Chers amis,

Il y a quinze jours, le ministre de la santé François Braun a présenté une liste de « 450 médicaments essentiels » dont l’État entend éviter à tout prix la pénurie.

Cette liste intervient après que plusieurs pharmacies françaises se sont trouvées à court de stocks de médicaments l’hiver dernier, entraînant une situation compliquée pour certains malades et médecins.

En ce sens, François Braun est fidèle au nouvel intitulé de son ministère « de la santé et de la prévention » : mieux vaut prévenir que guérir. Le ministre ne fait pas autre chose en bourrant l’armoire à pharmacie.

Mais, si vous êtes comme moi, il y a quelque chose qui vous chiffonne.

Et pas qu’une seule !

« Médicament essentiel », ça veut dire quoi ? Médicament déterminant la survie d’un patient ? L’empêchant de souffrir ?

Un diabétique de type 1 ne peut survivre sans injection d’insuline : son médicament est essentiel.

Les antihistaminiques pour un allergique chronique ou la ventoline pour un asthmatique peuvent également être considérés comme essentiels.

Mais ces médicaments se comptent, tout au plus, par deux ou trois dizaines. Pas davantage.

On peut débattre de ce qu’est un « médicament essentiel » et de ce que le terme recouvre exactement, mais… quelle que soit la définition que l’on adopte, qu’il y en ait 450 est absurde.

Ces « 450 médicaments essentiels » sont un symptôme !

Je rappelle à toutes fins utiles que l’industrie pharmaceutique est une industrie jeune. Cela fait à peine plus d’un siècle que l’on produit des médicaments de façon industrielle.

Au début du siècle dernier, remèdes et médicaments étaient préparés directement en pharmacie.

Voici à quoi ressemblait une boutique d’apothicaire :

Toutes les herbes et préparation étaient dans des pots en faïence.

Mais il n’y en avait pas 450… et tous n’étaient pas essentiels !

Soutenir avec François Braun qu’il existe 450 médicaments essentiels dont l’approvisionnement détermine la survie de la population ne tient pas une seule seconde : c’est considérer que l’industrie a en moyenne, par an et depuis un siècle, créé entre 3 et 5 de ces médicaments sans lesquels on ne pourrait pas vivre, et que le nombre de maladies mortelles a bondi dans la même période !

Cela n’a aucun sens.

On pourrait se dire que, dans l’affaire, ce sont malgré tous les médecins et pharmaciens qui doivent être contents… « Qui peut le plus peut le moins »

Mais non ! C’est l’inverse !

Les médecins vent debout contre François Braun

Depuis la publication de cette liste, « les médecins sont en colère contre le gouvernement », titrait la semaine dernière le JDD[1], précisant que « de nombreux spécialistes dénoncent des incohérences graves et un manque de concertation ».

« Un travail ni fait ni à faire » et « ubuesque » : voici comment les médecins qualifient cette liste de « 450 médicaments essentiels ».

Pour comprendre les raisons de leur colère, il faut lire la revue « Prescrire », destinée à éclairer les professionnels de santé sur les nouveautés et les risques des médicaments[2].

La rédaction de ce journal accuse la liste de F. Braun de contenir « des médicaments inutiles, voire à écarter des soins et (d’)en omet(tre) d’autres qui sont réellement essentiels dans de nombreuses situations de soins courantes. La méthode d’élaboration de cette liste et la gestion des conflits d’intérêts posent problème par leur opacité. »

Autrement dit : non seulement cette liste est absolument disproportionnée, mais en plus elle est remplie de médicaments inutiles, voire dangereux et ne contient même pas des médicaments « réellement essentiels ».

Plus en détail, la rédaction de « Prescrire » accuse cette liste :

  • de redondance, c’est-à-dire la présence de médicaments très proches faisant doublons, souvent issus d’un même fabricant (tiens, tiens) ;
  • de comprendre « des médicaments dont l’utilité n’est pas démontrée » ;
  • de considérer comme « essentiels » des médicaments à la balance bénéfices-risques négative (parmi lesquels des antidépresseurs, un hypocholestérolémiant et des amphétaminiques) !!!

A l’inverse, « Prescrire » s’étonne de l’absence d’AINS comme l’ibuprofène, de médicaments prescrits contre l’asthme ou encore d’antibiotiques contre la tuberculose.

Bref, la « liste de Braun » ne reflète en aucune manière les attentes des médecins et l’urgence thérapeutique des patients qui pourraient être concernés.

Elle est pourtant très logique.

A qui profite la liste ?

On comprend mieux la liste des « 450 médicaments essentiels » de François Braun lorsque l’on sait que, pour l’annoncer, il était accompagné d’un autre ministre : Roland Lescure.

Monsieur Lescure n’a aucune fonction dans le domaine de la santé ou de la prévention : il est ministre de l’industrie.

Cette liste n’a pas été constituée dans l’intérêt des médecins ni des patients, mais dans celui de l’industrie pharmaceutique française et étrangère avec lesquelles l’État collabore.

A l’heure actuelle, les noms des personnes ayant travaillé à la conception de cette liste sont soigneusement tenus secrets.

Je ne les connais donc pas… mais je vous fiche mon billet que ce sont des industriels qui étaient en majorité autour de la table, et quelques médecins complaisants (pour ne pas dire autre chose) : il s’agit d’assurer un planning de production aux laboratoires et actionnaires concernés. Pas d’assurer aux citoyens français des médicaments de première nécessité.

Le fait qu’on retrouve dans cette liste une vingtaine de vaccins, dont certains font double-emploi (contre les hépatites) appuie cette « préférence » industrielle, au mépris ahurissant de l’intérêt public sanitaire.

Nous sommes face à un cas de conflit d’intérêt absolument gigantesque.

Portez-vous bien,

Rodolphe Bacquet 

[1] https://www.lejdd.fr/societe/liste-des-medicaments-essentiels-les-medecins-declarent-la-guerre-au-gouvernement-137001

[2] https://www.prescrire.org/fr/203/3120/67300/0/PositionDetails.aspx