Chers amis,

Depuis quelques mois le monde de la nutrition voit brusquement émerger une nouvelle « star » au profil atypique.

Il ne s’agit pas d’un respectable médecin, ni d’un savant en blouse blanche à l’air compassé, mais d’une jeune influenceuse sur instagram.

Forte de plus de deux millions de « followers » (abonnés), Jessie Inchauspé est une jeune trentenaire qui s’est surnommée « Glucose Goddess » – traduisez : la « déesse du glucose ».

Depuis la parution de son premier livre l’an dernier, elle connaît un succès phénoménal, relayé en France par un important appareil médiatique sur les réseaux sociaux et des publications grand public : Elle, RTL ou Paris Match:

Capture d’écran de Youtube

La « déesse du Glucose », ses promesses et ses admirateurs

Disons-le d’emblée : tout n’est pas à jeter dans la « méthode » de l’influenceuse Jessie Inchauspé, 31 ans, et qui se présente comme biochimiste.

Son premier livre Faites votre Glucose Révolution [1] (traduit de l’anglais), paru l’an dernier, s’est vite retrouvé au Hit Parade des parutions santé et nutrition : 160 000 exemplaires en France, en un an. Plus d’un million dans le monde entier !

Ce succès est peut-être dû à un savant mélange de paillettes et d’expertise en nutrition… et à sa promesse, très simple et très forte : améliorer sa santé en ajustant sa glycémie.

Qu’est-ce à dire ?

En portant un capteur de glycémie (c’est-à-dire mesurant le taux de glucose dans le sang ; un appareil normalement adressé aux diabétiques), Jessie Inchauspé s’est aperçue qu’après avoir mangé certains aliments (comme des glaces ou des croissants) son organisme connaissait un vertigineux pic de glycémie.

Ce pic de glycémie est un effet bien connu : plus il est élevé et arrive vite, plus le « coup de barre » qui suit est spectaculaire.

Nous l’avons tous expérimenté, après un petit-déjeuner, un dessert ou un goûter très sucré.

La « méthode » de la « déesse du glucose » consiste donc à réduire ce pic de glycémie – non pas en cessant de consommer des aliments sucrés… mais en « aménageant » les moments de la journée où on les consomme.

Dans l’absolu, ses conseils sont plutôt malins et relèvent à la fois du bon sens, et de ce que l’on commence à comprendre des synergies alimentaires (dont je vous ai déjà parlé) :

  • Manger les aliments « dans le bon ordre » au cours d’un repas ;
  • Petit-déjeuner salé et éventuellement finir par un aliment sucré ;
  • Renouer avec les fibres des légumes et des fruits ;
  • Cesser de faire la « chasse aux calories » ;
  • Marcher après un repas chargé (elle réinvente la « promenade digestive ») ;
  • Etc.

Bref, autant de conseils que vous connaissez déjà, si vous êtes un tant soit peu familier des approches sensées de nutrition, et/ou que vous lisez régulièrement mes lettres.

Mais pour de nombreuses personnes biberonnées au sucre et qui ne s’étaient jamais demandé pourquoi elles grossissaient et se sentaient fatiguées après un petit-déjeuner de crêpes au nutella… c’est, en effet, une « révolution ».

Le conseil « en plus » de Jessie Inchauspé consiste à boire une cuillère de vinaigre avant chaque repas, alléguant que son acide acétique permettrait de faire naturellement baisser la glycémie.

Pas forcément très ragoûtant mais, selon elle, c’est « l’ingrédient qui vous permettra de manger un dessert sans en subir les conséquences » (!).

Début mai est sorti son nouveau livre : La Méthode Glucose Goddess [2]. En quelques heures les premiers exemplaires se sont arrachés en pré-commande !

Pour les réseaux sociaux et des magazines de mode, la messe est dite : Jessie Inchauspé est le nouveau « gourou de la nutrition », qui vous déculpabilise de manger du sucre et des calories :

Le « gourou anti-régime », couverture du magazine féminin américian Bustle

Le mérite de la « déesse du glucose » est donc d’avoir porté à l’attention d’un tout nouveau public la question de l’addiction au sucre et, surtout, de ses effets néfastes sur le métabolisme.

Alors, on peut trouver son approche « légère », d’accord.

Mais malheureusement, sorti de la dimension « alerte au sucre », son approche n’est pas seulement légère… elle pose plusieurs problèmes à ne pas prendre, eux, à la légère !

Consternation dans la communauté scientifique

Le succès insolent des publications de Jessie Inchauspé ne fait pas que des heureux.

Et les mécontents sont… des scientifiques !

Plusieurs magazines se sont faits l’écho des griefs de la communauté scientifique à l’encontre de la « déesse du glucose », comme, en France, L’Express [3] :

Ou, en Suisse, L’Illustré [4] :

Que lui reprochent donc les scientifiques et médecins cités dans ces articles ?

Eh bien, d’abord la promesse affichée par Jessie Inchauspé non pas seulement de réduire les fringales et les coups de mou… mais d’améliorer et de prévenir toutes sortes de problèmes : « acné, vieillissement prématuré, infertilité (…) diabète de type 2, les cancers ou les maladies cardiaques. »

En réalité, souligne le Pr Jean-François Gautier, président de la Société française de diabète, prétendre prévenir le diabète en réduisant les pics glycémiques est « tout à fait spéculatif [5] ».

Pire, pour le Pr Pascal Crenn, médecin nutritionniste, le lien entre pics glycémiques et cancer ou Alzheimer sont « des allégations qui ne reposent pas sur grand-chose [6] ».

En somme, le principal reproche qu’ils lui font est celui d’une simplification à outrance : la « déesse du glucose » ne mentionne pas, en effet, que l’insulino-résistance ne s’installe pas uniquement parce qu’on consomme trop de sucre… mais pour des raisons multiples impliquant l’âge, la sédentarité ou encore la génétique !

Cette simplification est particulièrement problématique, selon eux, en ce qui concerne le vinaigre, dont Jessie Inchauspé fait une sorte d’antidote miracle à une glycémie trop haute.

Pourtant, cette dernière allégation, comme tant d’autres, repose sur les quelque 300 notes d’études scientifiques, mais « biaisées » pour certaines (comme celle sur le vinaigre), ou un peu trop librement interprétées par l’influenceuse.

La « déesse du glucose » ne voit pas l’éléphant dans la pièce

Au-delà du sérieux scientifique des livres de Jessie Inchauspé, dont on peut toujours débattre, il y a dans son approche trois autres problèmes, autrement plus graves.

Le premier problème, c’est précisément son obsession pour le glucose !!!

Jessie Inchauspé elle-même nous incite à « ne plus compter les calories » – ce qui est un bon conseil dans l’absolu.

Mais à la place, elle nous invite à avoir les yeux en continu sur ses taux de glucose sanguin.

Or, à se concentrer ainsi sur une seule et unique dimension de l’alimentation – surveiller et « aménager » le pic de glycémie – on ne voit pas l’éléphant dans la pièce : une alimentation saine, ça n’est pas qu’une affaire de glycémie !!!

Vous allez comprendre où je veux en venir en regardant les graphiques ci-dessous, issus de son site Instagram ; ce sont ces graphiques qui nourrissent abondamment ses deux livres :

Sur ces graphiques vous avez ce qui a fait le succès de la « déesse du glucose » : elle présente en haut le pic de glycémie provoqué par un aliment et, en bas, le pic de glycémie provoqué par le même aliment, mais consommé en même temps qu’un autre.

N’y a-t-il rien qui vous choque ?

Oui, c’est exactement ça : ces graphiques donnent l’impression que, consommé avec un verre de vinaigre ou des brocolis rôtis, manger un croissant, un croque-monsieur ou une glace devient « sain ».

Et c’est l’écrasant problème de cette méthode, focalisée uniquement sur le pic de glycémie : elle ne prend pas en compte les problèmes potentiels provoqués par toutes les autres composantes de ces aliments.

Ainsi manger un croissant, ça n’est pas « seulement » provoquer un pic de glycémie : c’est consommer un aliment très chargé en graisses et, la plupart du temps malheureusement, des graisses produites industriellement, autrement appelées « graisses trans ».

Manger un croque-monsieur n’est paradoxalement pas ce qui provoque le pire pic de glycémie, malgré ce que montre son graphique : c’est en revanche une bombe calorique (jambon + fromage fondu), doublée d’un « shoot » de gluten, puisque le pain employé est le pire que vous pouvez manger, un pain de mie, sans aucun intérêt nutritif et gorgé de « poison blanc », c’est-à-dire de farine blanche industrielle.

Idem, manger une glace, c’est effectivement un spectaculaire pic de glycémie, mais ce n’est pas le seul défaut des glaces industrielles, dont le cornet est la plupart du temps fait de biscuit industriel ; en outre le graphique ne s’attarde pas sur le moment où consommer une glace : or, consommée en dessert, elle déglingue la digestion en « refroidissant » brusquement le bol alimentaire.

Êtes-vous prêt à avaler n’importe quoi ?

Alors, je comprends la démarche de la « déesse du glucose » : par son approche elle entend déculpabiliser son public.

C’est son grand discours : « continuez à manger comme avant, mais en prenant juste du vinaigre avant ou en même temps ».

Sauf que si « manger comme avant », c’est se gaver de croissants, de glaces et de croque-monsieur, ce conseil est bon pour la corbeille : il laisse l’impression, erronée, que les « méfaits » de ces aliments transformés sont compensés par un cocktail de vinaigre ou une part de brocolis !

Or le problème de ces aliments est, loin, très loin, de se résumer au pic de glycémie qu’ils provoquent : ils sont bourrés de mauvaises graisses, d’édulcorants, de conservateurs, de gluten, j’en passe et des pires !

Tout autant de « propriétés » associées à l’augmentation inquiétante des maladies métaboliques en Occident, sans parler des cancers et des maladies neurodégénératives (les mêmes maladies qu’elle prétend « prévenir » avec sa méthode !!!).

Cette « méthode » a donc bel et bien un effet pervers en ce sens qu’elle fait passer des vessies (des aliments catastrophiques) pour des lanternes (des aliments « assainis »).

Pire encore que vous inciter à avaler n’importe quoi, elle donne des conseils nutritionnels aberrants.

C’est le deuxième problème.

Regardez le graphique ci-dessous :

La « déesse du glucose » prend pour base un aliment effectivement sain : le matcha.

Elle met en exergue le pic de glucose provoqué par le matcha associé au lait d’avoine.

Le lait d’avoine n’est pas la panacée, c’est vrai ; comme tous les « faux laits », tirés de substances végétales, ils est bourré de sucres ajoutés.

Mais au lieu de remplacer le lait d’avoine par de l’eau, tout simplement – c’est comme cela qu’on le prépare traditionnellement au Japon – elle y substitue… du lait de vache, ce qui est pire !

Tous les laits animaux sont remplis d’hormones de croissance, et de tous, le lait de vache est le pire, avec ses taux stratosphériques d’IGF-1, qui augmentent et aggravent l’inflammation, et sont associés à des risques accrus d’arthrose et de cancer ; pire encore le lait de vache est associé à un risque – ô suprême ironie – de développer le diabète [7].

Jessie Inchauspé l’ignore-t-elle lorsqu’elle « conseille » ainsi à ses ouailles de remplacer comme si de rien n’était du l’ait d’avoine par du lait de vache ?

Mais le caractère absolument aberrant de ces conseils nutritionnels ne s’arrête pas là.

Pour qui la « déesse du glucose » roule-t-elle vraiment ?

Dans les « conseils santé » quotidiens de cette jeune gourou nutrition à la mode, on trouve des choses pour le moins… étonnantes.

Jugez plutôt :

Vous ne rêvez pas : elle fait la promotion de soda industriel.

Une fois de plus, on peut y voir son obsession pour la glycémie : évidemment ces deux formes de soda provoquent sur le moment un faible pic de glycémie, comparé à un soda « classique ».

Le problème, c’est qu’à long terme, ils provoquent encore davantage de diabète de type 2, par un mécanisme pervers que j’ai déjà décrit dans une précédente lettre[8].

Là encore, Jessie Inchauspé, qui se prétend biochimiste et nutritionniste, l’ignore-t-elle…

… ou fait-elle simplement la promotion d’un géant de l’agro-alimentaire ?

On pourrait tout à fait le croire au vu de ses autres « conseils » :

Ici, Jessie Inchauspé fait explicitement la promotion de confiseries industrielles, et des frites de fast food, deux des pires exemples en matière d’aliments ultra-transformés produits industriellement par les géants de la malbouffe :

  • Les confiseries sont truffés de colorants associés, selon la couleur, à l’hyperactivité, des cancers et même des dommages irréparables à l’ADN[9];
  • Et pour les fast foods… Dois-je vraiment vous faire un dessin ????

Ce n’est pas du tout là un accident de parcours : on retrouve bien d’autres produits de géants de l’agro-alimentaire parmi les « conseils » nutrition de la « déesse du glucose » :

À chaque fois, le mécanisme est le même : la « déesse du glucose » incite ses deux millions de followers à consommer ces produits de grandes marques industrielles avec un simple « conseil » (le moment où vous le mangez, du gin soda à la place de gin tonic…).

Les marques concernées doivent apprécier ces coups de pub gratuits… mais sont-ils vraiment gratuits ?…

Il s’agit de « health washing » : par ce procédé on prétend rendre sains des produits industriels aux conséquences catastrophiques à long terme sur la santé.

En toute franchise, je ne pense pas que cette jeune femme soit cynique, ni qu’elle soit vendue à l’industrie agroalimentaire.

Simplement, elle souffre du problème de nombreux « gourous » dans le domaine de la santé : ils sont obsédés par une seule et unique dimension de l’alimentation… qui les rend aveugles sur tout le reste, et les amène à donner des conseils absurdes, voire contre-productifs.

Focalisée qu’elle est sur les pics de glycémie, elle ne se rend pas compte (du moins je lui souhaite car si elle en a conscience, c’est pire !) que ses conseils et ses recettes n’ont aucun sens du point de vue nutritionnel, et entraîne ses lecteurs sur une pente très glissante.

Et comme ils sont plus de deux millions à suivre quotidiennement ses « graphiques » et à prendre pour argent comptant ses deux livres…

… je vous laisse imaginer l’onde de choc de ces recommandations diffusées à si grande échelle !

Pour ne pas vous laisser embarquer par ces influenceurs des réseaux sociaux qui s’improvisent en spécialistes de nutrition santé, laissez-moi vous donner deux conseils.

Premier conseil : fuyez les « méthodes » qui misent tout sur UN aspect de l’alimentation

Jessie Inchauspé, comme de nombreux « gourous » avant elle, prétend améliorer votre santé en ajustant un seul et unique aspect de votre alimentation.

En l’occurrence, votre glycémie.

Mais elle a de nombreux prédecesseurs, qui prétendent tout améliorer, au choix :

  • En supprimant le gluten
  • En suppriment le sel
  • En adoptant une « alimentation paléo »
  • En ne mangeant que des fruits et légumes crus (crudivorisme)
  • Etc.

Ces modes alimentaires sont à l’origine de toutes sortes de régimes, qui peuvent être intéressants pour résoudre un problème précis, sur un temps circonscrit, mais qui en aucun cas ne constituent un modèle à adopter universellement.

Les succès des régimes à IG bas, des régimes cétogènes, des régimes paléo et tutti quanti reposent sur le mythe erroné qu’il suffit d’exclure ou de garder une seule sorte d’aliment pour améliorer la santé globale.

Jessie Inchauspé n’échappe pas à cette terrible illusion.

Second conseil : identifiez ce qui VOUS correspond

L’autre erreur de ces approches est de mettre tout le monde, petits, grands, hommes, femmes, gros, maigres, dans le même sac.

C’est insensé. Il n’y a pas d’autre mot.

Nous avons tous des ajustements à faire dans notre alimentation… mais ces ajustements ne seront pas les mêmes pour un jeune homme de 18 ans que pour une femme de 65 ans !

Ainsi, la méthode de Jessie Inchauspé peut avoir un intérêt réel pour une catégorie de personnes, et une seule : les prédiabétiques qui veulent retarder l’apparition effective d’un diabète.

Et encore, l’application de sa « méthode » devrait-elle se faire à la carte pour échapper à toutes les bêtises délétères pour la santé qu’elle préconise par ailleurs, comme la consommation de lait de vache, de céréales industrielles ou de menus de fast food.

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet

[1] Jessie Inchauspé, Faites votre Glucose Révolution, Robert Laffont, 2022

[2] Jessie Inchauspé, La Méthode Glucose Goddess, Robert Laffont, 2023

[3] Stéphanie Benz, « « Spéculatif », « très gênant »… Jessie Inchauspé, la « déesse du glucose » qui agace les scientifiques », L’Express, 29 avril 2023, https://www.lexpress.fr/sciences-sante/speculatif-tres-genant-jessie-inchauspe-la-deesse-du-glucose-qui-agace-les-scientifiques-2UB2I3GQXFD5FHUI2QSONVC4E4/

[4] Francesca Sacco, « «Glucose révolution», le nouveau régime minceur, vraiment? », L’illustré, 11 novembre 2022 https://www.illustre.ch/magazine/glucose-revolution-le-nouveau-regime-minceur-vraiment-545013

[5] L’Express du 4 mai 2023, p.64

[6] L’Express, art.cit., p.65

[7] Ania Nussbaum, « Le lait est-il bon pour la santé ? », Le Monde, 12 février 2015, https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/02/12/faut-il-boire-du-lait_4574590_4355770.html

[8] Rodolphe Bacquet, « Coca et kola sont dans un bateau », Alternatif Bien-Être, 28 janvier 2022, https://alternatif-bien-etre.com/alimentation/coca-et-kola-sont-dans-un-bateau/

[9] Eric Müller, « Dragées M&M’S: la couleur à ne jamais manger », Néo-Nutrition, https://neo-nutrition.net/dragees-mms-la-couleur-a-ne-jamais-manger-2/