Chers amis,

À chaque fois que vous ouvrez votre boîte mail, c’est une avalanche de messages qui vous tombent dessus.

Si vous êtes comme moi, vous n’en ouvrez pas la moitié. Sans doute à peine un quart.

Auparavant la plupart des mails que je recevais m’étaient « pour de vrai » personnellement destinés : c’étaient des messages d’amis, ou des messages professionnels.

Ces messages existent toujours, mais ils sont noyés sous le flot de mails promotionnels venant d’expéditeurs divers et variés dont je me demande comment ils ont eu mon adresse.

Et je ne parle même pas de ceux qui tombent directement dans les spams.

Il y a des jours où j’éprouve une vraie nausée face à ce trop-plein. Vous aussi, peut-être.

Mais de temps en temps je tombe sur une vraie pépite : un message qui me touche, une information qui me rend service, une nouvelle qui m’étonne.

Les expéditeurs auxquels je reste abonné sont ceux capables de m’envoyer un mail réunissant ces qualités, à une fréquence suffisante pour justifier mon intérêt.

Ils sont cependant rares. Et… c’est tout à fait normal.

En 6 ans, énormément de choses ont changé

J’ai envoyé mes premières lettres sur la santé et le bien-être il y a 6 ans.

C’était début 2017. À cette époque, nous n’étions guère plus que trois ou quatre, pas davantage, à nous adresser directement à nos lecteurs sur ce sujet capital.

Aujourd’hui, il y a tellement de gens – réels ou imaginaires, tant les « avatars » créés par des groupes ou des sociétés utilisant l’intelligence artificielle sont désormais légion – à faire la même chose que j’ai renoncé à les compter.

Non seulement le nombre d’expéditeurs a augmenté de façon exponentielle, mais la quantité de messages envoyés par chacun d’entre eux est devenue délirante.

Beaucoup de ces messages se ressemblent étrangement : ils « s’inspirent » de prédécesseurs et de concurrents (parmi lesquels votre serviteur)… quand ils ne les copient pas carrément.

Ne nous mentons pas : l’écrasante majorité de ces messages et de ces expéditeurs ne sont même pas humains.

Il est désormais ultra-facile, pour quiconque dispose d’un ordinateur et de l’outillage adéquat, de « générer » des textes ayant l’apparence d’une production humaine.

Faites l’exercice : essayez de mettre un (vrai) visage et/ou une personnalité à part entière derrière les signatures qui figurent sur ces innombrables messages. Neuf fois sur dix vous n’y parviendrez pas : vous êtes victime d’un hologramme, d’un robot. D’un spectre.

Cette surenchère est impressionnante car elle a été très rapide.

Cette inflation de mails et d’expéditeurs était pourtant prévisible : elle suit la même trajectoire que l’imprimerie.

Plus de 5 siècles d’histoire…

En 1455 Johannes Gutenberg achève la réalisation du premier livre imprimé de l’histoire de l’humanité. La célèbre « Bible de Gutenberg ».

« Imprimé » : tout est là.

Gutenberg n’a évidemment pas invité ni l’écriture, ni l’objet-livre : il a inventé une technique.

Avant Gutenberg, les livres existaient déjà : ils étaient copiés à la main, travail harassant bien souvent effectué par des moines (les fameux moines copistes), qui y laissaient des dioptries (des points de vue) à force d’être le nez baissé sur leurs pages dans des salles mal éclairées.

Et avant ces livres-là… il y avait les parchemins. Et avant eux les papyrus. Et encore avant eux les tablettes d’argile. Etc.

Ces objets, ces textes, étaient uniques et rares. C’est pourquoi le projet de la bibliothèque d’Alexandrie était révolutionnaire il y a 2500 ans : rassembler au moins une copie de tous les livres existant dans le monde était très difficile.

Les tout premiers livres imprimés furent tout aussi rares. Dans le monde de la bibliophilie, tous les livres imprimés avant 1500, soit pendant le court demi-siècle qui suivit la première Bible de Gutenberg, sont appelés des « incunables » et valent de vraies fortunes.

Durant des siècles, le livre imprimé est resté un objet onéreux, réservé à une double élite : ceux sachant lire, évidemment, et ceux suffisamment aisés pour s’en acheter.

Aujourd’hui encore, certains livres rares et chers remplissent ce rôle de « marqueur social », comme les Pléiades éditées par la maison Gallimard, avec ses dos striés d’or : en aligner des rayonnages dans sa bibliothèque est un signe d’aisance financière et de respectabilité.

(Plus ces rayonnages sont conséquents, plus vous pouvez être sûrs que ces livres ne sont là que pour décorer !)

Cependant le livre est entre-temps devenu un objet de masse, accessible à tous. Pire que cela : un objet banalisé, voire dévalorisé. Des piles de vieilles bédés et de série noire s’entassent sur les étals des brocanteurs.

Le livre perd rapidement de sa valeur : il est devenu un objet consommable, dont la date de péremption est accélérée par l’incroyable flux de nouveautés sortant chaque année, notamment au moment de la rentrée littéraire.

Et les éditeurs, pour tenter de conserver une valeur acceptable à leurs sorties, sont la plupart du temps obligés de mettre au pilon (à la destruction) tous leurs invendus.

L’e-mailing est devenu une industrie

Ce phénomène de raz-de-marée éditorial a une explication simple : à partir du XIXe siècle, le livre est devenu un objet de consommation de masse, produit en série.

Les premiers « best-sellers » industriels avaient pour auteurs Victor Hugo, Jules Verne ou Alexandre Dumas : leurs romans, parus d’ailleurs en feuilletons, s’arrachaient ensuite, à des prix abordables par les plus modestes.

Au XXe siècle, ce phénomène a pris encore plus d’ampleur avec l’invention du livre de poche, qui a rendu accessibles à toutes les bourses des titres autrefois rares et chers.

En 5 siècles, le livre est passé d’invention technologique rare et réalisée de façon artisanale, à un objet industriel, produit mécaniquement et en masse.

Il s’est passé exactement la même chose avec l’e-mail. Simplement cette évolution s’est faite beaucoup plus vite, comme pour toutes les technologies numériques.

L’e-mail a un demi-siècle (le tout premier a été envoyé en 1971 [1]). À son apparition, il fut une prouesse technologique, au même titre que le télégramme et le téléphone…

…Et comme le télégramme et le téléphone, il s’est démocratisé, a colonisé la planète, devenant un outil de communication universel.

Il y a vingt à vingt-cinq ans, envoyer un e-mail demandait de réunir plusieurs conditions : il fallait un ordinateur (ça coûtait cher), que celui-ci soit relié à Internet (ce n’était pas systématique, et il fallait un modem), que vous ayez ouvert un compte chez un opérateur… et que votre destinataire réunisse ces mêmes conditions !

Les messages arrivaient au compte-gouttes sur votre boîte électronique ; vous pouviez tous les lire, et ça ne vous prenait pas la journée !

En 2023, soit en à peine un quart de siècle, tout a changé.

Vous n’avez même plus besoin d’un ordinateur pour envoyer ou recevoir un mail – un téléphone suffit – et tout le monde a Internet, et si vous entreprenez de lire tout ce qui arrive sur votre boîte mail, ça risque de vous prendre la journée.

Aujourd’hui, ouvrir sa boîte mail peut provoquer, au choix, le même vertige ou la même angoisse que lorsque l’on rentre dans une très grande librairie : il y en a tellement partout que l’on ne sait où donner de la tête.

Comment s’y retrouver, comment choisir dans ce trop-plein écrasant ?

Pourquoi lire tel auteur ou tel livre, et pas tel autre ?

Pourquoi ouvrir tel mail ou lire tel expéditeur, et pas tel autre ?

Le surplus presque insoutenable de messages, d’offres et de propositions au sein de votre boîte mail est le résultat de la même évolution qui a conduit à la délirante production de livres il y a plusieurs décennies : la démocratisation et l’automatisation d’une technique.

Comment s’y retrouver ?

Ce surplus est écrasant. Et il n’est pas, non plus, très écolo.

Mais je crois que c’est un mal nécessaire.

Cette surproduction d’ouvrages chaque année, cette augmentation intarissable de nouveaux auteurs, sont ce qui permet à un livre réellement utile, ou tout simplement à un auteur qui vous parlera profondément, à vous, d’être lu.

Il faut accepter cette fuite en avant de nouveautés, qu’aucun humain (ni même libraire) n’a depuis plus longtemps la capacité de lire intégralement, comme condition pour dénicher le vrai, le beau et l’utile.

Et cela vaut dans la plupart des domaines de la culture et de la communication : la musique, la télévision, la bande dessinée, etc.

Il y a sans doute 99,5% de choses à jeter dans tout ce qui nous est proposé jour après jour – des œuvres médiocres, des productions inintéressantes, des resucées vidées de toute substance – mais le 0,5% qui reste, et qui peut changer et embellir votre vie, le justifie probablement.

Comment, alors, faire face à l’afflux d’e-mails, dont l’envoi est désormais industrialisé par de grands groupes ?

Moi, qui vous écris de l’autre côté, j’ai dû m’adapter pour surnager dans ce contexte non seulement très concurrentiel, mais de plus en plus pauvre en termes de contenus.

Vous recevez sans doute plus de mails de ma part qu’autrefois, car je me rends compte que beaucoup de mes messages sont soit noyés dans le flot qui se déverse quotidiennement dans la boîte mail de chacun, soit carrément rangés dans les spams.

Mais mon activité reste artisanale (c’est bel et bien moi, Rodolphe Bacquet, qui vous écris, pas un robot) et, surtout, je suis convaincu que ce que je partage avec vous peut vous être utile, d’une manière ou d’une autre. Soit pour résoudre un problème de santé que vous avez, soit pour – j’espère – vous aider à y voir plus clair dans cette époque tout de même trouble.

Et en tant que lecteur j’ai moi aussi parfois la tentation de tout arrêter, de me désabonner de tout, d’avoir enfin la paix.

Mais j’ai pris le parti de « faire avec », pour le meilleur et pour le pire.

On ne peut pas nager contre le courant – contre ce flux désormais torrentiel d’e-mails – mais il faut faire des choix.

Voici mes conseils pour faire les vôtres :

  • Votre expéditeur est-il digne de confiance ? Est-il authentique ou factice ? Il n’est pas facile de répondre à ces questions… mais il est indispensable d’essayer de le faire!
  • Son identité et son « expérience » sont-elles apparues il y a quelques semaines (voire quelques heures) sur Internet, ou bénéficient-elles d’un véritable historique?
  • De même, le produit physique ou digital qu’il ou elle essaie de vous vendre est-il une « génération spontanée » sans vraie histoire, ou jouit-il d’une ancienneté et une légitimité vérifiables ?
  • Et sans doute le plus important : ce qu’il ou elle vous a écrit vous a-t-il aidé/étonné/intéressé au cours des deux ou trois mois qui viennent de s’écouler ?

Tout comme l’imprimerie et bien d’autres domaines, il n’y a, à mon sens, pas de retour en arrière possible une fois qu’une technique a été industrialisée.

Notre seul moyen d’action, nous, en tant que lecteur/usager, est de privilégier ceux qui, dans cette masse, tentent envers et contre tout de rester humains et authentiques, ouverts sur les autres et non intéressés par leur seul profit.

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet

[1] « Minute culture: Ces mails qui ont marqué l’Histoire », Cleanfox, 21 juin 2017, https://www.cleanfox.io/blog/foxyactus-fr/mails-dans-histoire/#:~:text=L’ingénieur%20américain%20Ray%20Tomlinson,situés%20dans%20la%20même%20pièce