(le roquefort est même un aliment anti-âge)

Chers amis,

Une fois n’est pas coutume, je vous adresse aujourd’hui une lettre au goût… patriotique.

Le « génie français », vous le savez, ne s’exprime pas seulement dans la littérature, la philosophie des Lumières ou la musique, il s’exprime aussi dans la « science » du fromage.

Oui, oui, la science du fromage, j’assume ce mot !

Une passionnante recherche effectuée par des chercheurs français et publiée dans Current biology « décortique » les lignées génétiques des champignons microscopiques à l’origine des fermentations du camembert et du roquefort[1].

Leur étude nous explique comment l’homme a « domestiqué » ces champignons et a pu faire de ces fromages des produits sains.

Je ne suis pas en train de vous conseiller de vous précipiter sans retenue sur votre plateau de fromages.

Vous allez cependant comprendre que certains fromages, quand ils sont de bonne qualité et fabriqués selon certaines règles, ne méritent pas la mauvaise réputation qu’on leur fait.

L’un d’entre eux serait même un allié inattendu contre le vieillissement !

Pourquoi faire fermenter le lait ?

Bien avant l’invention de la réfrigération et de la congélation, la première méthode de conservation des aliments inventée par l’homme a été la fermentation.

Dans une précédente lettre je vous avais en détail raconté comment, il y a 5000 ans, des populations avaient, grâce aux grains de kéfir, « résolu » le double problème :

  • de la conservation des produits laitiers, rapidement périssables ;
  • mais aussi de leur consommation, alors que ces individus ne digéraient plus le lactose.

Lorsque l’on est enfant, c’est une enzyme, appelée la lactase, qui nous permet de digérer le lactose contenu dans le lait. Mais, au bout de quelques années, nous perdons cette enzyme.

C’est pourquoi de nombreux adultes ne digèrent plus le lait.

Il y a plus de 5000 ans, des tribus nomades d’Asie centrale avaient donc trouvé la solution pour continuer à consommer des produits laitiers, même adultes : en mettant des « grains de kéfir » dans le lait. 

Ces « grains de kéfir » sont en fait un ensemble de levures et de bactéries qui « digèrent » le lactose à la place de l’homme… lequel consomme par conséquent une sorte de produit laitier prédigéré.

Le principe de fabrication d’un fromage traditionnel repose sur le même principe : un champignon particulier est injecté dans le lait et c’est sa multiplication qui va créer le fromage, lui donner son goût, sa texture, sa couleur.

Selon le champignon que vous injectez, vous n’obtiendrez évidemment pas le même type de moisissure et donc pas le même fromage.

Comment le camembert est devenu un « fromage sain »

Dans le cas du camembert, le champignon en question a pour nom Penicillium camemberti.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le camembert n’a pas toujours été blanc. Il était, jusqu’au début du siècle dernier, de couleur gris-vert.

C’est un entrepreneur du nom de Georges Roger qui, à la fin du XIXè siècle, sélectionna sur un brie une souche blanche particulière de champignon, qu’il fit se reproduire de façon isolée, et dont il se servit ensuite pour ensemencer le brie, puis le camembert.

Ce sont ces spores de Penicillium camemberti qui donnent au brie et au camembert leur croûte blanche et soyeuse.

Ce champignon, au microscope, se révèle sous la forme d’un pinceau… D’où ce nom de famille de « penicillium » dans lequel vous reconnaîtrez également la pénicilline, le tout premier antibiotique découvert par Alexander Fleming il y aura bientôt cent ans.

Le camembert, comme de nombreux autres fromages, est donc une sorte d’antibiotique naturel…

…réalité que l’étude parue dans Current Biology confirme à un point auquel les chercheurs eux-mêmes, de leur propre aveu, ne s’attendaient pas.

Car Penicillium camemberti, disent-ils, n’a pas pour seul effet de rendre le camembert et le brie blancs et cotonneux…

… ni de leur donne leur texture, leur odeur et leur goût caractéristiques…

… il empêche tous les autres champignons contaminants de s’installer et de proliférer dans le fromage !

Les chercheurs se sont rendu compte qu’à l’état naturel, Penicillium camemberti est un champignon comme les autres… et même plutôt désavantagé pour se reproduire « sauvagement ».

Mais, cultivé dans le produit laitier :

  • il perd non seulement sa capacité de produire une substance potentiellement toxique, l’acide cyclopiazonique (ou CPA)
  • mais il joue un rôle protecteur en inhibant la contamination de produits toxiques extérieurs.

On pourrait se dire : « la nature est bien faite ».

Mais ce n’est pas que la nature justement.

Il s’agit bien d’une domestication par l’homme d’un champignon, dans un intérêt à la fois gustatif et sanitaire.

L’homme a procédé, avec ce champignon, exactement comme avec certaines races de chiens domestiques, de poules, etc., il a « sélectionné » chez ce champignon les caractéristiques qui l’intéressaient :

  • il est plus blanc (avantage esthétique)
  • il se reproduit plus vite (avantage alimentaire)
  • il est beaucoup plus compétitif et exclut donc les « mauvais champignons » (avantage sanitaire).

Encore plus fort : le roquefort !

La plupart des champignons intervenant dans la fermentation des fromages français sont de la famille des Penicillium.

Le Saint-Marcellin et la rigotte de Condrieu, par exemple, sont colonisés par des spores de Penicillium caseifulvum, très proches de camemberti, mais donnant à ces fromages une couleur plus grise.

Le roquefort, quant à lui, et tous les fromages bleus, sont colonisés par… Penicillium roqueforti !

Ce champignon-là a pour particularité une très grande résistance au froid et à l’humidité[2].

Le Gorgonzola en Italie, le Fourme d’Ambert en France, le Stilton en Angleterre ou encore le Cabrales en Espagne « utilisent » des souches très proches.

La souche employée dans l’AOP Roquefort a cependant fait l’objet d’une autre étude, britannique celle-là, en 2013.

Ses conclusions peuvent paraître surprenantes : d’après ces chercheurs, le Roquefort… serait un aliment anti-âge[3] !

Comment est-ce possible ?

Une fois plongé dans un milieu acide – c’est-à-dire notre tube digestif – le roquefort développerait des vertus antiinflammatoires, particulièrement efficaces pour :

  • prévenir l’athérosclérose, c’est-à-dire la formation de plaques d’athérome dans les artères ;
  • promouvoir la régénération des tissus touchés par l’inflammation ;
  • améliorer la réponse immunitaire en cas d’infection.

Ces chercheurs y voient même un élément déterminant pour expliquer ce qu’ils nomment le « french paradox » (le « paradoxe français »), c’est-à-dire le fait que les Français sont statistiquement moins touchés par les maladies cardiovasculaires, et d’une manière générale ont une longévité remarquable, en particulier dans le sud-ouest où la cuisine est riche en matières grasses.

Le vin, riche en resvératrol, un autre composé puissamment antioxydant, est généralement cité comme explication de ce « paradoxe ».

Les auteurs de cette étude, concluent quant à eux (c’est moi qui traduis) :

« Il est tentant d’affirmer que la consommation régulière de fromages fermentés à base de spores de champignons, en tant qu’élément-clé de la tradition gastronomique française, pourrait avoir un impact positif sur (…) la prévalence des maladies cardiovasculaires dans ce pays.

« Bien que cette affirmation soit très spéculative, il existe des preuves épidémiologiques que le sud de la France, une région historiquement associée à la production et à la consommation de Roquefort, possède des taux de mortalité cardiovasculaire remarquablement faibles. »

Si même les Anglais le disent…

Le génie français, vous disais-je !

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet


[1] Ropars, J., Didiot, E., Rodriguez de la Vega, R., et al. (2020). Domestication of the emblematic white cheese-making fungus penicillium camemberti and its diversification into two varietes. Current Biology 30(22) : pp. 4441-4453. Doi : https://doi.org/10.1016/j.cub.2020.08.082

[2] Ropars J., Caron, T., Lo, Y. et al. (2020). Comptes Rendus Biologies : la domestication des champignons Penicillium du fromage. Institut de France, Académie des sciences : 343(2), pp. 155-176. https://doi.org/10.5802/crbiol.15

[3] Petyaev, I. M., Zigangirova, N. A., Kobets, et al. (2013). Roquefort cheese proteins inhibit Chlamydia pneumoniae propagation and LPS-induced leukocyte migration. The Scientific World Journal 140591. https://doi.org/10.1155/2013/140591