Chers amis,

La semaine dernière, je suis tombé sur la phrase suivante en lisant un ouvrage consacré à la maladie de Parkinson : « fumer du tabac et boire de café semblent protéger contre la maladie[1] ».

Arrêtez tout ! Fumer protègerait de Parkinson ? Fumer serait donc bon pour la santé ?!

Hopopopop, minute papillon.

Les choses ne sont-elles pas un peu plus compliquées que ça ?

En réalité, vous allez voir qu’elles sont même plus simples que cela.

Fumer, c’est mal !

Tout un chacun, y compris le malheureux fumeur qui aujourd’hui achète un paquet de cigarettes recouvert de messages culpabilisants et d’atroces photos, le sait : fumer, c’est mal.

Les pouvoirs publics et la plupart des médecins le répètent à l’envi, le message est passé, « fumer tue », alors pourquoi lit-on par ailleurs que fumer protège de Parkinson ? Ça, ça n’est pas marqué sur les paquets !

Eh bien, parce que les deux sont vrais : fumer tue… et fumer protège de Parkinson !

L’OMS attribue au tabagisme 8 millions de morts par an (y compris les victimes du tabagisme passif)[2], provoquées soit par l’artériosclérose, les maladies respiratoires ou les cancers imputables à l’habitude de fumer.

Parmi ces millions de morts, très peu, sinon aucun, n’est atteint de Parkinson.

L’association inverse entre tabagisme et Parkinson peut paraître choquante, mais elle est étayée par de nombreuses études scientifiques concordantes[3] et elle est reconnue en toutes lettres (« plus vous fumez, moins vous avez de chance de déclarer un Parkinson »), notamment, par l’APDA, l’Association américaine de la maladie de Parkinson[4].

Je comprends votre désarroi : fumer ou ne pas fumer pourrait se résumer, en termes de conséquences santé, à devoir choisir entre un risque accru de développer un cancer, et un risque accru de développer Parkinson !

Tout devient plus clair si l’on sépare la nicotine de la cigarette.

Il ne faut pas jeter la nicotine avec le paquet de cigarettes

La principale substance active du tabac est la nicotine.

Et le problème est qu’aujourd’hui, le grand public, encouragé par les autorités sanitaires, confond tout : tabac, nicotine, et cigarette.

La première coupable de cette confusion, c’est l’industrie du tabac.

L’hécatombe annuelle que cette industrie provoque a été nommée le « golden holocaust » dans une enquête journalistique parue il y a dix ans, qui dénonçait toutes les manœuvres pour rendre les cigarettes de plus en plus addictives pour le consommateur[5].

La cigarette qui est aujourd’hui achetée et consommée n’est plus qu’un vague ersatz de l’herbe naturelle séchée que fumaient les Indiens que rencontra Christophe Colomb lorsqu’il débarqua aux Antilles.

La nicotine dont profitaient ces premières populations adeptes du tabac n’était pas, comme aujourd’hui, noyée sous des centaines de substances chimiques.

Je reste toujours interdit quand on me dit que les fumeurs de cigarettes électroniques courent moins de risques pour la santé, car ces appareils diffusent encore plus de produits de synthèse !

Or ce sont ces 4000 substances chimiques – principalement les goudrons, les nitrosamines, l’acroléine et le monoxyde de carbone – qui sont responsables de millions de morts par an, et non la nicotine, qui, elle, ne provoque pas de maladie[6].

En résumé :

  • « fumer tue » : oui, mais ce sont les composés toxiques ajoutés par l’industrie du tabac qui tuent, et pas la nicotine ;
  • « fumer protège de Parkinson » : oui, mais c’est la nicotine, et seulement elle, qui offre cet aspect protecteur.

Regardons à présent d’un peu plus près cet effet de la nicotine, en essayant de faire abstraction de la cigarette et du tabagisme.

Nicotine et dopamine sont sur un bateau…

Je vous avais déjà écrit, il y a trois ans, au sujet des bienfaits méconnus de la nicotine, au moment où l’on se rendait compte que les fumeurs étaient plus résistants à l’infection au Covid que le reste de la population[7].

Je vous invite à consulter cette lettre, dans laquelle j’évoquais l’intérêt des feuilles de tabac en tant que plante médicinale, ainsi que comme « pont » entre le monde des hommes et celui des esprits, qu’elle constituait dans les sociétés américaines traditionnelles.

Tous ces effets sont dus à la nicotine, et les mêmes mécanismes sont en jeu dans la relation tabac/Parkinson.

Si vous connaissez un peu cette maladie, vous savez qu’elle se caractérise par la destruction irréversible des neurones dopaminergiques, c’est-à-dire des neurones produisant de la dopamine, un neurotransmetteur impliqué entre autres dans la régulation des mouvements et le système de récompense du cerveau.

Or la nicotine est un puissant stimulant de la dopamine.

C’est d’ailleurs la raison de sa dimension addictive : le sentiment de plaisir que crée le shoot de dopamine, pousse l’individu à retrouver cet effet (c’est ce qu’on appelle le circuit de la récompense).

Mais ce faisant, la nicotine contribuerait également à entretenir ces neurones dopaminergiques en les stimulant régulièrement – ce qui expliquerait son aspect protecteur contre Parkinson.

Nicotine et dopamine sont sur un bateau : qui tombe à l’eau ? Personne, car la nicotine retient la dopamine.

Peut-on profiter de ces bienfaits protecteurs sans fumer ?

La bonne nouvelle, c’est que la réponse est oui.

La mauvaise nouvelle… c’est que la méthode n’est pas autorisée en France.

En 2017, des chercheurs suédois ont en effet démontré l’effet protecteur de la nicotine et des feuilles de tabac contre Parkinson se produisait également avec le « snus » : une poudre de tabac qui se consomme un peu comme les feuilles de coca dans les Andes, en les plaçant entre la gencive et la lèvre supérieure.

Après 16 ans de suivi de 1200 personnes à risque de Parkinson, les chercheurs ont observé que l’usage de « snus » diminuait de 60% le risque de développer la maladie[8].

Autrement dit, vous avez le tabac et la nicotine, mais pas la combustion. Je ne saurais cependant vous affirmer que sa consommation est « saine » : si les substances carcinogènes sont moins présentes que dans la cigarette, elles ne sont pas tout à fait absentes pour autant, et les études sur le risque de cancer sont contradictoires[9].

Mais, à moins d’aller en Suède, vous n’en trouverez pas au tabac du coin : la vente en est interdite dans l’UE, à l’exception donc de la Suède (qui avait même posé comme condition à son entrée dans l’UE de pouvoir continuer à faire usage du snus !).

Peut-on renouer avec l’usage médicinal de la nicotine ?

En fait, le « snus », qui est en usage en Suède depuis le XVIIe siècle, est le cousin européen d’une pratique inventée et prescrite en France : le tabac à priser.

Le nom de « nicotine » vient du pharmacien Jean Nicot, qui prescrivait au fils de Catherine de Médicis le tabac sous cette forme pour calmer ses migraines.

Jean Nicot présentant la plante du tabac à la reine Catherine de Médicis.

À l’époque « fumer » n’était qu’un usage parmi d’autre des feuilles de tabac, qui se prenait frais ou bien séché, et aussi bien en décoction, cataplasme, en jus, en onguent, en huile ou en baume contre toutes sortes de maux.

Aujourd’hui cet usage médicinal des feuilles de tabac paraît non seulement saugrenu, mais scandaleux, tant le terme de nicotine est associé à celui de tabagisme.

Mais c’est un tort. Voici ce que la science nous dit aujourd’hui des bienfaits de la nicotine :

  • C’est l’un des plus puissants stimulants cognitifs aujourd’hui identifiés, améliorant l’attention, l’acuité visuelle, la mémoire de travail mais également la motricité fine[10] ;
  • C’est un « brûle-graisses » efficace, incitant le corps à brûler certaines cellules adipeuses[11] ;
  • La nicotine améliore les performances sportives – en tout cas d’après une méta-analyse de 10 études[12] ;
  • Les patchs de nicotine ont déjà montré leur efficacité comme outil de ralentissement du développement de la maladie d’Alzheimer chez les patients atteints de démence légère[13].

Les peuples autochtones ainsi que les pharmaciens du XVIIe siècle qui employaient le tabac comme herbe médicinale ne s’y étaient donc pas trompés.

Aujourd’hui, l’intérêt thérapeutique de la nicotine est démontré, en particulier dans le cadre des maladies neurodégénératives, Parkinson en tête.

Néanmoins le développement de traitements à base de nicotine se heurte à un obstacle immense : la nicotine souffre de son association avec la cigarette.

Il vous reste, heureusement… la nicotine présente (à de bien plus faibles doses, certes) dans les poivrons, les aubergines, et les tomates ; et ça tombe bien : la saison arrive !

Portez-vous bien,

Rodolphe


[1] Chantal Hausser-Hauw, La Maladie de Parkinson, Que sais-je ?, PUF/Humensis, 2e édition, 2022, p.51

[2] Fiche de repères « Tabac », Organisation mondiale de la Santé, 25 mai 2022, https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/tobacco#:~:text=L’%C3%A9pid%C3%A9mie%20de%20tabagisme%20est,%C3%A0%20la%20fum%C3%A9e%20(1).

[3] Li, Xiao et al. “Association between cigarette smoking and Parkinson’s disease: A meta-analysis.” Archives of gerontology and geriatrics vol. 61,3 (2015): 510-6. doi:10.1016/j.archger.2015.08.004 https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/26272284/

[4] « Holy Smoke! The connection between cigarettes and Parkinson’s disease », American Parkinson Disease Association, https://www.apdaparkinson.org/article/smoking-and-parkinsons-disease/#:~:text=Smoking%20and%20Parkinson’s%20disease&text=There%20are%20two%20potential%20ways,talking%20about%20cigarette%20smoke%20here.

[5] Jean-Yves Nau, « Golden Holocaust, ou le mariage incestueux du sucre et du tabac », Revue médicale suisse, 26 mars 2014, https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2014/revue-medicale-suisse-423/golden-holocaust-ou-le-mariage-incestueux-du-sucre-et-du-tabac

[6] Dr Jean-Paul Humair, « Pourquoi le tabac est-il nocif ? », Hôpitaux Universitaires de Genève, https://www.hug.ch/pourquoi-le-tabac-est-il-nocif

[7] Rodolphe Bacquet, « La revanche du tabac », Lettre Alternatif Bien-Être, 25 avril 2020, https://alternatif-bien-etre.com/coronavirus/la-revanche-du-tabac/

[8] Fei Yang, Nancy L Pedersen, et al.  Moist smokeless tobacco (Snus) use and risk of Parkinson’s disease, International Journal of Epidemiology, Volume 46, Issue 3, June 2017, Pages 872–880, https://doi.org/10.1093/ije/dyw294 https://academic.oup.com/ije/article/46/3/872/2656164

[9] Isabelle Jacot Sadowski, Jacques Cornuz, « Nouveaux modes de consommation du tabac et de la nicotine », 1 juillet 2009, https://www.revmed.ch/revue-medicale-suisse/2009/revue-medicale-suisse-210/nouveaux-modes-de-consommation-du-tabac-et-de-la-nicotine

[10] Valentine G, Sofuoglu M. Cognitive Effects of Nicotine: Recent Progress. Curr Neuropharmacol. 2018;16(4):403-414. doi: 10.2174/1570159X15666171103152136. PMID: 29110618; PMCID: PMC6018192. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6018192/

[11]  Jun, H., Yu, H., Gong, J. et al. An immune-beige adipocyte communication via nicotinic acetylcholine receptor signaling. Nat Med 24, 814–822 (2018). https://www.nature.com/articles/s41591-018-0032-8/

[12] Mündel T. Nicotine: Sporting Friend or Foe? A Review of Athlete Use, Performance Consequences and Other Considerations. Sports Med. 2017 Dec;47(12):2497-2506. doi: 10.1007/s40279-017-0764-5. PMID: 28791650; PMCID: PMC5684328. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5684328/

[13] Newhouse P, Kellar K, Aisen P, White H, Wesnes K, Coderre E, Pfaff A, Wilkins H, Howard D, Levin ED. Nicotine treatment of mild cognitive impairment: a 6-month double-blind pilot clinical trial. Neurology. 2012 Jan 10;78(2):91-101. doi: 10.1212/WNL.0b013e31823efcbb. PMID: 22232050; PMCID: PMC3466669.https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3466669/