Chers amis,
J’ai été très surpris lorsque mon amie Clémence a annoncé qu’elle rentrait en France quelques jours après le début du confinement.
Car Clémence s’installait chaque année six mois au nord de la Suède, dans une région qui évoque le Père Noël : la Laponie.
Elle y dirige un lieu accueillant des touristes venus découvrir le froid, la neige, les aurores boréales, le ski nordique et les chiens de traîneaux dans une impression de paradis blanc hors du monde. Voici une de ses photos… cela fait rêver n’est-ce pas ?
J’ai eu la naïveté de penser que là-bas, tout au bout de l’Europe, elle serait protégée du coronavirus.
Et pourrait y rester le temps que l’épidémie se calme.
Mais pas du tout. Je vous livre son expérience ci-dessous.
Premier cas fin janvier
« Le premier cas de coronavirus a été confirmé en Laponie finlandaise, qui accueille beaucoup de tourisme asiatique, quasiment en même temps qu’en France, fin janvier.
À cette époque, les médias français ne consacraient pas leurs gros titres à l’épidémie ; les médias suédois en revanche, toujours rapides à traiter les actualités à l’étranger, lui dédiaient déjà une grande partie de leurs informations.
Mi-février, l’un de nos prestataires suédois demande à aménager notre collaboration de peur d’être contaminé. Quelques clients annulent leur séjour, placés en quarantaine après avoir été en contact avec des personnes atteintes du Covid-19.
Fermeture des frontières en Scandinavie
Et puis tout s’est accéléré. La Norvège et le Danemark annoncent des mesures de confinement et de fermeture des frontières aussi strictes que brutales.
Certains membres français de l’équipe qui doivent rentrer en voiture, dont je fais partie, s’inquiètent : comment rentrer en France sans passer par le Danemark, qui est la route habituelle ?
C’est l’objet de mon premier coup de fil à la cellule Covid-19 du ministère français des Affaires étrangères : mon interlocutrice me confirme l’impossibilité de transiter par le Danemark, m’enjoint à rentrer au plus vite, mais aussi à privilégier l’avion en raison des fermetures de frontières à venir.
Problème : le même jour, la seule compagnie aérienne à desservir notre aéroport annonce l’annulation de quasiment tous ses vols commerciaux. Nous trouvons une solution via un aéroport en Finlande, dont nous sommes proches.
Insouciance des touristes
Rien ne semble entamer l’insouciance de nos touristes : tous français, ils ont entendu parler du confinement décidé après leur départ, mais ils se sentent au bout du monde – et de fait ils y sont presque, littéralement.
Seul un client, médecin urgentiste, me prend à part : il le sait, le pire de l’épidémie est à venir, et il est hors de question qu’il reste coincé en Suède au moment où sa présence sera nécessaire à l’hôpital.
Le lendemain, la radio suédoise annonce l’état d’urgence sanitaire en Finlande : il est midi et la Finlande fermera ses frontières à double tour à minuit. En quelques heures, il faut affréter un avion en se mutualisant avec d’autres agences de voyages, trouver un bus pour emmener tout le monde à l’aéroport finlandais, faire revenir au plus vite les guides partis en randonnée avec leurs clients, récupérer le matériel grand froid qu’on leur a prêté, leur faire faire leurs bagages et fournir les fameuses attestations pour circuler jusque chez eux dans la France… déjà confinée.
Tous les touristes et une partie de l’équipe sont partis pour l’aéroport quelques heures plus tard. Les membres de l’équipe ferment tout le site pour plusieurs mois et rassemblent leurs affaires au plus vite, pour partir à leur tour.
Traversée de l’Europe déserte
Qui disait pandémie disait fin de la saison touristique. Nous ne pouvions pas prendre le risque de rester en Suède sans activité, surtout face à la perspective de fermeture totale des frontières qui nous empêcherait définitivement de rentrer.
Mon mari et moi sommes donc partis le lendemain matin à bord d’une voiture chargée à bloc, dans une course contre la montre de presque 4 000 kilomètres.
Nous avons mis deux jours à traverser la Suède du nord au sud avec nos pneus cloutés sur ces petites routes verglacées, stressés à l’éventualité de ne pas réussir à passer en Allemagne.
Mais aussi étonnés de la légèreté de l’ambiance : comme les Pays-Bas, la Suède teste la stratégie du non-confinement général et de l’immunité collective, dont seul l’avenir jugera de l’efficacité. Si des mesures de distanciation sociale ou d’interdiction de rassemblement ont été annoncées, aucune mesure de confinement n’est appliquée en Suède, où l’épidémie est à peine visible du visiteur hormis quelques signes discrets – une pharmacie annonçant la rupture du gel hydroalcoolique, un panneau incitant les clients d’un supermarché à ne pas constituer de stocks inutiles, une invitation à ne pas s’approcher trop près d’un guichet…
Nous réussissons à prendre le bateau entre la Suède et l’Allemagne avant de traverser trois pays confinés : l’Allemagne, la Belgique et la France. 1 300 kilomètres en une journée sur des routes entièrement vides, à prendre de l’essence dans des stations fermées aux airs post-apocalyptiques et manger les provisions achetées en Suède sur des aires de repos désertes.
Les seuls humains que nous avons aperçus sont les gendarmes qui contrôlent, l’air sincèrement désolé par notre très grand trajet domicile-travail, selon les termes de l’attestation officielle.
Enfin arrivés après trois jours de voyage, nous avons adopté les réflexes du confinement appliqué depuis plusieurs jours en France. »
J’ai pensé que ce partage vous intéresserait. Il me semble montrer à quel point le phénomène est mondial… et pas près de s’interrompre.
Portez-vous bien,
Rodolphe
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comme cela a l’air d’etre beau ce pays cela fait rever et rever en ce moment c’est important, c’est un retour incroyable, un moment de vie impossible a oublier. Merci pour ces magnifiques photos.
Bonjour Rodolphe,
Votre témoignage est vraiment édifiant. En effet, personne n’est épargné par cette horrible épidémie COVID – 19. Cela fait réfléchir et incite à la plus grande humilité. Vos photos sont magnifiques. Dommage pour vous qu’il ait fallu repartir ainsi, « en catastrophe » (c’est ici le cas de le dire, puisque l’on en vit une, de catastrophe, sanitairement parlant). Bonne continuation à vous. Même si je demeure relativement discrète, je vous suis assidûment car vos articles sont très intéressants. J’apprécie beaucoup votre grande humanité teintée d’une belle sensibilité.
Merci pour cette histoire. Je vis en Nouvelle Calédonie où notre confinement de quatorze jours vient d’être prolongé. Nous sommes toujours en retard dans notre petit coin du Pacifique sud, ce qui nous a permis d’être peut être plus réactif. Ici comme partout certains sont dans une psychose et d’autres sont insouciants. Officiellement, 19 cas ont été détectés, 17 personnes qui rentraient de voyage mais 2 personnes on ne sait trop comment. 1 cas guéri. Certains malades ont reçu des menaces de mort. Mais où va-t-on? Nos déplacements sont contrôlés par les forces de l’ordre, certains dénoncent des contrevenants. J’ai l’impression par moments de me retrouver dans l’œuvre d’Orwell, 1984 qui m’avait déjà bien effrayée lors de sa lecture. Aujourd’hui j’y repense souvent. Ma fille de 19 ans est à Lille, confinée chez une amie ce qui me rassure, elle n’est pas seule. Ma mère de 79 ans est confinée dans sa maison de notre tout petit village au Portugal. Aucun cas n’y est recensées mais tout le monde suit scrupuleusement les consignes proposées.
Et à côté de ça, je me réjouis, je passe du temps chez moi. Dans certaines parties du monde la nature reprend ses droits, ça confirme beaucoup de théories. Et là je songe au film de Colline Serreau, La belle verte, 15 ans que je rêve de ce film, de ce monde, de cette vie.
Prenez soin de vous et de votre famille Rodolphe!
Cordialement,
Manuela
Merci pour cette narration. Quelle épopée et quel courage. Prenez soin de vous.
Je voudrai vous avertir, je n’ai pas pu signer la pétition du docteur généraliste par rapport au professeur Raoult, vous avez été courcircuité
Merci, de me tenir au courant
Colette
Bravo à ce couple qui n’a pas eu peur de traverser trois pays confinés par l’épidémie et au médecin urgentiste qui était en vacances qui à souhaité revenir pour aider ses collègue . Belle leçon de courage.
Beau témoignage, merci
Radio Québec: Coronavirus : Mensonges et propagande
https://www.youtube.com/watch?v=Z5kA6iBpYR4
Ce partage ne m’inspire qu’une chose : vous aimez la Laponie : foutez lui la paix, arrêtez cette invasion de touristes qui abiment tout sur leur passage !!!!
Combien de fois faudra-t-il le dire…ces contrées fabuleuses souffrent de la plaie qu’est le tourisme…et de tous ceux qui font leur beurre dessus.
Bonjour Béatrice,
Votre commentaire pose la question légitime du caractère destructeur du tourisme, que je me pose également en exerçant ce métier. Il me semble cependant qu’il manque de nuance : vous parlez d' »invasion », de « tout abîmer sur [son] passage », de « plaie », de « faire son beurre »… comme s’il n’existait qu’un seul type de tourisme, le tourisme de masse, animé par des financiers intéressés par l’argent… Le tourisme de masse existe effectivement en Laponie, surtout en Laponie finlandaise. Mais il y a bien d’autres manières de faire découvrir une région, notamment en privilégiant les petits groupes et les activités non polluantes comme la randonnée en raquettes ou le ski nordique, mais aussi en sensibilisant justement les dits touristes à la protection de ces milieux fragiles et à la culture et au mode de vie des peuples autochtones. Les activités humaines qui n’ont aucun impact sur l’environnement, je n’en connais malheureusement pas. Et j’aurais du mal à croire que vous n’avez jamais été une touriste vous-même. :-) Bonne soirée.
Merci Rodolphe, est-ce un trait de caractère rare dans le monde, mais l’exemple de ce couple, qui n’attend pas d’être assisté pour agir est si important. Dommage que les habitants de toutes nos « Grandes Villes » aient démontrés des comportements inciviques au possible. le nombre élevés de PV pour non-respect du confinement en est hélas une autre illustration.
Continuez, on vous suit. Ph
Bonjour, dans votre commentaire, vous ne parlez que des humains .Et les chiens de traineaux, vous en avez besoin pour vos excursions , vous n’en parlez pas. Ils sont quand même importants les animaux ,ne croyez-vous pas ?
Bonjour Sylvy, et merci de votre commentaire, auquel je réponds en tant qu’autrice du témoignage : comme indiqué dans l’introduction, j’habite et travaille en Laponie suédoise seulement six mois par an. Épidémie de covid-19 ou non, une telle organisation serait impossible si nous vivions avec des chiens de traîneau, qui ont besoin de soins toute l’année. Il n’y a donc aucun chiens sur notre site, à part les chiens de compagnie de certains membres de l’équipe (dont mon mari et moi !), qui nous suivent dans nos migrations. Nous emmenons les personnes souhaitant faire du traîneau auprès d’un musher installé en Finlande toute l’année, et qui fait d’ailleurs également refuge pour animaux.
Une aventure qui me rappelle mon raid paris cap nord. En 1980
Les conditions similaires mais juste pour le raid
L aventure en moto !!!
9000 km en 15 jours sur des pistes et des autoroutes …..
Je suppose que vous connaissez Claude Bourguignon. J’ai retrouvé sa vidéo de 2005 qui m’avait impressionnée et ravivé un souvenir de mon père. A la minute 4 environ, il dit : « les écologistes, à l’heure actuelle se posent la question « A quel moment c’est l’humanité qui commencera à s’écrouler… » Et si nous y étions à ce moment, le début de l’écroulement de l’humanité ? Depuis tous ces virus, sras, grippe, sida et autres nouvelles maladies, j’y pense. Mon jardinier de père (95 ans) nous disait, alors que j’avais 10 ans (j’en ai 72) : « On va tuer tout le vivant avec tous ces nouveaux produits. » Il ne connaissait pas le mot pesticide et sa réflexion m’avait frappée et angoissée. Il avait tellement raison. S’il y a encore des possibilités de guérir la TERRE, c’est tout de suite et non dans X années… Malheureusement je n’ai aucune confiance en nos dirigeants de quelque bord qu’ils soient. C’est de la base que les choses doivent se faire, s’amplifier et faire trembler les têtes pensantes. Et c’est bien de la base que ça a commencé. Et j’espère que ce mouvement va s’amplifier au point de faire trembler nos têtes pensantes. Nous sommes notre sauvetage.