Pourquoi les papas racontent des blagues nulles (et pourquoi c’est bon pour les enfants)
Chers amis,
En face de chez moi, il y a de grands peupliers.
L’autre jour, j’ai dit à la plus jeune de mes filles : « Tu vois cet arbre là-bas ? Il est tout droit. Et pourtant… c’est un peuplier ! »
D’abord, elle n’a pas compris. Et puis j’ai vu les petits rouages de son cerveau se mettre en branle… et elle a ri, un peu gênée.
Je suis père de trois enfants, et je confesse pratiquer régulièrement ce que les Anglo-Saxons appellent des dad jokes, c’est-à-dire des blagues et des jeux de mots un peu pourris, comprenez : qui ne volent pas très haut.
Vous en avez forcément déjà entendu une.
Peut-être même en faites-vous.
Une blague si nulle, si prévisible, si ringarde… que vos enfants lèvent les yeux au ciel tout en souriant
Une autre : deux patates traversent la rue. L’une se fait écraser. Que dit l’autre ?
- Oh purée !
Mais figurez-vous qu’une étude tout à fait sérieuse démontre que ces blagues « pourries » ont une vraie valeur éducative et psychologique.
Anti-humour
Le chercheur Marc Hye-Knudsen a publié une étude via la British Psychological Society, suggérant que ces blagues, bien que gênantes, aident les enfants à développer une tolérance à l’embarras.
En exposant leurs enfants à des situations légèrement inconfortables, les pères leur enseignent que l’embarras n’est pas fatal, renforçant ainsi leur résilience émotionnelle.
L’article s’intitule « Dad Jokes and the Deep Roots of Fatherly Teasing »[1] ou « Les blagues à papa et les racines profondes des taquineries paternelles ».
Et ce qu’il révèle m’a à la fois fait rire, réfléchir… et me sentir un peu mieux sur mon répertoire d’humour douteux.
Les dad jokes reposent souvent sur des jeux de mots simples qui ne violent que les normes pragmatiques du langage.
Ce sont des blagues « inoffensives », parfois perçues comme peu drôles.
Parce qu’elles ne sont pas assez drôles pour justifier une blague, ces plaisanteries deviennent drôles par leur propre échec, un mécanisme typique de l’anti-humour.
Ces blagues encouragent la flexibilité cognitive et la créativité en incitant les enfants à faire des connexions rapides entre des mots similaires, améliorant ainsi leur agilité mentale.
Un entraînement à la résilience émotionnelle et à la vie société
Derrière la blague bancale se cache en réalité… un entraînement à la vie en société.
Eh oui.
Le style humoristique des pères est souvent taquin, parfois embarrassant. Ce n’est pas de la maladresse : c’est une forme douce de provocation affective.
En testant les limites de l’acceptable, sans jamais basculer dans la moquerie cruelle, le père apprend à son enfant à encaisser sans sur-réagir, à se forger une peau un peu plus épaisse face aux petites humiliations du monde.
C’est comme un vaccin émotionnel.
C’est aussi une façon de jouer, mais en version verbale. Un peu comme les bagarres ludiques père-fils qui servent à développer l’agilité, l’autocontrôle… et la complicité.
Les dad jokes agissent sur le même registre, mais dans le langage : elles testent, elles stimulent, elles construisent du lien.
Et surtout, elles montrent une chose essentielle : un père qui ose être ridicule pour faire rire ses enfants… est un père qui s’en fiche d’avoir l’air bête si cela fait sourire.
Elles peuvent aider les adolescents à développer une tolérance à l’embarras et à renforcer leur identité sociale.
Même si les enfants ne les apprécient pas, elles jouent un rôle éducatif inconscient mais profond.
Bref, les dad jokes ne sont pas simplement de mauvaises blagues.
Elles sont une manifestation culturelle moderne d’un ancien comportement évolutif : le jeu père-fils et la taquinerie paternelle, qui ont pour but de préparer les enfants à la vie sociale adulte.
Une dernière pour la route ?
Que dit une noix quand elle tombe dans l’eau ? Je me noix.
(S’il vous plaît… ne me jugez pas.)
Alors la prochaine fois que vous entendez une « blagounette de papa », ne la fuyez pas.
Et si vous êtes papa… continuez. Vos enfants lèveront les yeux au ciel.
Mais un jour, ils les raconteront eux-mêmes (c’est mon cas, et ma compagne me dit souvent, quand j’en sors une : « ah, celle-là, Papy Bacquet aurait pu la faire ». Je le prends comme un compliment.)
Si ça vous intéresse, j’ai enregistré une version vidéo de cette lettre, que vous pouvez retrouver ici.
Et n’hésitez pas à partager vos meilleurs « blagounettes de papa » en commentaire !
Portez-vous bien,
Rodolphe
[1] https://osf.io/preprints/psyarxiv/r9mhc_v1 – Marc Hye-Kundsen, « Dad Jokes and the Deep Roots of Fatherly Teasing », in. British Psychological Society, février 2021
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Merci, c’est intéressant. J’imagine que cela n’est pas réservé aux relations père-fils mais qu’il s’agit également des relations père fille ainsi que mère fille. Cela me rappelle de doux souvenirs ! Merci pour cela !
Génial, j’ adore, ça me rappelle de bons souvenirs, père -fille aussi
bravo. mon papa faisait la même chose mais en italien.
Je me souviens de mon père nous chantant « Ah viens, viens ma Nénette, faire un petit tour sur les ch’vaux, de bois ! » – A l’époque je faisais ma mijaurée, et n’avais envie que de m’enfouir sous un tas de sable, tant la honte envahissant mon cœur de petite étudiante amoureuse des beaux textes et des grands acteurs, maintenant je me dis qu’en fait c’était pour lui une sorte de deuxième degré, et toutes ses blagues me reviennent, que j’étais incapable à l’époque d’interpréter comme un second degré, et comme un moyen de se connecter à nous par un sens de l’humour dans la vie, qui me faisait cruellement défaut en ce temps-là !! alors je souris de m’en souvenir si bien à présent……
Franchement, merci ! la théorie sur l’éducation paternelle est un peu lourdes mais les blagues sont super !
Cela ne concerne donc que les pères… Pas de place pour les mères blagueuses !
Et on ne parle que du lien père – fils … Un père ne tient pas compte des réactions de sa fille ? !
Je suis un peu déconcertée …
Eh bien, heureusement, je n’ai jamais entendu quoi que ce soit de tel dans la bouche de mon père; ouvrier ajusteur en usine, puis contremaître, il parlait peu mais tout ce qu’il disait avait une haute valeur intellectuelle (oui!), prisonnier de guerre, il avait appris de camarades Russes et Polonais, tout ce qu’il y avait à savoir sur l’Union Soviétique, bien avant les révélations de « L’Archipel du Goulag ». J’avais trois ans à la mort de Staline et nous en parlions (j’ai bien dit trois ans, ce n’est pas une faute de frappe), de même lors de la bataille de Dien Bien Phu, que j’ai suivi à la radio toute la nuit, toujours au même âge. Nous parlions de l’empire français et de la colonisation; il était contre, j’étais pour! Eh, oui, j’e me nourrissais des actualités à la radio de l’époque et mon sens critique n’était pas encore formé mais j’avais déjà toutes les notions abstraites et toutes les facultés de raisonnement nécessaires. Je ne crois pas que j’aurais beaucoup bénéficié de mauvaises blagues.
Moi, je connaissais celle-là :
Deux petites tomates traversent la rue. L’une s’attarde en arrière et se fait écraser. L’autre se retourne et lui dit : « Tu viens, Juju ? »
Ma préférée : quel beau bar 🐟?
Et vous avez totalement raison de faire cela, car même si ce sont des blagounettes niveau Carambar, cela oblige les enfants à réfléchir et à comprendre les jeux de mots – voire à en trouver eux-mêmes, ce qui contribue à forger leur imagination. Mon père n’en faisait pas tout le temps, mais étant d’une autre génération, il avait acheté quelques disques d’humoristes de l’époque (par exemple, Raymond Devos – le maître incontesté des jeux de mots) et cela a certainement contribué à développer ma créativité. Car il m’arrive d’en faire, qui sont plus ou moins bons (j’aime faire rire les gens). Sinon, j’en ai une pour vous (raconté par un enfant en CP) : qu’est-ce qui est cubique, marron et qui hurle à la mort les soirs de pleine lune? Réponse : un caramel mououououou! LOL! Portez-vous bien!
J’aime beaucoup cette lettre, son esprit, sa simplicité et l’humilité courageuse dont vous faites preuve en nous livrant ces petites anecdotes. Votre analyse (ou celle dont vous rendez compte) est intelligente et intéressante. De plus, elle n’a rien à vendre, ce qui est appréciable. J’apprécie beaucoup. Et ce n’est pas une blague.
Et les Mamans ne savent-elles pas jouer avec le langage ou taquiner leurs enfants?…
Merci pour votre analyse aussi inattendue a priori que stimulante a posteriori. Vous avez réintroduit les blagounettes dans mon quotidien ! Merci
Merci pour cette lettre car c’est tellement vrai Amicalement