Chers amis,

Nous sommes encore loin de Noël, et plus loin encore de l’Épiphanie, mais j’aimerais commencer cette lettre dominicale par cette scène :

« Ils entrèrent dans la maison, ils virent le petit enfant avec Marie sa mère, se prosternèrent et l’adorèrent. Ils ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe.[1] »

Vous avez peut-être reconnu un extrait de l’Évangile selon Saint-Matthieu.

C’est du deuxième cadeau des mages à Jésus dont j’aimerais vous parler aujourd’hui : l’encens.

Plus précieux que l’or

A des yeux profanes, le premier cadeau des mages, l’or, peut sembler plus précieux que les deux suivants, qui sont des résines végétales.

Mais ce n’est pas le cas, ni dans le symbole… ni au « cours » de l’or à l’époque !

L’or symbolise le prestige terrestre du roi des rois. L’encens, sa nature divine. La myrrhe, qu’il reste… un mortel.

L’encens était donc le cadeau touchant directement au sacré ; et à l’époque où se passe la scène, il y a 2000 ans, le sacré était la dimension la plus importante de la vie, et de la société.

Il serait donc faux de dire que l’encens valait de l’or… il valait davantage !

Une résine adoptée dans toutes les traditions sacrées

L’encens, également appelé Oliban, est la résine d’un arbre originaire de la péninsule arabique : le Boswellia.

Connue depuis des millénaires, son emploi a toujours étroitement associé au spirituel et au sacré.

Les Anciens Égyptiens s’en servaient au cours de la momification : il stoppait la décomposition du corps éviscéré et lui évitait de développer des odeurs putrides.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, aujourd’hui encore, vous entendez que des parfums comme ceux de l’encens « embaument » une pièce, par exemple : c’était réellement leur fonction ! L’encens permettait vraiment d’embaumer les cadavres.   

Mais, vous le savez, c’est surtout brûlé que l’encens a conquis le monde : une fois récoltée puis séchée, cette résine aromatique dégage en effet, lorsqu’elle se consume, une fumée qui « embaume » donc les lieux.

Aller-retour européen via l’Asie

L’encens a gagné les temples et les lieux sacrés de l’Europe dès le temps d’Alexandre le Grand, dont des compagnons ont découvert l’arbre et la résine au cours d’une expédition au quatrième siècle avant notre ère.

Les Romains puis l’Église catholique en ont perpétué l’usage en Europe, trouvant dans cette fumée qui s’élève vers les cieux un point commun avec la prière qui s’adresse au ciel.

De façon assez cocasse, on ne doit pas seulement aux Grecs l’importation de l’encens en Europe : on leur doit aussi son succès en Asie !

En ouvrant les premières grandes routes maritimes, les Grecs permirent en effet à l’encens de coloniser le sous-continent indien, puis la Chine, le Japon… jusqu’à ce que, de nos jours, des centaines de milliers de batônnets fument jour et nuit dans les temples bouddhistes, dans les maisons pour rendre hommage aux ancêtres :  ils ont une fonction purificatrice et sont considérés comme permettant d’établir un lien entre les vivants et les morts.

Il est assez cocasse qu’après avoir été peu à peu oublié en Europe avec le déclin de l’Église, l’encens y soit redevenu populaire à la faveur du mouvement hippie et de l’engouement pour la spiritualité zen dans les années 1960. Le rituel de brûler de l’encens a ainsi fait un aller-retour en Asie : parti avec les Grecs, il est revenu chargé d’une spiritualité orientale.

Les fidèles des lieux de culte sont-ils « shootés » à l’encens ?

Le succès millénaire de l’encens sur le terrain sacré, que ce soit dans les églises chrétiennes, les temples bouddhiques ou les autels de cultes aux ancêtres, pourrait – outre son odeur – tenir à ses vertus psychoactives.

Oui, l’encens est une substance psychoactive au même titre, par exemple, que le cannabis !

En 2015, l’Angleterre a failli bannir l’encens, reconnu capable de « stimuler ou d’inhiber le système nerveux central d’un individu » et « affectant les fonctions mentales ou émotionnelles »[2] !

Cette loi, la Psychoactive Substances Bill, a finalement fait une exception pour les encens, au même titre que… le café et le tabac, également reconnus comme substances psychoactives.

L’encens est-il pour autant une drogue ?

A mon avis, non, car à ma connaissance il ne provoque pas de dépendance ; toutefois sa dimension psychoactive a fait l’objet de recherches, notamment pour son potentiel dans le traitement de la dépression.

Des recherches ont en effet démontré que l’acétate d’encens – un constituant chimique du boswellia – activait des neurotransmetteurs impliqués dans les échanges nerveux et en particulier dans la régulation de l’humeur[3].

Autrement dit… l’encens agirait exactement sur les mêmes ressorts que les médicaments anxiolytiques !

Ce ne sont pas les seules surprises de l’encens.

Un remède contre l’arthrose, l’asthme et la maladie de Crohn ?!

En Inde, on ne fait pas que brûler la résine du boswellia : c’est un remède ayurvédique connu et employé de longue date pour ses vertus analgésiques et anti-inflammatoires.

Associé au curcuma en traitement de fond, il stimulerait la circulation et soulagerait les douleurs d’arthrose.

Les praticiens ayurvédiques peuvent également l’employer en fumigation pour apaiser les nausées, les indigestions, l’hypertension ou la toux[4].

En 2008, une revue des essais cliniques menés sur des extraits de boswellia serrata (soit la même sorte de boswellia que celle utilisée en médecine ayurvédique) a effectivement démontré leur efficacité clinique dans le traitement de l’asthme, de l’arthrite rhumatoïde, de la maladie de Crohn et la colite collagène.

Bref, des maladies inflammatoires soulagées et améliorées par la résine d’encens !

Vous l’avez compris, je ne parle pas de bâton d’encens que l’on fait brûler : n’espérez pas soigner votre arthrose du genou ainsi !

Il y a, du reste, un autre problème de taille au sujet de ces bâtonnets.

La fumée d’encens, pire que celle de la cigarette ?

En 2015, l’UFC Que Choisir avait publié un article alarmant au sujet des COV (Composés Organiques Volatils) dégagés par les bâtons d’encens lors de leur combustion.

Les conclusions ont de quoi faire frémir, d’autant que d’autres expertises, menées deux ans plus tard par CSTB (Centre scientifique et technique du Bâtiment) et l’Ineris (Institut national de l’environnement industriel) pour le compte de l’Ademe, les confirmaient :

« L’utilisation des bâtons d’encens se traduit par des concentrations élevées en benzène, toluène, formaldéhyde, acétaldéhyde et acroléine, ainsi qu’en HAP (hydrocarbures aliphatiques polycycliques) et en particules[5] »

Si l’on en croit ces conclusions, brûler un bâton d’encens dégagerait donc un cocktail de particules fines et de substances cancérigènes qui ferait passer la fumée de cigarette pour une fraîche et pure brise alpine.

D’ailleurs en 2015 une autre étude concluait qu’inhaler de la fumée d’encens était plus nocif que le tabagisme passif[6] !

Ne nous arrêtons pas en si bon chemin. D’après une étude de 2022, respirer de la fumée d’encens pourrait augmenter le risque de développer des pathologies respiratoires et cardiovasculaires, ainsi que des problèmes dermatologiques et d’allergies… Un comble quand on sait que l’extrait d’encens peut améliorer l’asthme !

Après combustion, les cendres du bâton contiendraient par-dessus le marché des métaux lourds toxiques et polluants[7].

Diantre ! Fichtre ! Mais alors depuis des siècles, que dis-je, des millénaires, on brûlerait dans les églises et les temples du Tibet de dangereuses substances cancérigènes ?

Rassurez-vous : non.

En réalité l’explication est simple : l’encens que les mages ont, selon la tradition, offert il y a 2000 ans à l’enfant Jésus, n’a plus grand’ chose à voir avec ce que l’on entend par « encens » aujourd’hui.

L’encens est en effet devenu un terme générique pour désigner tout un tas de produits manufacturés que l’on brûle, et qui ne contiennent plus que très peu, voire plus du tout, de résine de boswellia.

Malheureusement, la législation en vigueur est très peu contraignante pour les fabricants et les vendeurs de bâtonnets parfumés – les « parfums » en question étant très souvent issus de produits de synthèse, comprenant des colorants industirels, du salpêtre, du charbon et de la sciure de bois.

Pour réduire les risques, vous pouvez être attentif aux critères suivants :

  • Une indication « 100% naturel » est, en principe, gage de non-toxicité ;
  • Le prix : des bâtonnets pas chers sont, systématiquement et à coup sûr, des bâtonnets comprenant des produits chimiques ;
  • La fumée qui se dégage doit être la plus claire possible, presque blanche.

Par ailleurs n’oubliez pas, quoi qu’il arrive, d’aérer la pièce peu de temps après la combustion.

Si vous avez des conseils d’utilisation ou d’endroit(s) où trouver un encens de qualité, n’hésitez pas à les partager en commentaire.

Portez-vous bien,

Rodolphe


[1] La Bible, Matthieu, 2.11

[2] M. Guérin, « Produit psychoactif : les encens d’église pourraient être interdits », Pourquoi docteur ?, 17 septembre 2015 ; disponible ici : https://www.pourquoidocteur.fr/Articles/Question-d-actu/12125-Produit-psychoactif-les-encens-d-eglise-pourraient-etre-interdits

[3] https://www.sciencedaily.com/releases/2008/05/080520110415.htm

[4] L. de la Reberdière, « Résine de Boswellia : de l’inflammation à la dépression », Plantes & santé, 22 novembre 2016 ; disponible ici : https://www.plantes-et-sante.fr/articles/plantes-medicinales/2183-resine-de-boswellia-de-linflammation-a-la-depression

[5] https://www.quechoisir.org/actualite-encens-et-bougies-le-plein-de-pollution-confirme-n46332/#:~:text=%C2%AB%20La%20combustion%20d’encens%20et,alarmantes%20de%20%C2%AB%20Que%20Choisir%20%C2%BB.

[6] Zhou, et al., «Higher cytotoxicity and genotoxicity of burning incense than cigarette», Environmental Chemistry Letters, 2015

[7] Yadav, Gnanamoorthy, Choudhary, Singh, «The positive and negative aspects of incense sticks manufacturing, burning and disposal on human and environment», World Journal of Pharmaceutical Sciences, 2020.