Mon avis sur l’autoparentage

Cher ami,

Une (nouvelle) formule pour devenir plus heureux et en meilleure santé a envahi les magazines féminins et les rayons de livres des gares SNCF.

Cette proposition se nomme « l’autoparentage ».

Elle propose de regagner du bien-être en s’aimant soi-même comme on aimerait une autre personne, voire comme on aimerait son propre enfant.

Pas besoin des autres pour atteindre le bonheur ?

Le chef de file de « l’autoparentage » en France est le psychologue Christophe André.

Selon lui, nous n’aurions pas vraiment besoin des autres pour atteindre la plénitude. Il faudrait surtout apprendre à « entrer en amitié avec nous-mêmes ».

Il précise : « Il faudrait que cet amour envers nous-mêmes soit de la même nature que celui des parents envers leurs enfants : sans condition et infiniment bienveillant »[1].

Dans son livre Imparfaits, libres et heureux, il propose un certain nombre de thérapies pour réaliser, chacun, notre autoparentage.

Qu’affirme Christophe André ?

  • Que notre bonheur ne dépend plus de la politique, c’est-à-dire des idéologies qui nous protégeaient jadis (le conservatisme et ses valeurs à droite, l’utopie socialo-communiste à gauche) ;
  • Qu’il ne dépend plus de la religion : en 1950, il y avait 95% de Français baptisés, ils ne sont plus que 30% aujourd’hui, le nombre de prêtres ayant été divisé par 8 ;
  • Qu’il ne dépend plus du couple et de la famille, institutions déstructurées et éclatées, parfois même devenus territoires hostiles ;
  • Qu’il ne dépend plus même des « autres », connaissances ou amis, trop décevants pour pouvoir nous apporter le réconfort qu’on attend.

Bref, devenons les amants de nous-même, en pratiquant l’estime de soi … et tout ira mieux.

Narcisse, un modèle… pas si sûr

J’ai découvert que ce mouvement de la psychologie actuelle a sa revue, le « Magazine de la pensée positive », où on peut lire notamment les thèses de Fabrice Midal.

Midal, auteur de best-sellers, n’y va pas par quatre chemins. Il nous invite à « devenir enfin vraiment narcissiques »[2].

Il cite le comportement de Narcisse comme « une force positive nécessaire ».

J’ai la chance d’avoir gardé des manuels de latin et de grec de ma scolarité secondaire et je suis allé y jeter un coup d’œil.

Eh bien… Narcisse n’est pas ce doux rêveur plus heureux que les autres.

C’est même le contraire.

Il est magnifiquement beau, mais dur envers les autres, et malheureux.

C’est pourquoi peu de gens l’aiment. Quand la nymphe Echo lui avoue son amour, il la renvoie avec brutalité. Elle en mourra de chagrin.

Quand finalement Narcisse tombe amoureux de son reflet, il voit son malheur augmenter : il devient incapable de faire autre chose que de penser à son amour (pour lui-même) et se laisse peu à peu mourir.

Devenir un type infréquentable

Fabrice Midal fait donc un contresens : le mythe de Narcisse devrait au contraire nous enseigner à ne pas faire trop d’autoparentage, cet amour résolu de soi.

Tout simplement parce que nous pouvons nous y perdre.

A titre personnel je vous avoue deux choses.

D’abord j’aime mes trois enfants plus que tout au monde.

Et… mon amour pour eux est si grand que si je devais pratiquer la même sorte d’amour pour moi-même… je deviendrais 1) un type infréquentable, 2) un tyran pour mon entourage direct (j’imagine que le culte de la personnalité a ses agréments, mais quand même…).

Et puis la perspective de me désintéresser des autres, et donc AUSSI des grands combats et des causes de notre monde, afin de me recentrer sur moi-même – condition du bonheur retrouvé selon André et Midal – ne me fait pas du tout envie.

Ce mot d’ordre d’auto-parentage me paraît donc triste et sans issue.

Une autre voie vers l’auto-estime

Je comprends que certains aient besoin de regagner l’estime d’eux-mêmes, bien sûr. Mais je leur conseillerais, dans ce but, d’aller s’inscrire à des clubs d’activités ou à du bénévolat, de se mettre à l’épreuve de la rencontre de l’autre en tous cas.

Cela demande un peu de courage, c’est vrai. Et une énergie que nous n’avons pas toujours. Mais selon moi ce sont bien les autres qui vous (re)donnent de l’estime de vous.

C’est d’ailleurs la conviction d’un psychologue de mes amis, André Roberti, dont j’estime beaucoup le travail. Il n’encourage pas du tout cet autoparentage narcissique. Ses conseils sont très pratiques et de bon sens, vous pouvez les découvrir dans son programme « Hypersensible et Hyperheureux ».

Et vous ? Que pensez-vous de cet appel au recentrage vers l’amour de soi ? Voyez-vous l’autoparentage comme une voie vers le bonheur ? Je lirai avec intérêt vos commentaires si vous me les déposez ici.

Merci et portez-vous bien, 

Rodolphe Bacquet

[1] André C (2009). Imparfaits, libres et heureux. Odile Jacob : Paris, France.

[2] Supertino G (04.05.2018). « Sauvez votre peau, devenez narcissique » : ce qu’il faut retenir du dernier livre de Fabrice Midal. Europe 1. https://www.europe1.fr/developpement-personnel/sauvez-votre-peau-devenez-narcissique-ce-quil-faut-retenir-du-dernier-livre-de-fabrice-midal-3643466