Chers amis,

« Je monte à cheval sans aide, je grimpe facilement une volée d’escaliers, je peux gravir une colline sans m’essouffler. Je suis gai et de bonne humeur, mon esprit est calme. »

Ce témoignage est celui d’une personne alors âgée de… plus de 90 ans ! Une belle santé pour son âge, n’est-ce pas ?

Nous connaissons tous des vieillards qui « pètent la forme » et rayonnent de bonne humeur.

Pourtant, celui-ci, qui sera centenaire (il mourra très exactement à l’âge de 102 ans), sort un tout petit peu de l’ordinaire.

Ce monsieur n’a jamais pris de pilule de laboratoire, n’a jamais suivi de programme de rajeunissement. Et pour cause ! Il a vécu il y a cinq siècles.

Une étude publiée dans Nature il y a quelques jours vient d’identifier le mécanisme biologique expliquant la « réussite » de ce centenaire du XVIè siècle… et que vous pouvez vous-même facilement appliquer.

La reine et le centenaire

Le nom de ce fringant centenaire est Luigi Cornaro.

Si vous aimez l’Histoire, son nom vous dit probablement quelque chose : les Cornaro sont une riche famille patricienne de Venise, ayant fourni à la Sérénissime plusieurs doges, et nous ayant laissé en héritage quelques-uns de ses plus beaux palais.

Mais l’influence des Cornaro s’étend bien au-delà de la politique vénitienne.

L’été dernier, j’ai passé quelques jours à Chypre ; en visitant plusieurs musées de Nicosie, j’ai pu contempler divers portraits de la dernière reine de Chypre, Catherine Cornaro.

La voici, peinte par Le Titien… et voici son frère, peint par Le Tintoret :

Vous le voyez, Catherine y apparaît beaucoup plus jeune que Luigi.

Elle était pourtant de dix ans son aînée.

Mais son frère lui a survécu plus d’un demi-siècle, atteignant une longévité alors rarissime : elle est morte en 1510 à l’âge de 55 ans, et lui, en 1566 à l’âge de 102 ans.

En fait, si Catherine Cornaro fut célèbre de son temps à la fois pour sa beauté et pour avoir régné sur Chypre, la célébrité de Luigi Cornaro, elle, intervint beaucoup plus tard, alors qu’il avait 80 ans passés, grâce au mode d’emploi pour devenir centenaire qu’il publia !

On peut lui prêter quelque crédit, compte tenu de l’âge auquel lui-même décéda.

Pourtant, rien ne prédestinait Luigi Cornaro à devenir, avec presque 500 ans d’avance, le promoteur d’une méthode d’allongement de l’espérance de vie, depuis lors confirmée scientifiquement.

De sacré noceur à modèle de sobriété

Comme tout aristocrate vénitien de la Renaissance qui se respecte, Luigi Cornaro avait un mode de vie, disons… assez dissolu.

Le jeune Luigi faisait la fête jusqu’à pas d’heure, ses soirées étaient copieusement arrosées et il s’empiffrait à qui mieux-mieux. Bref, c’était un sacré noceur, un fieffé bambochard.

La trentaine passée, la facture de ce mode de vie frivole et inconséquent tombe, et elle est particulièrement salée. Luigi souffre de douleurs régulières à l’estomac, de crises de goutte, de fièvres, d’une soif inextinguible…

Ses médecins essaient de le soigner, sans succès, et sont pessimistes quant à la destinée de leur patient. C’est à peine s’il n’entend pas les premiers coups de marteau à son cercueil.

Voici ce qu’il écrit : « Je me suis livré à un excès de nourriture et de boisson durant des années et mon estomac a commencé à se détraquer, violentes coliques, accès gouteux avec fièvre continuelle. La seule délivrance que je pouvais espérer était la mort. Je me trouvais dans un état pitoyable à 40 ans. Des médecins m’ont fait comprendre qu’il était impératif que je change de mode de vie.[1] »

Et c’est ce qu’il fait :

 « Pour remédier à tous ces maux que les gens ont dès l’âge de 40 ou 50 ans, l’homme doit vivre selon la simplicité dictée par la nature qui nous apprend à nous contenter de peu et à ne manger que le strict nécessaire, car tout excès de nourriture cause la maladie et mène à la mort. J’ai décidé de renoncer à l’intempérance à cause du long cortège d’infirmités qui avaient fortement affaibli ma constitution délicate.»

Luigi Cornaro va détailler son mode de vie dans quatre « discours » rassemblés dans un livre intitulé De la vie sobre et réglée.

Son mode d’emploi est assez simple : il cultive l’exercice physique, les voyages, et la curiosité et : « Je voyage, n’oubliant aucun endroit où je puisse contenter ma curiosité ou acquérir quelque nouvelle connaissance. » 

Et… il mange peu. « sobrement », dit-il.

Il applique en réalité ce que l’on nomme aujourd’hui la restriction calorique.

Hara hachi bu

La restriction calorique est le terme savant pour dire « manger moins ».

Manger moins, dans tous les sens du terme : manger moins en quantité, manger moins riche, moins gras, moins sucré, moins de viande… et moins dans la journée.

Autrement dit, la restriction calorique englobe aussi bien la très ancienne règle okinawaïenne du Hara hachi bu – la « règle des 80% » qui incite à s’arrêter de manger juste avant de ressentir la satiété – que le principe du jeûne intermittent, qui consiste à préserver une fenêtre de 13h minimum sans manger, voire un jour entier dans la semaine.

Luigi Cornaro le théorise ainsi :

« Qui mange peu, mange beaucoup, durant de longues années.

Ce que nous laissons après un repas copieux nous fait plus de bien que ce que nous avons mangé.

À l’avenir, l’homme qui suit ces recommandations ne tombera plus jamais malade, il n’aura plus besoin de médecins et de médicaments, il deviendra son propre médecin, car lui seul est son meilleur médecin. »

Quelques années plus tard, ses proches s’inquiètent et essaient de le convaincre de manger de nouveau plus. Il se laisse convaincre, mais en une semaine, son bien-être s’évanouit.

« J’avais à peine mené ce genre de vie pendant 8 jours que j’ai commencé à perdre mon entrain, ma gaieté et à devenir irritable et déprimé. Au 12e jour, j’ai ressenti une douleur au côté, accompagnée d’une fièvre qui a durée 35 jours. J’ai donc abandonné pour repartir sur le régime initial et tout alla bien à nouveau… »

Luigi Cornaro se tint à ce régime durant soixante ans, ce qui lui réussit, puisque dans son quatrième livre, on peut lire : « J’ai maintenant 95 ans et je suis toujours en bonne santé, vigoureux, content et joyeux. Cela est incroyable pour certains. La pensée de la mort ne me tourmente pas du tout. D’ailleurs, je crois fermement que j’atteindrai l’âge de 100 ansMalgré mon grand âge, je suis bien-portant et joyeux, j’ai bon appétit et je dors bien. Tous mes sens sont en parfait état, mon intelligence est claire et vive, mon jugement sain, ma mémoire fiable, mon moral bon et je chante matin et soir ».

450 ans après la mort du centenaire vénitien, une étude publiée dans Nature apporte une explication au mécanisme biologique qui a permis à Luigi Cornaro non seulement de vivre si longtemps, mais également de garder jusqu’à la fin toute sa tête.

La restriction calorique active ce gène dans votre cerveau

Bien que certains journaux mainstream persistent à répéter que les vertus thérapeutiques du jeûne n’ont aucun fondement scientifique… on compte désormais plusieurs centaines d’études confirmant non seulement ces bienfaits, mais les expliquant biologiquement.

C’est le cas de celle publiée dans Nature jeudi dernier[2].

Les auteurs cherchaient à comprendre pourquoi la restriction calorique retarde le vieillissement : en travaillant d’abord sur des mouches, puis des souris et des cellules humaines, ils ont identifié un gène très précis, OXR1, dont l’activité était renforcée par la restriction calorique.

OXR1 est le diminutif de Oxidation Resistance 1, soit « Résistance à l’Oxydation 1 » : il s’agit d’un gène codant une protéine (portant le même nom), qui joue un rôle bien connu dans la résistance à l’oxydation, c’est-à-dire la résistance au… vieillissement.

OXR1 protège en particulier, dans le corps humain, les neurones.

Lorsqu’un être humain perd ce gène, il s’ensuit de graves anomalies neurologiques conduisant à une mort prématurée.

L’expression d’OXR1 décline avec l’âge. Le dysfonctionnement de ces rétromères a été associé à des maladies neurodégénératives comme Alzheimer et Parkinson.

Or, ont découvert les chercheurs, OXR1 affecte également un mécanisme complexe, appelé « retromère », un ensemble de protéines nécessaires au recyclages protéines et des lipides cellulaires indispensable au bon fonctionnement des neurones.

Autrement dit, la restriction calorique ralentit le vieillissement cérébral en renforçant l’expression d’OXR1 et, partant, l’action des rétromères.

En cas de restriction calorique, donc de moindres apports alimentaires, OXR1 aide les rétromères à « recycler » les protéines disponibles de façon à maintenir le bon état cellulaire des neurones.

Je suis désolé si c’est un peu technique.

Si j’essaie de le formuler plus simplement, je peux vous dire que manger moins réveille dans votre cerveau l’activité d’un gène indispensable au fonctionnement pérenne de vos neurones… et donc de votre corps tout entier.

Votre façon de manger influence donc directement ce gène. En mangeant moins, vous renforcez l’expression d’OXR1, qui se charge d’assurer que le tri des protéines dans vos cellules neuronales est bien fait !

Donc, non seulement ce que vous mangez influence votre santé, mais les proportions et le rythme auquel vous le mangez est tout aussi important.

Cornaro l’avait écrit il y a cinq siècles. La science d’aujourd’hui commence à peine à l’expliquer.

N’attendez pas plus longtemps pour en profiter !

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet


[1] Luigi Cornaro, De la vie sobre et réglée, Premier Discours, traduction issue de l’édition de Périsse frères, Lyon, 1831

[2] Wilson, K.A., Bar, S., Dammer, E.B. et al. « OXR1 maintains the retromer to delay brain
aging under dietary restriction ». Nat Commun 15, 467. 2024