Chers amis,
Avez-vous tendance, à la maison, à faire trop le ménage ?
« Mais enfin, Rodolphe, on ne fait jamais trop le ménage ! Une maison ne peut jamais être trop propre ! »
Si, si, un environnement peut être trop propre. Et cela a des conséquences très concrètes sur votre santé.
« J’astique tout »
L’obsession de la propreté, et plus exactement de l’environnement aseptisé comme norme sociale, est assez récente.
On peut même la dater du lendemain de la Seconde guerre mondiale, où un environnement brillant, javélisé et rutilant s’est imposé comme un paramètre de la modernité.
Il y a un film de Jacques Tati qui saisit merveilleusement ce « tournant ».
Dans Mon Oncle (1958), un enfant fait plusieurs allers-retours entre le « monde » de ses parents, vivant dans une maison moderne dernier cri, et celui de son oncle, incarné par Jacques Tati, qui vit dans un faubourg parisien à l’ancienne.
Dans la maison de ses parents, tout est nickel et silencieux. La maison elle-même est truffée de gadgets électroniques : électroménager, garage à ouverture automatique, etc.
Dans le quartier de son oncle, c’est tout l’inverse : tout est foutraque, bruyant, un peu sale et bordélique.
Le film montre la progression inéluctable de ce nouveau monde, aseptisé, automatisé et déshumanisé, qui empiète sur cet ancien monde, fait de bric et de broc, mais autrement plus humain.
Et la maman même du petit garçon incarne à elle seule cette obsession de l’hygiène : elle astique tout et balaie tout, en permanence : avant que son mari parte au travail elle brosse sa veste, avant que sa voiture ne quitte le garage elle met un dernier coup de chiffon sur la carrosserie…
Ce personnage de la maman est évidemment une caricature, extrêmement drôle et bien vue, de la « bonne ménagère » telle qu’à l’époque les magazines sur papier glacé la mettaient en scène.
Une chanson assez rigolote de Charlotte Grenat, intitulé « J’astique tout », dresse un portrait analogue de la ménagère passionnée de l’astiquage[1] :
« Comme toutes les femmes
J’ai le ménage dans l’âme
Je suis faite pour faire toutes les tâches ménagères
Je trie et je range tout ce qui dérange
C’est un vrai bonheur de tenir son p’tit intérieur
Je perds la boussole sans mes casseroles
Du cul à la queue comme je les aime
Il faut que je frotte et que j’asticote
J’astique tout, tout, tout
Mon toit, mes plats, mon toutou
Je cire tout, tout, tout,
Par tous les temps et partout
J’astique tout, tout, tout
Mon tapis et mon matou
Par-dessus et par-dessous j’astique et je cire tout »
Cette vision du « ménage », dans tous les sens du terme, indissociable de la « modernité » des années 1950, nous paraît éculée.
Pourtant, notre société est plus aseptisée que jamais.
Et cette dimension a trouvé son acmé durant la crise du Covid, au cours de laquelle il fallait en permanence porter des masques et s’enduire de gel hydroalcoolique afin de se garder des vilains virus.
Mais, en réalité, en-dehors des environnements qui nécessitent d’être rigoureusement propres et stériles comme les hôpitaux et les laboratoires, cette obsession de la propreté est délétère.
Nous venons d’en avoir la preuve par l’absurde.
Dans l’espace, personne ne vous entend tousser
Les astronautes, notamment ceux qui passent de longs séjours dans la station spatiale internationale, ne sont pas en bonne santé.
Ils reviennent toujours de leurs séjours dans les stations orbitales avec un rhume, des problèmes de peau, des herpès ou des infections fongiques.
Pourtant, avec leur entraînement militaire, on s’attendrait à ce qu’ils aient une santé de fer.
Une étude publiée il y a quelques semaines dans Cell a mis en lumière le fait que c’est l’environnement ultra-stérile qui nuirait à la santé des astronautes[2].
En effet, l’absence de microbes environnementaux bénéfiques, habituellement présents dans le sol et l’eau sur Terre, affaiblirait leur système immunitaire.
Cette carence en diversité microbienne pourrait expliquer les problèmes de santé observés chez les astronautes, tels que des éruptions cutanées, des infections herpétiques et fongiques.
On pourrait dire, pour paraphraser l’accroche d’un fameux film de science-fiction que, dans l’espace, personne ne vous entend tousser !
Les chercheurs suggèrent d’introduire intentionnellement des communautés microbiennes plus diversifiées dans les stations spatiales futures. Cette approche viserait à reproduire les expositions microbiennes naturelles que nous expérimentons sur Terre, sans compromettre l’hygiène nécessaire en milieu spatial.
Y’a-t-il là quoi que ce soit d’étonnant ?
La réponse est non.
Là où les produits nettoyants passent, le système immunitaire trépasse
Dans notre quête incessante d’un environnement immaculé, nous avons peut-être négligé une vérité fondamentale : c’est que votre santé dépend en partie de votre exposition aux microbes.
En cherchant à éliminer toute trace de ces micro-organismes – virus, bactéries, champignons – vous risquez d’affaiblir votre système immunitaire.
Or la javel et les autres produits nettoyants agressifs ne font pas la différence entre les « bons » et les « mauvais » microbes. Ils décapent tout, sans faire le tri.
Cette réflexion est au cœur du documentaire Vive les microbes ! diffusé sur Arte, qui réhabilite l’image des microbes en mettant en lumière leurs bienfaits essentiels pour la santé[3].
Le microbiologiste Michael Wagner y rappelle que la grande majorité des bactéries sont vos partenaires et non vos ennemies.
Le film présente une enquête scientifique fascinante qui explore les raisons pour lesquelles les enfants des campagnes sont mieux armés contre les maladies allergiques en comparaison à ceux des villes. La recherche montre que l’exposition précoce à une grande diversité de microbes, notamment dans les environnements ruraux, entraîne le système immunitaire à mieux tolérer les « bons antigènes » et à éviter les inflammations excessives.
Ce phénomène, appelé « effet de la ferme », suggère que des contacts réguliers avec la nature et de bonnes habitudes alimentaires sont bénéfiques pour la santé de votre microbiote intestinal.
Parallèlement, une étude récente souligne que l’exposition des enfants à la boue et aux microbes qu’elle contient permettrait de booster leur système immunitaire et de prévenir certaines allergies.
Dans un monde de plus en plus aseptisé, laisser les enfants jouer dans la saleté leur est essentiel pour développer un système immunitaire résilient[4].
Ces observations renforcent l’hypothèse hygiéniste, selon laquelle réduire l’exposition aux micro-organismes durant l’enfance pourrait entraîner une augmentation des maladies allergiques et auto-immunes[5].
Ce que nous apprend l’étude menée sur l’environnement de l’ISS, c’est qu’un environnement trop aseptisé reste un danger pour la bonne santé immunitaire, quels que soient votre âge et votre condition physique.
Nettoyez sans stériliser
En somme, l’obsession de la propreté absolue est contre-productive.
Pour autant, il ne s’agit pas non plus de vivre dans les ordures, évidemment.
Alors, comment trouver un équilibre ?
Quelques mesures simples le permettent :
✔ Évitez les produits antibactériens à tout-va : les lingettes désinfectantes et les sprays antibactériens détruisent sans distinction les bonnes et les mauvaises bactéries. Réservez-les aux zones à haut risque (cuisine, toilettes) et privilégiez ailleurs des nettoyants naturels comme le vinaigre blanc et le savon noir.
✔ Aérez votre intérieur : ouvrir les fenêtres 10 à 15 minutes par jour renouvelle l’air et favorise un équilibre microbien naturel.
✔ Ne soyez pas trop maniaque avec la vaisselle : laisser sécher sa vaisselle à l’air libre plutôt que de l’essuyer immédiatement peut préserver certaines bonnes bactéries.
✔ Laissez entrer un peu de nature : les plantes d’intérieur ne sont pas seulement décoratives, elles participent à la diversité microbienne en captant certains polluants et en hébergeant des micro-organismes bénéfiques.
✔ Encouragez les contacts avec l’extérieur : jardiner, marcher pieds nus sur l’herbe, ou même laisser entrer un peu de terre sous les ongles des enfants vous permet de stimuler votre immunité naturellement.
✔ Côtoyez les animaux : les études montrent que les foyers avec des chiens ou des chats présentent une meilleure diversité microbienne. Vos compagnons poilus apportent avec eux des bactéries provenant de l’extérieur, bénéfiques pour votre immunité.
✔ Ne lavez pas trop souvent votre literie : changer ses draps toutes les deux semaines suffit. Une exposition modérée aux microbes contribue à renforcer votre immunité.
✔ Dormez dans un environnement naturel : privilégiez les matelas et oreillers en matériaux respirants comme le coton ou la laine, qui régulent mieux l’humidité et évitent la prolifération excessive de moisissures.
Bref, inutile de transformer votre maison en bloc opératoire !
Un peu de saleté, bien dosée, est un excellent vaccin naturel pour votre santé.
Portez-vous bien,
Rodolphe
[1] https://www.youtube.com/watch?v=g4IDh60gzwc – Charlotte Grenat, « J’astique tout »
[2] https://www.cell.com/iscience/fulltext/S2589-0042(21)00082-1 – Michael D. Lee, Aubrie O’Rourke, Hernan Lorenzi et al., « Reference-guided megatenomics reveals genome-level evidence of potential microbial transmission from the ISS environment to an astronaut’s microbiome », in. iScience vol.24, Issue 2, 19 février 2021
[3] https://www.lemonde.fr/televisions-radio/article/2024/10/08/vive-les-microbes-sur-arte-une-rehabilitation-en-bonne-et-due-pleine-forme_6346710_1655027.html – Florence Rosier, « “Vive les microbes !” sur Arte : une réhabilitation en bonne et due (pleine) forme », in. Le Monde, 8 octobre 2024
[4] https://www.pourquoidocteur.fr/Articles/Question-d-actu/49588-Les-enfants-exposes-salete-meilleur-systeme-immunitaire#gsc.tab=0 – Stanisslas Deve, « Les enfants exposés à la saleté ont un meilleur système immunitaire », site Pourquoi docteur, 29 octobre 2024
[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Hypoth%C3%A8se_hygi%C3%A9niste – « Hypothèse hygiéniste » (fiche Wikipedia)
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En soumettant mon commentaire, je reconnais avoir connaissance du fait que Total Santé SA pourra l’utiliser à des fins commerciales et l’accepte expressément.
Rodolphe, Les enfants de la campagne en meilleur santé que ceux des villes c’est un temps révolu, Rodolphe – si ces enfants gardent un bon système immunitaire ils sont beaucoup plus exposés aux traîtements phytosanitaires – voyez tous ces enfants leucémiques – Autre chose, moi je culpabilise du fait que je fais rarement le ménage…. vous m’avez en partie rassurée –
Tout à fait d’accord avec vous concernant la chasse aux microbes. Par Contre… quand je vois tous les produits qui sont giclés sur nos fruits et légumes juste avant d’être vendus pour qu’ils tiennent le coup de 2-3 jours en rayon, là je suis d’un autre avis. Et j’ai mis en place une nouvelle habitude: laver les fruits et légumes dans du bicarbonate de soude avant de les mettre au frigo ou sur la table. Pourquoi ? Premièrement pour ne pas nous laisser envahir, malgré nous, par ces poisons invisibles. Deuxièmement parce que si je les pèle, eh bien j’en aurais sur les mains et mes mains ne seraient qu’un relai de plus avant de les ingurgiter. Donc je ne me bats pas contre les bactéries et virus « naturels » mais contre les produits phytosanitaires qui nous envahissent incognito.