Chers amis,

En termes de sommeil, êtes-vous plutôt poule, ou hibou ?

Autrement dit, avez-vous tendance à vous coucher tôt – avec les poules, dit-on souvent – et à commencer la journée de bonne heure, ou bien êtes-vous toujours très actif à la tombée de la nuit comme un hibou, vous couchant tard et vous levant quand il fait déjà grand jour ?

Votre réponse vous permet d’établir votre « chronotype », c’est-à-dire le rythme sur lequel est basé votre horloge circadienne (alternant les cycles biologiques jour/nuit), qui régule votre sécrétion d’hormone du sommeil, la mélatonine, puis celle du réveil, le cortisol.

Rassurez-vous, à moins que vous ne soyez complètement déphasé (dormant la journée et vivant le jour), ces différences d’une personne à l’autre sont tout à fait normales.

Le plus important est de bien identifier votre chronotype et de le respecter autant que possible, tout dérèglement de votre horloge circadienne ayant, sur le long terme, des effets néfastes bien identifiés chez les personnes travaillant de nuit, augmentant les risques de :

  • Prise de poids et obésité ;
  • Diabète de type 2 ;
  • Hypertension artérielle ;
  • AVC ;
  • Maladies coronariennes (ischémie coronaire, infarctus du myocarde) ;
  • Cancers du sein, prostate ou colon/rectum[1].

De matinal extrême à vespéral extrême, de court dormeur à long dormeur

Un questionnaire, dit de Horne et Ostberg, permet d’identifier plus précisément si vous êtes « matinal extrême » ou « matinal simple », « neutre », « vespéral simple » ou « vespéral extrême ».

Vous pouvez trouver l’un de ces tests, qui totalise 19 questions à choix multiple, dans le lien en source[2]. Pour ma part, d’après ce test, je suis « matinal simple », ce qui correspond bien à mon expérience de vie.

Je n’ai aucune difficulté à me réveiller tôt, en général vers 6h30, en revanche passé 22h il ne faut plus trop m’en demander… surtout en hiver !

Cette différence se traduirait très concrètement par l’amplitude de notre horloge circadienne, qui n’est pas la même selon qu’on est du soir ou du matin !

Ceux qui sont du matin auraient un rythme biologique inné de 23h30 – leur horloge circadienne avance – tandis que chez ceux qui sont du soir, le rythme serait plutôt de 24h30 – leur horloge circadienne retarde.

C’est l’exposition à la lumière du jour qui permettrait à votre horloge circadienne, qu’elle avance ou retarde, de se « recaler » sur un rythme de 24h[3].

Mais nos différences face au sommeil ne s’arrêtent pas là : vous l’avez probablement remarqué, certains ont besoin de dormir beaucoup, et d’autres très peu.

Là encore, ces différences se retrouvent réparties dans l’ensemble de la population, formant une courbe en cloche, ou courbe de Gauss : la majorité de la population a besoin entre 7h30 et 8h30 de sommeil, mais 5% de la population est constituée de courts dormeurs (moins de 6 h30) et 5% de longs dormeurs (plus de 9h)[4].

Un sommeil social

Toutes ces différences que vous avez déjà dû constater, ont-elles une explication ?

La plupart des scientifiques avancent une explication génétique – soit.

Mais une « cause génétique » ne suffit pas à comprendre pourquoi.

En 2021, des anthropologues ont proposé une théorie intéressante : cette variété des rythmes et des durées de sommeil chez nous autres, hommes et femmes modernes, serait un héritage du caractère social du sommeil chez homo sapiens.

Au départ, il y a ce paradoxe : comparé aux autres primates, l’homme est celui qui dort le moins alors qu’il est l’un des plus évolués[5].

D’après David R. Samson, à partir du moment où nos ancêtres primates ont commencé à dormir sur le sol (et non plus dans les arbres), le fait d’avoir des dormeurs tôt et des dormeurs tard aurait constitué un avantage pour le groupe : il y avait toujours quelqu’un de vigilant prêt à réveiller les autres si un danger se présentait[6].

Les différences entre nos « profils » contemporains de dormeurs seraient ainsi l’héritage des « quarts de veille » qu’auraient permis le fait d’avoir des couche-tôt et des couche-tard.

Si l’on regarde les habitudes de sommeil d’autres animaux sociaux, cela fait sens : on sait ainsi que les groupes de canards sauvages, qui dorment en cercle, n’ont pas le même sommeil selon qu’ils sont au centre ou à la périphérie du cercle.

Les premiers dorment complètement, tandis que les seconds ont un sommeil unihémisphérique, ce qui signifie qu’une seule moitié de leur cerveau dort. Ils ne dorment, littéralement, que d’un œil, ce qui leur permet d’alerter leurs congénères en cas de danger. 

Ainsi, nos différences de profils de dormeurs serait la conséquence du « sommeil de groupe » de nos lointains ancêtres.

L’influence des saisons

Une autre théorie, qui n’est d’ailleurs pas contradictoire avec la précédente, souligne l’influence de la saison sur notre profil de dormeur.

Je ne sais pas vous, mais moi je n’ai pas les mêmes habitudes de sommeil l’été que l’hiver. Je me couche beaucoup plus tard de mai à août, au moment où la durée d’ensoleillement est la plus longue, qu’entre novembre et février, lorsque la nuit tombe tôt.

De façon étonnante, des études statistiques ont pointé une influence du mois de naissance sur notre profil de dormeur adulte.

Les « hiboux » sont plutôt nés en mars-avril, et les « poules » sont plutôt nés en septembre-octobre[7].

La durée du jour pendant la grossesse ou la période périnatale aurait ainsi une influence importante.

Il y a une quinzaine d’année, des biologistes américains sont parvenus à confirmer expérimentalement cette influence de la saison de naissance sur les rythmes d’activité diurnes et nocturnes chez des souris.

Gouglas MacMahon et ses collègues ont élevé des groupes de souriceaux de la naissance au sevrage soit dans un hiver artificiel, soit dans des cycles de lumière d’été.

Après le sevrage, certains souriceaux ont été maintenus dans le même cycle, d’autres dans le cycle opposé, pendant 28 jours. Ensuite, tous les rongeurs ont été maintenus dans l’obscurité afin de laisser s’exprimer leur horloge circadienne.

Résultat : les « souris d’hiver » avaient un rythme ralenti en hiver, mais étaient actives deux heures de plus que les autres en été[8].

Les chercheurs appellent cela la « biologie de la saisonnalité ».

Malheureusement, en moins d’un siècle, nos rythmes sociaux se sont fort éloignés de nos rythmes biologiques naturels.

Car, quelle que soit notre saison de naissance, nos cycles de sommeil et d’alternance veille/sommeil ne sont pas les mêmes en hiver et en été.

L’illusion d’une saison unique

Je vous l’écrivais plus haut, c’est l’alternance jour/nuit qui permet à notre horloge circadienne de se recaler sur un rythme de 24h.

Mais ce rythme veille/sommeil n’est pas le même maintenant, en janvier, et dans 6 mois, en juillet.

Au cœur de l’hiver, la sécrétion de mélatonine débute tôt en soirée (voire en fin d’après-midi) avec la baisse naturelle de la luminosité, tandis qu’en été elle intervient beaucoup plus tard.

De même, le réveil permis par le pic de cortisol intervient plus tôt en été qu’en hiver.

Notre mode de vie contemporain n’est plus guère attentif à ces cycles saisonniers. Nous disposons de lumières artificielles (néons, téléphones, ordinateurs, etc.) qui perturbent les sécrétions d’hormones du sommeil et de réveil.

Notre existence sociale est organisée sans prendre en compte ces rythmes naturels : pour tous les travailleurs du monde, la journée de travail commence à la même heure été comme hiver, et pour tous les écoliers la sonnerie retentit à 8h20 tout au long de l’année.

Pire que cela, rythmes circadiens et sociaux sont même… en opposition !

C’est particulièrement spectaculaire avec les vacances d’été.

Chez nous, l’été est une saison de vacances alors qu’elle est la plus propice à l’activité : les journées sont les plus longues, et c’est le moment où nous avons le moins besoin de sommeil.

À l’inverse, l’hiver, qui est la saison au cours de laquelle notre rythme biologique s’installe en mode « hibernation » et a besoin de davantage de repos, est une période d’intense activité professionnelle et scolaire.

Du point de vue de la « biologie de la saisonnalité », cette répartition est absurde.

C’est en partie la raison pour laquelle tout un chacun tombe plus facilement malade en hiver : ça n’est pas parce qu’il fait plus froid ! C’est parce que vous sursollicitez votre organisme à un moment où il a davantage besoin de repos et de temps de réparation (sommeil).

Pour l’anecdote, la longue pause scolaire estivale n’est, historiquement, pas liée aux vacances, mais… au travail dans les champs.

En France, les dates de cette pause étaient il y a moins d’un siècle le résultat des négociations entre les services de l’instruction obligatoire et gratuite d’une part, et les paysans d’autre part : dans un pays essentiellement agricole, enfants et adolescents aidaient aux récoltes, aux moissons et aux vendanges.

Comme le note le Dr Marc Rey dans son ouvrage Quand le sommeil nous éveille :

« Ainsi, les vacances scolaires s’étalent du 15 juillet au 30 septembre en 1939. En 1960, elles vont du 28 juin au 16 septembre, mais la circulaire fixant le calendrier scolaire en 1960-1961 précise qu’il est prévu des autorisations d’absence entre le 15 et le 30 septembre de lus de 12 ans qui sont occupés aux travaux agricoles. Ce rythme est en phase avec une France rurale où les travaux des champs sont intenses l’été, mais en opposition de phase avec la France industrielle et urbaine d’aujourd’hui. L’industrie touristique estivale est loin de compenser économiquement cette aberration physiologique. On sait que cette opposition de phase est un des facteurs à l’origine de la dépression saisonnière.[9] »

Il est plus que jamais nécessaire de réapprendre à comprendre et respecter la biologie de la saisonnalité afin de rester en bonne santé.

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet


[1] https://www.inrs.fr/risques/travail-horaires-atypiques/effets-sur-la-sante-et-accidents.html#:~:text=Lors%20du%20travail%20de%20nuit%2C%20la%20d%C3%A9synchronisation%20de%20l’horloge,a%20consid%C3%A9r%C3%A9%20comme%20%C3%A9galement%20probable.

[2] https://reseau-morphee.fr/le-sommeil-et-ses-troubles-informations/quel-dormeur/soir-matin/questionnaire-de-typologie-circadienne-de-horne-et-ostberg

[3] https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1769449309000041

[4] https://www.cairn.info/revue-hegel-2019-3-page-231.htm

[5] https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29446072/

[6] https://www.annualreviews.org/doi/10.1146/annurev-anthro-010220-075523#:~:text=The%20analysis%20revealed%20that%20among,or%20any%20other%20group%20measured.

[7] https://www.lefigaro.fr/sciences/2007/01/31/01008-20070131ARTFIG90043-pourquoi_est_on_du_soir_ou_du_matin.php#:~:text=Les%20personnes%20du%20soir%20sont,aurait%20ainsi%20une%20influence%20importante.

[8] https://www.lequotidiendumedecin.fr/archives/la-saison-de-naissance-influe-sur-lhorloge-interne

[9] Dr Larc Rey, Quand le sommeil nous éveille, Paris, Solar, 2017, p.85