Chers amis,

Il y a un mois exactement, je vous écrivais au sujet de l’uniformisation, monotone et monochrome, de notre environnement, et vous invitais à renouer avec le pouvoir des couleurs[1].

Une lettre ne pourrait suffire pour explorer toute l’étendue de ce pouvoir.

Par exemple :

Si l’on vous demandait quelle est votre couleur préférée, vous répondriez sans doute instinctivement : rouge, bleu, ou vert, sans parler des nuances « sanguine », « marine », « turquoise »…

Mais avez-vous déjà réfléchi à ce que votre réponse dit de vous ?

Et si vos couleurs de prédilection révélaient une part de votre personnalité, de votre état d’esprit, voire de vos besoins inconscients ?

La question peut sembler fantaisiste, et pourtant elle repose sur une longue tradition de recherche, de la Grèce antique aux pratiques modernes de psychologie.

Le « père de la médecine » lui-même associait en effet les couleurs à différentes personnalités – ou, plus exactement, à différents tempéraments.

Hippocrate et le jaune bilieux

Le premier à avoir établi un lien entre la couleur et le tempérament humain fut sans doute Hippocrate, médecin grec du Vème siècle avant J.-C.

Pour lui, la santé et la personnalité d’un individu étaient liées à quatre humeurs (bile noire, bile jaune, sang et phlegme) ; c’est la fameuse « théorie des humeurs », dont je vous ai déjà parlé dans une précédente lettre.

Or, à chacune de ces humeurs est associée une « nature », une « consistance », une « saveur » et une « couleur » dominante :

  • Sanguin : associé au sang, « rouge et vermeil » caractérisé par l’enthousiasme et la sociabilité ;
  • Flegmatique : connecté au flegme, blanc, froid et humide, caractérisé par le calme et la fiabilité ;
  • Colérique : lié à la bile jaune, amère, marqué par l’impulsivité et l’énergie ;
  • Mélancolique : relié à la bile noire, froid et sec associé à l’introspection et à la sensibilité.

Voici comment un tableau en résumait les distinctions à la toute fin du XIXème siècle[2] :

Ainsi, un tempérament sanguin (associé au sang et donc au rouge) serait extraverti et dynamique, tandis qu’un tempérament mélancolique (bile noire) pencherait vers l’introspection.

Des siècles plus tard, au début du XXème siècle, William Moulton Marston, psychologue et inventeur du détecteur de mensonges (oui oui !), a repris cette idée pour créer un modèle qui classe les personnalités en quatre grands groupes de couleurs.

Les brunes sont-elles plus facilement excitables que les blondes (et autres expériences psychologiques à menottes) ?

William Moulton Marston était un psychologue américain… et un drôle de bonhomme.

On lui doit, je le disais, l’invention d’une forme précoce de détecteur de mensonges, basée sur la mesure de la pression artérielle systolique.

Cette invention a contribué au développement ultérieur du polygraphe moderne. Il a défendu l’utilisation de son appareil et a proposé qu’on y recoure dans les tribunaux.

Un type sérieux, a priori, d’autant plus qu’il a obtenu son doctorat de psychologie à l’université de Harvard en 1921.

Mais Marston, en parallèle, était passionné de cinéma, et… de femmes.

Ainsi, son test de pression artérielle systolique l’avait convaincu que les femmes sont plus honnêtes et plus fiables que les hommes et peuvent travailler avec plus de rapidité et de précision ! Il voulait en convaincre les 31 États américains qui n’acceptaient pas les femmes dans les jurys populaires, de changer leur politique.

Noble but. Ce qui suit est en revanche plus… discutable !

En 1926, il a mené des expériences dans un théâtre de New York, où il a mesuré les réactions émotionnelles de participantes en les menottant pendant la projection de films, concluant que les brunes étaient plus facilement excitables que les blondes.

Ces expériences ont conduit à la rupture de son contrat universitaire… puis à son embauche comme psychologue par les studios Universal en 1928 (quelle époque !).

Marston a mené d’autres expériences « sauvages », telles que couper la scène finale d’un film pour mesurer la frustration du public, ou comparer l’émotivité entre une blonde (Claudia Dell) et une brune (Jean Ackerman) regardant des scènes romantiques.

Pas très sérieux, tout ça, me direz-vous, et votre opinion du « sérieux » du bonhomme ne va pas s’améliorer.

Marston, sous le pseudonyme de Charles Moulton, n’est en effet nul autre que le créateur du personnage de Wonder Woman, en 1941, pour DC Comics.

Wonder Woman c’est, vous le savez, cette guerrière amazone de bande dessinée, dotée de pouvoirs divins, armée de son Lasso de Vérité et de ses bracelets indestructibles, et qui fut popularisée par une sérié télévisée dans les années 1970.

Inspiré par sa femme Elizabeth Holloway Marston et leur amante Olive Byrne – ils vivaient en ménage à trois ou, comme on dit aujourd’hui, en « trouple » – ce personnage reflétait à la fois les convictions féministes et les théories psychologiques de Marston.

Il a conçu Wonder Woman comme un modèle pour les jeunes filles, incarnant force, indépendance et compassion, en « alternative » aux modèles de superhéros masculins.

Un film (que je n’ai pas vu) a été réalisé en 2017 sur cette drôle d’histoire, Professor Marston & the Wonder Women[3].

Mais revenons à nos couleurs. Si je vous parle de l’étonnant parcours de ce personnage ô combien sulfureux, c’est qu’il est, également, l’inventeur du populaire modèle DISC.

Rouge « leader », bleu « analytique »

C’est en 1928 que William Moulton Marston a introduit la théorie DISC dans son ouvrage Emotions of Normal People.

Il y décrit quatre types de comportements :

  • Dominance (D) : tendance à prendre le contrôle et à relever des défis ;
  • Influence (I) : orientation vers les interactions sociales et la persuasion ;
  • Stabilité (S) : préférence pour la constance et la coopération ;
  • Conformité (C) : attention aux règles et aux détails.

Marston a également associé des couleurs à ces comportements, bien que les associations de couleurs aient évolué au fil du temps. Voici à quoi ressemble, aujourd’hui, ce modèle[4] :

En gros, selon la « couleur » de votre personnalité, vous serez :

  • Rouge – dominant, leader, énergique ;
  • Jaune – enthousiaste, communicatif, optimiste ;
  • Vert – stable, patient, bienveillant ;
  • Bleu – analytique, précis, réfléchi.

Son travail a inspiré de nombreuses méthodes modernes de développement personnel et de management, où l’on utilise ces catégories pour mieux comprendre les dynamiques relationnelles.

Si un jour, vous entendez donc un psy dire de telle personne « ah, lui, c’est un bleu », il ne veut probablement pas parler de son inexpérience, mais de son profil analytique !

Le modèle DISC est aujourd’hui principalement utilisé dans les domaines suivants :

  • Recrutement et gestion des ressources humaines : Il aide à identifier les profils comportementaux des candidats, facilitant ainsi leur adéquation avec les postes proposés et la culture d’entreprise.
  • Management et leadership : Les managers l’utilisent pour adapter leur style de gestion en fonction des profils de leurs collaborateurs, favorisant ainsi une meilleure cohésion d’équipe et une communication efficace.
  • Développement personnel et coaching : Le modèle sert de base pour des programmes de développement personnel, aidant les individus à mieux comprendre leurs propres comportements et à améliorer leurs interactions avec les autres.

Bien que ce modèle DISC soit largement adopté dans le milieu professionnel, il fait l’objet de certaines critiques : sa simplicité excessive, son manque de validation scientifique et son absence de prise en compte de l’évolution personnelle ou de la capacité des individus à adapter leur comportement en fonction des situations et du temps.

Son utilisation en psychologie clinique est donc plus limitée. Le modèle DISC ne mesure pas les traits de personnalité profonds ni les troubles psychologiques. Il se concentre sur les styles comportementaux observables et leur adaptation à l’environnement.

Certains psychologues l’intègrent comme outil complémentaire pour aider les patients à comprendre leurs comportements et à améliorer leurs relations interpersonnelles.

Plus « sensible », et peut-être plus pertinent, est l’usage que fait des couleurs le psychologue suisse Max Lüscher.

Exercice : classez ces 8 couleurs dans votre ordre de préférence du moment

Dans les années 1940, le psychologue suisse Max Lüscher a élaboré un test fondé sur le choix des couleurs, persuadé que nos préférences chromatiques ne sont pas anodines.

Contrairement à d’autres théories, comme DISC, qui associent la couleur à des traits de personnalité fixes, Lüscher, dans le sillage de Carl Gustav Jung, considérait que nos choix reflètent notre état psychologique du moment, nos émotions et nos besoins profonds.

Dans sa version la plus simple, son célèbre « Test de couleurs Lüscher[5] » repose sur une sélection de huit couleurs :


🔴 Rouge/orange – énergie, action, désir de réussite, vitalité, excentricité
🔵 Bleu – calme, sécurité, besoin d’harmonie, sympathie
🟡 Jaune – optimisme, ouverture, aspiration au changement, sens de la communauté
🟢 Vert – persévérance, contrôle de soi, confiance en soi, besoin de stabilité
⚫ Noir – refus, révolte, rejet d’une situation, néant absolu, mort
⚪ Gris – neutralité, protection, repli sur soi
🟣 Violet – mystère, imagination, besoin d’unicité, infantilité
🟤 Marron – matérialité, confort, besoin de sécurité physique et d’un « nid »

Le principe du test est simple : on demande à une personne de classer ces couleurs en fonction de sa préférence du moment. Ce classement serait révélateur de ses tensions internes et de son équilibre émotionnel.

Par exemple :

  • Si vous placez le bleu en tête, cela pourrait signifier un besoin de sérénité et d’affection.
  • Si vous reléguez le rouge en dernière position, cela pourrait traduire un épuisement ou un refus du conflit.
  • Un attrait pour le noir ou le gris peut être le signe d’une période de stress ou de repli.

Je vous laisse appliquer cette grille de lecture à la nette prédominance de notre société pour le gris et le noir dont je vous parlais dans ma dernière lettre sur les couleurs !

Lüscher insistait sur le fait que ce test n’était pas une simple analyse de goûts, mais un outil permettant d’accéder à l’inconscient.

Selon lui, nos préférences ne sont pas dictées par la mode ou par des influences culturelles, mais par des états émotionnels profonds.

La prochaine fois que vous choisissez une couleur – pour un vêtement, une décoration ou même un aliment – interrogez-vous : est-ce un choix habituel ou répond-il à un besoin du moment ?

Peut-être, sans le savoir, exprimez-vous une émotion ou une aspiration cachée.

Avez-vous aimé cette lettre ?

(étoiles)

Portez-vous bien,

Rodolphe


[1] https://www.alternatif-bien-etre.com/alternatif-bien-etre/votre-couleur-preferee – Rodolphe Bacquet, « Votre couleur préférée ? », site d’Alternatif Bien-Être, 16 février 2025

[2] https://archive.org/details/rabelaisanatomis00ledo/page/148/mode/2up – Anatole-Félix Le Double, Rabelais, anatomiste et physiologiste, E. Leroux, 1899

[3] https://www.youtube.com/watch?v=r991pr4Fohk

[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/DISC – « DISC » (fiche Wikipedia)

[5] https://de.wikipedia.org/wiki/L%C3%BCscher-Farbtest – « Lüscher-Farbtest » (fiche Wikipedia)