Chers amis,

En ce dimanche, veille de Noël, alors que vous êtes probablement en pleins préparatifs du repas de fête que vous ferez en famille, j’aimerais vous inviter à une table… vieille de plusieurs siècles.

À la table d’un banquet du Moyen-Âge, telle qu’elle pouvait se présenter lors d’une fête comme Noël.

Quelques surprises vous y attendent, à commencer par les vertus santé de votre repas !

Le caviar aux cochons, les homards en prison !

Spontanément, vous avez peut-être une image peu ragoûtante des repas au Moyen-Âge, nourrie (si j’ose dire) par des films comme Les Visiteurs : des festins orgiaques où l’on « fait ripaille » de mets gras et peu raffinés, en rotant et pétant à qui mieux-mieux.

Il est vrai qu’à la table du réveillon du Moyen-Âge, vous ne trouverez guère d’aliments considérés de nos jours comme « fins » : les œufs d’esturgeon – le caviar – étaient jetés aux cochons[1] et le homard, qu’on le surnommait le « cafard des mers », était tout juste bon à donner à manger aux marauds croupissant dans les prisons[2].

Ce peu d’appétence pour des mets aujourd’hui étiquetés « raffinés » (le caviar et le homard étaient tellement communs qu’ils n’avaient guère de valeur marchande) contribue à l’image « grossière » de l’alimentation médiévale.

En réalité, la cuisine du Moyen-Âge était subtile et légère. Pour comprendre ce que l’on trouve avant tout à la table du banquet – fruits, bouillons, rôtis, poissons et pâtisseries, je vais y revenir plus en détail – il faut comprendre la diététique du Moyen-Âge.

Au Moyen-Âge, l’alimentation est la première médecine

Le terme « diététique » nous vient de l’antiquité : il associe étroitement, depuis Hippocrate et Galien, le régime alimentaire à la santé.

La diététique est tout simplement l’un des trois piliers de la médecine, avec la médecine et les remèdes.

La diététique médiévale est l’héritière directe de cette conception médicinale de la nourriture qui préconise, dans la tradition d’Hippocrate, « que ton aliment soit ton médicament ».

Et, plus précisément, cette diététique est régie par la « théorie des éléments » ou (« théorie des humeurs »).

Chaque aliment est en effet hiérarchisé en fonction de son appartenance aux 4 éléments terrestres, c’est-à-dire le feu (chaud et sec), l’air (chaud et humide), l’eau (froide et humide) et la terre (froide et sèche)[3].

La digestion, elle, est perçue comme un processus de cuisson interne par la chaleur du corps, aussi les aliments chauds et secs (qui sont par excellence les épices) sont-ils considérés comme plus faciles à digérer que les aliments froids et humides (ainsi la salade est-elle par nature mal considérée).

Il ressort de cela deux leçons principales.

Pas d’épice, pas de (bonne) cuisine

La première est que la préparation est capitale. Par « préparation », j’entends la cuisson, mais aussi l’assaisonnement et le recours massif aux épices.

C’est en effet la préparation qui permet de rééquilibrer la nature des aliments de façon à les rendre les plus digestes possibles : la chair de bœuf, considérée comme froide et sèche, est souvent bouillie ou braisée pour compenser son manque d’humidité, et la réchauffer.

Les sauces, les aromates, les épices sont ainsi des médicaments à part entière, ayant pour but de corriger les déséquilibres des autres aliments : les sauces ne comportent aucune matière grasse, et le gingembre, la cannelle, le poivre, le clou de girofle, la noix de muscade, le safran et la graine de paradis sont indispensables.

C’est ce qui explique que la « route des épices » revêt au Moyen-Âge une telle importance, faisant la fortune de cités-états comme Venise, par lesquelles ce commerce transite.

Qui dit éléments, dit humeurs

La seconde leçon, c’est que l’on ne mange pas la même chose selon son tempérament.

Car la médecine antique et médiévale associe les 4 éléments à 4 « humeurs » humaines :

  • Le feu, chaud et sec, correspond à la bile jaune (venant du foie) ; c’est le tempérament bilieux, celui de la fougue, mais aussi de la colère ;
  • La terre, froide et sèche, correspond à la bile noire (venant de la rate) ; c’est le tempérament atrabilaire, celui de la mélancolie et de l’anxiété ;
  • L’eau, froide et humide, correspond au phlegme (venant de la lymphe) ; c’est le tempérament flegmatique, tranquille voire apathique ;
  • L’air, chaud et humide, correspond au sang (venant du cœur) ; c’est le tempérament sanguin, à la fois courageux et jovial.

D’après cette théorie, chacun d’entre nous a une tendance plus « marquée » pour l’une de ces humeurs : le colérique a le teint plutôt jaune (ce qui dénote une surcharge de foie), la sanguin plus rouge, l’atrabilaire, gris, le flegmatique, pâle…

… caractéristique que l’on retrouve également dans la silhouette : le sanguin est doté d’un certain embonpoint, l’atrabilaire a tendance à être maigre…

Ce qui est remarquable, c’est la correspondance de cette théorie avec les profils ayurvédiques hérités de la médecine traditionnelle indienne – mais ceci est une autre histoire.

Là où je veux en venir, c’est que dans la conception médiévale de l’alimentation, ce que vous consommez permet de rééquilibrer votre organisme en fonction de votre tempérament : ce déséquilibre initial est normal, et manger est la façon naturelle de se « rétablir ».

Ainsi, un tempérament chaud et sec (feu – colérique) pourra manger avec profit champignons, concombres ou prunes, qui sont des aliments froids et humides qui le calmeront.

À l’inverse, un tempérament froid et humide (eau – lymphatique) gagnera lentilles, noix ou ail, qui sont des aliments propres à le dynamiser et le réchauffer.

Bref, les épices permettent de rééquilibrer les aliments… et les aliments, de rééquilibrer l’être humain.

À quoi ressemble un festin de Noël au Moyen-Âge ?

Passons aux travaux pratiques : à quoi aurait ressemblé un festin de Noël si vous aviez été invité à la table d’un grand seigneur au Moyen-Âge (ou si vous aviez été vous-même grand seigneur) ?

Les festins sont en effet, pour les princes et les seigneurs qui les organisent, l’occasion d’émerveiller ses hôtes : on montre son prestige en faisant bonne chère.

Les plats qu’on y sert répondent à un ordre précis, avec un début et une fin, et une fonction définie.

Le banquet se déroule en différents « services » qui comportent chacun plusieurs plats, dans lesquels on piochait comme dans un buffet :

Le premier service correspond à notre apéritif et nos amuse-bouche : vin épicé, fruits de saison (car on commence toujours par les fruits, qui se digèrent plus vite), charcuterie.

Le deuxième service commence avec des potages (bouillons ou ragoûts), des pâtés (de chapon, p.ex.), des plats de viande (bœuf ou mouton) cuits en sauce et/ou des gros poissons comme des harengs.

Au troisième service interviennent les « rosts » : des pièces de viande grillées, souvent de la volaille (oies, bécasses, hérons, perdrix) ou du gibier (cerf, sanglier, chevreuils), les plus extravagants étant le paon ou le cygne.

Banquet des Vœux du Paon, Le Livre des conquêtes et faits d’Alexandre, XVe siècle,
Paris, musée du Petit-Palais, folio 86 recto

Le quatrième service est en fait une pause festive : on assiste à des divertissements (saynètes, jongleries, troubadours) en dégustant des entremets qui peuvent prendre la forme de pièces montées extravagantes (châteaux, cathédrales).

Au cours du cinquième service peuvent être servies de venaisons et de la bouillie de froment aux œufs.

Le sixième service est l’équivalent de notre dessert : pâtisseries et, de nouveau, vins épicés.

Le septième service s’apparente au « digestif » : on change de pièce pour déguster dragées et bonbons au miel et aux épices ainsi (toujours) que du vin pour faciliter la digestion.

Et l’hygiène dans tout ça ?

Pour vous en mettre plein la panse au cours de ce festin, vous n’aviez ni assiette ni fourchette.

Vous vous serviez de vos mains, et de couteaux.

J’ai oublié de vous parler du pain, qui est un aliment omniprésent durant la cuisine au Moyen-Âge, tellement important qu’on peut également se servir d’une tranche de pain comme assiette, justement !

Vous prenez votre potage dans une écuelle, et votre vin dans une coupe.

On se lavait les mains entre deux plats dans des récipients remplis d’eau de rose : c’étaient les rince-doigts de l’époque[4].

Tout cela restait, évidemment, exceptionnel ; mais l’avantage, même si vous étiez pauvre, était que vous pouviez être invité au banquet : le caractère ostentatoire de l’évènement était lié à la générosité du seigneur, qui partageait pour l’occasion la bonne chère avec les plus humbles.

J’espère que cela vous aura mis en appétit !

Je vous souhaite un excellent réveillon, et un joyeux Noël !

Rodolphe


[1] Bénédicte Burguet « Food : Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le caviar ».
https://www.vanityfair.fr/ 16/11/2020

[2] Éric de Benedictis. « La folle histoire du homard, des origines à nos tables »
https://www.vice.com/fr 23/12/2015

[3] Marie Josèphe Moncorgé. « La diététique médiévale » https://www.oldcook.com/

[4] Alfonso López. « Festoyer à la table des princes du Moyen Âge » https://www.histoire-et-
civilisations.com/ 20/01/2023