérieure, une petite région du cerveau essentielle au déclenchement des émotions positives[3].

Quand ces fibres sont stimulées par une caresse, elles font naître une sensation de plaisir diffus.

C’est progressif, car à la différence des autres fibres du toucher qui envoient leurs signaux aux zones spécialisées du cerveau à 240 km/h, celles du toucher affectif les émettraient à la vitesse de… 3 km/h !

A chaque fois qu’une main étrangère rentre en contact avec notre peau, un mécanisme de « lecture » se met inconsciemment en branle dans notre corps, pour interpréter l’intention de celui ou celle qui nous touche : est-ce un geste d’amitié ? De désir ? De consolation ?

Les chercheurs ont découvert que la caresse idéale est effectuée à une vitesse de plus ou moins 2,5 cm par seconde, avec une pression modérée et par une main affichant une température équivalente à celle du corps caressé, soit entre 32 et 34 degrés.

Tant de science sur la caresse ne manquera pas de vous faire sourire…

Les caresses sont plus consolantes que les mots… et sont d’excellents antidouleurs

Vous avez probablement déjà entendu parler de l’ocytocine, que l’on appelle l’hormone de l’amour.

Caressé par une main aimante, notre corps en sécrète immédiatement, renforçant notre sentiment de confiance, de sécurité, d’attachement. C’est la même hormone qui tisse des liens indéfectibles entre le nourrisson et sa mère, mais aussi des liens de fidélité entre deux êtres qui s’aiment.

Il y a aussi l’endorphine, l’hormone du plaisir. Les caresses d’une personne bien intentionnée – comme un massage, par exemple – en provoquent une sécrétion abondante.

C’est pourquoi un massage peut être si relaxant et apaisant, ou qu’un toucher physique de consolation est parfois plus efficace que des paroles.

Les caresses sont également de redoutables antidouleurs.

Après plusieurs tests réalisés sur un groupe de personnes en bonne santé, le Dr Line Löken, membre de l’équipe de Göteborg et auteur d’une autre étude, constate : « Les impulsions résultant des caresses amortissent les impulsions de douleur. »[4]

Voilà pourquoi les couples qui s’étreignent souvent sont… moins sensibles au stress extérieur.

Mais comment recevoir ces précieuses étreintes quand on vit seul ?

Des chercheurs canadiens suggèrent que c’est le massage qui s’en rapprocherait le plus.

Ils ont montré qu’avec 45 minutes de massage par semaine, le taux de lymphocytes, les globules blancs chargés de notre défense immunitaire, augmenterait de 87 %.

Ils ont aussi observé une baisse du cortisol, du rythme cardiaque et de la pression artérielle, éléments indicateurs d’une baisse de la sensibilité au stress[5].

Je résume : pour faire face à un virus, pour renforcer notre système immunitaire face à lui, il serait plus efficace de prescrire des câlins… plutôt que de les interdire.

Portez-vous bien,

Rodolphe



[1] Arte. Le pouvoir des caresses. Le toucher, un contact vital. Disponible du 24.02. au 31.05.2012. https://www.arte.tv/fr/videos/089055-000-A/le-pouvoir-des-caresses/

[2] Boehme, R., Hauser, S., Gerling, G. J., et al. (2019). Distinction of self-produced touch and social touch at cortical and spinal cord levels. Proc Natl Acad Sci U S A. 116(6):2290-2299. doi: 10.1073/pnas.1816278116. Epub 2019 Jan 22. PMID: 30670645; PMCID: PMC6369791. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30670645/

[3] Olausson, H., Lamarre, Y., Backlund, H., et al. (2002). Unmyelinated tactile afferents signal touch and project to insular cortex. Nature Neuroscience 5(9):900-4. doi: 10.1038/nn896. PMID: 12145636. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/12145636/

[4] Löken, L. S., Wessberg, J., Morrison, I. et al. (2009). Coding of pleasant touch by unmyelinated afferents in humans ; Line S Löken et col. Nature Neuroscience 12(5):547-8. doi: 10.1038/nn.2312. Epub 2009 Apr 12. PMID: 19363489. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/19363489/

[5] Diego, M., Field, T., Hernandez-reif, M., et al. (2001). HIV Adolescents Show Improved Immune Function Following Massage Therapy. International Journal of Neuroscience 106(1-2):35-45. doi: 10.3109/00207450109149736. PMID: 11264907. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/11264907/