Chers amis,

Nous sommes en 2020 après Jésus-Christ. Toute l’Europe est confinée par peur du Coronavirus.

Toute l’Europe ?

Non, un petit pays continue à résister au confinement : les Pays-Bas.

Cette introduction vous fait sans doute penser à un album d’Astérix ? Nous ne sommes pourtant pas dans la bande dessinée : le gouvernement néerlandais a réellement choisi d’adopter une stratégie toute différente durant cette crise.

Irresponsables, les Néerlandais ?

La stratégie du confinement a un but clair : casser la courbe de contagion exponentielle au sein de la population.

On aurait pu s’attendre à ce que les Pays-Bas, qui ont la plus forte densité de population d’Europe (17 millions d’habitants sur un territoire très petit), et où donc le risque de contagion rapide est plus important qu’ailleurs, s’empressent eux aussi de se confiner.

Eh bien, non. Les Pays-Bas ont certes fermé leurs bars, restaurants, écoles, crèches, leurs coffee-shops et leurs maisons closes.

Mais l’ordre de confinement général n’a pas été donné. Le gouvernement a organisé quelques confinements, celui des populations les plus à risque (personnes âgées et patients déjà atteints de troubles respiratoires).

Mais le premier ministre néerlandais Mark Rutte a clairement annoncé qu’il n’y aurait pas de confinement, dans une allocution officielle à la télévision[1].

Mark Rutte est-il complètement irresponsable ?

Cette décision est le reflet d’une stratégie différente face au coronavirus : celle de « l’immunité collective ».

Son principe consiste à laisser l’épidémie durer dans le temps pour désengorger les hôpitaux et dans l’espoir que la majorité de la population fabrique naturellement des anticorps au coronavirus.

Cette stratégie a en ligne de mire les prochaines épidémies de coronavirus.

Je vous ai moi-même fait part dans une lettre de ma crainte que cette première épidémie soit suivie dès l’automne-hiver prochain d’une deuxième, avec une souche du Covid-19 qui aura muté.

La stratégie néerlandaise consiste à minimiser l’impact de l’épidémie actuelle dans l’immédiat … et de laisser l’immunité de la population s’armer « naturellement » de façon à prévenir la possible épidémie qui suivra en fin d’année.

Cette vision alternative semble nous dire que le confinement généralisé est une stratégie de court-terme, tandis que l’immunité collective serait LA stratégie de moyen, voire long-terme… et peut-être la seule qui vaille.

Comment savoir qui a raison ?

Le non-confinement a eu des résultats

Selon les chiffres que j’ai pu consulter, la stratégie du confinement à grande échelle n’a pas encore prouvé TOUTE son efficacité. L’Italie, en confinement depuis le 9 mars, a vu le nombre de décès imputés au coronavirus tripler (plus de 3500 à l’heure où je vous écris)[2].

On peut néanmoins dire que ces décès seraient la conséquence de contaminations avant le confinement.

Et sans doute faut-il attendre pour y voir plus clair.

Aux Pays-Bas, on comptait hier un peu moins de 2500 cas et 78 décès[3].

Si les contaminations s’emballent, alors peut-être Mark Rutte changera-t-il son fusil d’épaule. C’est ce qu’a fait le premier ministre Boris Johnson au Royaume-Uni, qui avait d’abord, lui aussi, joué la carte de l’« immunité collective ».

Le plus troublant est que cette stratégie du « non- confinement » semble avoir fait ses preuves en Asie.

Taïwan, qui semblait promise à une épidémie massive, n’a connu que 60 contaminations en tout et pour tout. L’île a réagi très tôt et de façon énergique : elle a fermé ses frontières et rationalisé la distribution de masques[4].

Mais l’exemple le plus spectaculaire de contention de l’épidémie sans confinement est celui de la Corée du Sud. Ce qui est d’ailleurs intéressant, car ce pays et les Pays-Bas ont chacun une densité de population très élevée.

La Corée du Sud a connu 8000 cas et 67 morts[5]. Sa politique de « non-confinement » a eu d’autres moyens que l’« immunité collective » :

  • Elle a testé plus de 250 000 personnes présentant de possibles symptômes du Covid-19 ;
  • Des thermomètres thermiques ont été installés dans certains lieux pour identifier les éventuelles personnes porteuses de fièvres ;
  • Des applications pour smartphones demandant aux habitants leur état de santé quotidien ont été déployées.

Taïwan et la Corée du Sud s’en sont extrêmement bien sorties, avec d’autres moyens que la stratégie de l’immunité collective néerlandaise.

L’une par des mesures drastiques prises dès le début de l’épidémie en Chine.

L’autre par le déploiement de ressources technologiques de pointes appliquées à la santé.

Ces mesures n’ont été prises ni en France ni aux Pays-Bas… pour des raisons très différentes.

Qui est responsable ?

En France, l’État tient, auprès de la population, le rôle de parents sévères envers leur adolescent. Bien intentionnés, mais autoritaires. L’autorité passe par une distinction nette entre ce qui est autorisé et interdit : « ça, tu as le droit, ça, c’est niet… sinon !… »

L’État français pense par exemple que le cannabis ou la prostitution sont des fléaux à éradiquer. Il les rend illégaux et punit sévèrement toute infraction. Il fait des « descentes » dans la chambre de son ado turbulent, pour vérifier qu’il ne cache pas des revues porno sous son matelas ou de la marijuana dans une paire de chaussettes.

Aux Pays-Bas, où j’ai vécu, l’État ressemble plutôt à un couple de parents soucieux de la liberté de l’adolescent. Il pose un cadre et responsabilise. Il passerait évidemment pour laxiste auprès de parents français, puisqu’il dirait en substance : « Écoute, les drogues douces et la prostitution, ce n’est pas forcément ce qu’il y a de mieux dans la vie, mais si tu veux essayer, libre à toi. Ce n’est pas à nous de te dicter ta conduite. »

Il encourage l’autodiscipline.

« C’est pour ton bien ! »

Ce qu’on voit avec le Covid-19, c’est une France qui tente d’enfermer son adolescent à double tour et promet de le punir s’il désobéit. « C’est pour ton bien ! ».

Aux Pays-Bas, le discours est : « Je ne vais pas t’empêcher de sortir si tu en as besoin : tu es adulte, tu es prévenu, la situation est inquiétante, c’est à toi de te montrer prudent. Tiens-toi juste bien à distance. »

C’est – je l’apprends à l’instant – l’attitude qu’a également décidé d’adopter le gouvernement fédéral suisse[6].

On peut les taxer d’irresponsables, mais les décisions de ces gouvernements ont pour premier mérite d’alléger la pression sur leurs populations, ce qui n’est pas anodin lorsque l’on sait les effets pervers du stress chronique sur le système immunitaire.

Quelle approche fera le moins de morts ?

Bien malin qui peut le dire à cette heure.

L’évolution de la situation sanitaire justifiera, peut-être, qu’il fallait en effet contraindre autoritairement les Français à se confiner.

Ou au contraire, on apprendra que le sacrifice de la liberté sur l’autel de « l’urgence sanitaire » était superflu et irresponsable au vu, notamment, des conséquences économiques dramatiques, mais aussi physiques et psychiques de ce confinement forcé : explosions prévisibles de l’obésité, des dépressions, de la violence conjugale et j’en passe.

Il est possible encore que seules les mesures prises très tôt par la Corée et Taïwan puissent marcher dans ce type de contexte.

Si vous avez une opinion sur le sujet, je serais heureux de la recevoir en vous invitant à commenter cette lettre ci-dessous.

Portez-vous bien, 

Rodolphe


[1] ROHART Frédérique, « Rutte choisit l’immunité collective, l’Europe n’a pas d’avis », publié le 17 mars 2020 sur lecho.fr, consulté le 20 mars et disponible sur ce lien : https://www.lecho.be/dossiers/coronavirus/rutte-choisit-l-immunite-collective-l-europe-n-a-pas-d-avis/10214972.html 

[2] Mis en ligne par AFP, « Coronavirus : l’Italie dépasse la Chine en nombre de morts », le 19 mars 2020 sur lesoir.be, consulté le 20 mars et disponible sur ce lien : https://www.lesoir.be/288599/article/2020-03-19/coronavirus-litalie-depasse-la-chine-en-nombre-de-morts

[3] ANP, « Coronavirus : le bilan s’alourdit aux Pays-Bas avec 18 décès supplémentaires, 76 au total », le 19 mars 2020 sur lesoir.be, consulté le 20 mars et disponible sur ce lien : https://www.sudinfo.be/id174588/article/2020-03-19/coronavirus-le-bilan-salourdit-aux-pays-bas-avec-18-deces-supplementaires-76-au

[4] RFI, « Coronavirus : l’efficacité de la lutte contre l’épidémie à Taïwan », le 16 mars 2020 sur rfi.fr, consulté le 20 mars 2020 et disponible sur ce lien : http://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20200316-coronavirus-l-efficacit%C3%A9-la-lutte-contre-l%C3%A9pid%C3%A9mie-%C3%A0-ta%C3%AFwan

[5] MAGNIER Bénédicte, « Contenir le coronavirus sans confinement, la Corée du Sud l’a fait », le 19 mars 2020 sur huffingtonpost.fr, consulté le 20 mars et disponible sur ce lien : https://www.huffingtonpost.fr/entry/contre-le-coronavirus-comment-la-coree-du-sud-a-evite-le-confinement_fr_5e70cc74c5b60fb69dde4a08

[6] Rts.info, « Pas de confinement général en Suisse, mais les réunions de plus de 5 personnes sont interdites », le 20 mars à 17h15, consulté le même jour et disponible sur ce lien : https://www.rts.ch/info/suisse/11180312-pas-de-confinement-general-en-suisse-mais-les-reunions-de-plus-de-5-personnes-sont-interdites.html