Chers amis,

Il y a peu de chance que le couronnement, il y a huit jours outre-Manche, du nouveau roi Charles III vous ait échappé.

Personnellement, je n’ai pas suivi cette cérémonie et me suis encore moins rendu à Londres pour y assister, mais j’ai vu quelques photos dans la presse le lendemain.

Ce faste et cette pompe sont pour les uns l’émouvante expression d’une fière et noble tradition nationale, et pour les autres une mascarade ampoulée servant de vitrine à une institution archaïque.

Tout cela me passe un peu au-dessus de la tête, je dois vous l’avouer.

J’y vois du folklore, ni plus ni moins ridicule que celui qui pousse les membres de notre Académie française à se pavaner en habit brodé, épée au côté !

Un étrange détracteur

La monarchie britannique et son décorum pittoresque feront toujours briller les yeux de ses admirateurs, et lever au ciel ceux de ses détracteurs.

Et Charles III, en héritant de la couronne, a hérité d’un sacré lot de détracteurs.

Parmi ces derniers, on compte un médecin allemand, Edzard Ernst, qui a publié cette semaine dans L’Express une tribune à charge contre Charles III.

Les critiques du nouveau monarque lui reprochent traditionnellement de ne pas avoir suffisamment la langue dans sa poche, autrement dit de n’avoir pas la même retenue que feu Sa Mère et de faire étalage sans filtre de ses opinions parfois excentriques.

Mais le Dr Ernst fait, lui, à Charles III un reproche plus surprenant : d’avoir nommé à la tête de la Royal Medical Household… un « adepte des thérapies alternatives »[1].

Damned ! La médecine alternative arrive au Palais de Buckingham !

La Royal Medical Household est, tout simplement, le cabinet médical attaché au souverain et à la famille royale de la Grande-Bretagne. Durant les 8 dernières années d’Elisabeth II, le poste était occupé par Sir Huw Thomas, qui a eu le triste honneur de constater la mort de la reine en septembre dernier.

Le prince de Galles, devenu roi, a nommé à ce poste un médecin qu’il connaît très bien : le Dr Michael Dixon, apparemment l’un des médecins les plus influents de Grande-Bretagne[2].

À présent qu’il est roi, Charles III devra s’habituer à ce que, encore plus que par le passé, le moindre de ses faits et gestes soit scruté, chirurgicalement analysé et impitoyablement commenté…

Cependant cette offensive du Dr Ernst peut à première vue paraître excessive : après tout, Charles III nomme bien qui il veut pour le soigner !

Et excessive, elle l’est effectivement. Non pas à cause de Charles III… mais à cause du Dr Ernst lui-même, qui se voit, comme au temps des chevaliers de la Table Ronde, investi d’une sainte mission : pourfendre la médecine alternative.

Et la nomination du Dr Dixon est à ses yeux une sorte de reconnaissance officielle par le roi – et même du lobbying déguisé – des « pratiques de soin non conventionnelles » que lui, le Dr Ernst, considère rageusement comme de la charlatanerie.

Le « roi de la médecine alternative »

L’intérêt de Charles III pour la médecine intégrative (c’est-à-dire une médecine conjuguant le meilleur de la médecine allopathique et de la médecine « complémentaire ») n’a rien d’une nouveauté et le fait que le roi nomme à son service un médecin partageant ses idées n’a rien de surprenant.

En réalité, la violente et amère tribune du Dr Ernst parue dans L’Express n’est que le dernier avatar d’une longue série d’attaques dirigées contre Charles III dont il est devenu le spécialiste monomaniaque.

Charles III est en effet un défenseur affiché et ardent de pratiques jugées « non-conventionnelles » par… les médecins conventionnels !

Le journal The Economic Times l’appelle même le « Roi de la médecine alternative » dans un article[3] rappelant son militantisme en faveur de l’homéopathie, de l’ayurvéda et de la phytothérapie :

  • Pour soigner son covid, il a eu recours à des remèdes homéopathiques et phytothérapeutiques;
  • Dans ses propres élevages bovins et ovins il lutte contre l’antibiorésistance (la résistance croissante des bactéries aux antibiotiques ; or de nos jours dans les élevages intensifs les bêtes sont « préventivement » traitées par injections d’antibiotiques) en traitant les infections avec de l’homéopathie ;
  • Il a inauguré à Londres en 2018, en compagnie du premier ministre indien Narendra Modi, un centre d’ayurvéda afin de faire se rapprocher la médecine traditionnelle indienne et la recherche médicale occidentale, basée sur des preuves.

La sensibilité de la famille royale aux « médecines alternatives » dépasse en fait Charles III : Elisabeth II elle-même avait son homéopathe attitré, le Dr Peter Fisher, qui n’était rien moins que le président de la faculté d’homéopathie du pays[4] (il est décédé accidentellement en faisant du vélo à Londres, une activité en effet si dangereuse qu’elle m’a coûté une rotule !).

Ce qui exaspère Edzard Ernst, c’est que Charles III fasse ouvertement la promotion de ces approches thérapeutiques : le prince de Galles fut président d’une fondation pour la médecine intégrative durant près de 20 ans (de 1993 à 2010).

Cette fondation encourageait l’emploi, dans les circuits classiques hospitaliers, des plantes médicinales, de l’homéopathie, ou encore du reiki et de la PNL (programmation neuro-linguistique).

Edzard Ernst présente d’un bloc toutes ces approches comme « allant à l’encontre de la science ».

Or cette fondation avait pour directeur médical un certain… Michael Dixon, celui-là même que Charles III vient de nommer à la tête la Royal Medical Household.

Deux vieux adversaires

Charles III et Michael Dixon partagent une même vision de la santé : ils défendent une médecine holistique, centrée sur le patient, et dans laquelle le rôle de ce dernier dans sa propre guérison est déterminant.

Pour eux, une approche thérapeutique doit combiner à la fois le corps et l’esprit, la médecine classique et la médecine complémentaire.

Ils luttent contre la tendance médicale – désormais majoritaire dans les pays occidentaux – qui consiste à considérer le corps du patient comme une machine à réparer, et militent pour ramener de la compassion et de l’humanité dans la relation entre le médecin et son patient.

Edazrd Ernst se situe à l’exact opposé de cette vision ; le problème est que sa propre vision est dépourvue de toute nuance : dans une interview pour L’Express (déjà) parue en octobre 2022, il considère l’homéopathie comme une « pseudoscience », le « bien-être » un repaire de « charlatans » et déclare sans ciller que « en matière de prévention, 100 % des progrès – et je n’exagère pas – proviennent de la médecine conventionnelle[5] » !

Pour lui, l’ostéopathie et la chiropraxie sont des arnaques et la naturopathie, une idéologie naïve qui considère que tout ce qui vient de la nature est bon (ce qui est prendre les naturopathes pour des imbéciles).

Ce discours édifiant et radical surprend d’autant plus lorsque l’on apprend qu’Edzard Ernst est « professeur de médecine complémentaire à l’université d’Exeter » !

Le Dr Ernst est en réalité un cas singulier de médecin, qui sous couvert d’analyser scientifiquement les « approches thérapeutiques complémentaires », en est devenu pour reprendre le terme de ses ex-confrères, le « fléau » : il passe son temps à brûler ce qu’il a adoré au début de sa carrière.

Plus troublant encore, Edzard Ernst et Michael Dixon ont collaboré ensemble par le passé pour œuvrer dans le même sens : « bâtir des ponts entre la médecine conventionnelle et la médecine dite alternative »… Collaboration que le Dr Ernst dit regretter[6].

En d’autres termes, les attaques du Dr Ernst, complaisamment relayées par L’Express, ressemblent fort à un règlement de comptes entre lui et le « couple » formé par Charles III et le Dr Michael Dixon (qu’Ernst désigne dans sa tribune comme un « simple médecin généraliste », si ça ce n’est pas de la mesquinerie !…)

Pourtant, cette énième charge d’Ernst contre les convictions en termes de santé publique de Charles III nous disent quelque chose d’important.

L’avenir de la médecine intégrative

Les arguments du Dr Ernst contre Charles III et la « médecine alternative » sont en effet régulièrement repris par certaines publications britanniques et françaises.

En Angleterre, The Scientist accuse ainsi Charles III d’être un roi « non scientifique[7] » ; en France, c’est donc L’Express, mais aussi Le Point, qui comptent parmi leurs marronniers les attaques contre les « médecines douces ».

Le Point, d’ailleurs, qui maîtrise tellement bien son sujet, que les journalistes y parlent de « médecine intégrée »… au lieu de médecine intégrative[8] !

Or c’est précisément ce que toute cette presse réagissant comme un chien Pavlov dès qu’elle entend les termes « médecine douce », « médecine alternative » ou « médecine complémentaire » n’a pas compris : la défense et l’exploration des bienfaits de la phytothérapie, de l’aromathérapie, de l’ayurvéda ou encore de l’homéopathie n’est pas une démarche s’érigeant contre la médecine la conventionnelle.

C’est au contraire une démarche visant à apporter le meilleur de toutes approches – conventionnelles et non conventionnelles – au-delà des querelles de chapelles, et au service de la santé du patient.

Et c’est le principe même de la médecine intégrative, défendue par Charles III et le Dr Charles Dixon, et dont le Dr Ernst ne comprend pas, ou refuse de comprendre, l’esprit de concorde.

Il lui oppose au contraire systématiquement les mêmes arguments (en gros : l’efficacité de ces méthodes n’est pas prouvée par la science, ce qui est une lecture tronquée de la pléthore d’études publiées ces dernières années), dans une logique de confrontation.

Pourquoi les défenseurs acharnés de la médecine conventionnelle rejettent-ils avec autant d’énergie et de mauvaise foi ce qui semble, à un nombre croissant de médecins et de soignants, comme l’avenir nécessaire du soin ?

Un mélange, sans doute, d’esprit de clocher, mais aussi d’intérêts financiers, le poids de la corruption de l’industrie pharmaceutique sur les milieux médicaux étant énorme[9].

Dans cette optique : les réactions paniquées et, je le dis franchement, peu crédibles du Dr Edzard Ernst, qui voit un fervent défenseur de la médecine intégrative rejoindre le Palais de Buckingham, démontrent assez que la situation hégémonique des inquisiteurs de la médecine allopathique commence à vaciller – en Angleterre, en tout cas.

Car Charles III et le Dr Dixon forment, en fin de compte, un couple patient-médecin en forme de poil à gratter pour les esprits médicaux les plus étroits : c’est en effet la profession de foi, au plus haut niveau de l’État britannique, que la santé et le soin ne sont pas une simple affaire de molécules pharmaceutiques.

Le prince de Galles était déjà connu pour ses convictions avant-gardistes : il a été l’un des premiers, et l’un des plus visibles, à s’inquiéter des questions environnementales, de la progression de l’antibiorésistance ; à développer, dans les endroits dont il avait la gestion, la biodynamie et l’agriculture biologique.

De telles approches pouvaient paraître fantasques il y a quarante ans – et c’est ainsi qu’elles ont été considérées – mais leur évidence s’est aujourd’hui imposée dans le débat public.

Gageons qu’il en sera de même pour sa conviction que la médecine intégrative est l’avenir de la santé.

Cette qualité de visionnaire compense suffisamment l’apparat vieillot de la couronne !

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet

[1] Pr Edzard Ernst, « Pour s’occuper de sa santé, Charles III nomme… un adepte des thérapies alternatives », L’Express, 9 mai 2023, https://www.lexpress.fr/sciences-sante/pour-soccuper-de-sa-sante-charles-iii-nomme-un-adepte-des-therapies-alternatives-VT6D3UWU2NEMRDGGBVEZO2Z3DQ/

[2] Alex Matthews-King, « GP leader appointed clinical champion for social prescribing », Pulse, 3 juin 2016, (en anglais), https://web.archive.org/web/20161220224336/http://www.pulsetoday.co.uk/home/finance-and-practice-life-news/gp-leader-appointed-clinical-champion-for-social-prescribing/20032206.fullarticle

[3] «The king of alternative medicine: King Charles III’s love for homeopathy, ayurveda and yoga», The Economic Times, 6 mai 2023, https://economictimes.indiatimes.com/news/international/world-news/the-king-of-alternative-medicine-king-charles-iiis-love-for-homeopathy-ayurveda-and-yoga/articleshow/100030238.cms

[4]« Peter Fisher, expert in alternative medicine and a Physician to the Queen – obituary », The Telegraph, 16 août 2018, https://www.telegraph.co.uk/obituaries/2018/08/16/peter-fisher-expert-alternative-medicine-physician-queen-obituary/ (en anglais)

[5] Recueilli par Stéphanie Benz et Thomas Mahler, « L’homéopathie est improbable, mais les magnétiseurs décrochent le pompon », L’Express, 19 octobre 2022, https://www.lexpress.fr/sciences-sante/sciences/pr-edzard-ernst-l-homeopathie-est-improbable-mais-les-magnetiseurs-decrochent-le-pompon_2182042.html

[6] « My (most forgettable) paper with Dr Michael Dixon », Blog de Edzard Ernst, 26 juin 2020, https://edzardernst.com/2020/06/my-most-forgettable-paper-with-dr-michael-dixon/ https://edzardernst.com/2020/06/my-most-forgettable-paper-with-dr-michael-dixon/

[7] Sophie Fessl, « The Unscientific King: Charles III’s History Promoting Homeopathy », The Scientist, 29 septembre 2022, https://www.the-scientist.com/news-opinion/the-unscientific-king-charles-iii-s-history-promoting-homeopathy-70544

[8] Erwan Seznec, « Edzard Ernst : celui qui accuse le roi Charles III de charlatanisme », Le Point, 14 septembre 2022, https://www.lepoint.fr/societe/edzard-ernst-celui-qui-accuse-le-roi-charles-iii-de-charlatanisme-14-09-2022-2489879_23.php

[9] Cf., pour la France et l’UE, La Santé en bande organisée, d’Anne Jouan et Christian Riché, Robert Laffont, septembre 2022